A 21 ans, Elie Gesbert est un homme qui a su goûter plus qu’il n’en fallait aux projecteurs ensoleillés de l’été. Malgré une certaine appréhension pour son premier Tour de France « je ne savais pas où je mettais les pieds... Je me disais que si j'arrivais à finir c’était déjà bien », il va littéralement mettre le feu à la baraque. Pour l’anecdote, provoquant un début d'incendie lors d’une escale à un hôtel de Boulazac, mais surtout sportivement, en s’échappant par deux fois. Une première tentative, vouée à l'échec, avec Yoann Offredo, au sortir de Périgueux, et un deuxième essai qui le verra terminer 7e de la 19e étape à Salon de Provence :» même si j'ai eu un coup de moins bien en deuxième semaine Je me suis épaté moi-même sur la fin ».
S’en suit alors le traditionnel ballet des critériums d'après Tour, moments de grâces populaires ou le public peut côtoyer au plus près ces coureurs qu’ils ont tant adulé le mois précédent. Malgré tout, l'incroyable et enivrante pression du Tour de France s’évapore petit à petit alors que les jours commencent à raccourcir, et c’est 3 semaines après la fin du Tour, que le coureur de Fortuneo-Oscaro se présente sur le Tour du Limousin, dans l'inconnu. : « Je ne savais pas si j'avais bien récupéré de mon Tour et si ça allait le faire. Mais j'y suis arrivé avec une belle condition physique et pas mal de force ». Et de cette force physique va nourrir une ambition certaine :» Je suis partie comme à chaque course, en me disant que je pouvais gagner. Il y a toujours une chance pour que l'on gagne ! ».
En ce matin nuageux du 15 août, L’équipe Fortuneo-Oscaro se présente au Limousin sans leader attitré. L’objectif est clair, simple : viser la victoire d’étape avant tout. Personne à protéger, absence de sprinter...à chacun l’occasion de tenter sa chance, tel sera le credo de cette première étape : « ce type de course, ce n'est vraiment plus le même schéma qu’au Tour, il faut s'attendre à un peu tous les scénarios ». La bataille fait rage, dans les monts qui côtoient Panazol et il faut attendre 40 kilomètres avant de voir le peloton lâcher prise et laisser s’enfuir, de guerre lasse, 2 coureurs. Dont Elie Gesbert « C'est moi qui ai eu la chance de me retrouver devant parce que j'étais bien placé à ce moment-là ».
Le jeune néo professionnel est accompagné d’un habitué de ces joutes françaises. Il s’agit de Flavien Dassonville, membre de l'équipe continentale HP BTP-Auber 93. Tout comme Elie Gesbert, il a brillé en avril, lors du Tour de Bretagne dont il a remporté une étape, tout comme son benjamin, et le général. Autant dire, un compagnon d’échappée sérieux. Cependant malgré cet allié de poids, partir à l’aventure une centaine de kilomètres à deux, ce n’est guère l’idéal : « sur le coup je ne donnais pas très cher de notre peau... Je me suis dit qu’avec le final un peu vallonné, il y aurait peut-être eu un coup qui serait parti derrière. Et on se serait de toute manière retrouvés dans la bonne échappée. Faut toujours y croire hein Mais c'était compliqué quand même ».
Passe le temps comme défilent les kilomètres qui amènent progressivement nos deux coureurs vers Rochechouart. L’écart croît jusqu'à dépasser les 5 minutes. Elie Gesbert, après avoir goûté l’ivresse des échappées, à 2 reprises lors du Tour de France, traverse désormais des routes sans spectateurs. Dur retour à la réalité d’un cyclisme post Tour : « quand je me faisais mal aux jambes sur le bord des routes du Tour, les spectateurs, ça redonnait un peu le moral. Sur le Limousin il fallait passer un petit peu outre ça. Ce n'est plus pareil ». Ainsi va la vie de la petite reine, l’aoûtien sera toujours moins épris de cyclisme que ne le sera le juilletiste.
Les deux hommes gèrent leurs efforts sans se mettre à bloc : « on a vite creusé le trou et comme le peloton nous a laissé de l'avance, on n'a pas cherché à en prendre plus ». Un réflexe de baroudeur à la Jacky Durand comme se plairait à constater Patrick Chassé. Viennent les 50 derniers kilomètres sans que l’écart n’ait réduit depuis lors : « dans un final comme ça, on perd au moins une minute aux 10 km. On savait à ce moment qu'il ne fallait plus se poser de question et que si on s'entendait et qu'on roulait bien tous les deux, on pouvait aller jouer la gagne ». C’est sous ces auspices que débute l’acte final de cette étape.
Le collègue d’échappée devient alors adversaire : « Comment ça va te passer le final si on arrive tous les deux ? Est-ce que je suis le plus rapide ? Là on commence à cogiter ». La ligne d’arrivée a déjà été franchie une première fois, ce qui a permis aux 2 protagonistes de repérer le final : « C'était un mur, une bosse vraiment raide de 500 mètres. Vraiment le style de bosse qui me convient bien. Dans ma tête si j'arrivais en même temps que lui au pied de la bosse, je devais l'emporter ». Mais Dassonville ne l'entend pas de la sorte. Se sachant moins bon puncheur que le coureur de Fortuneo-Oscaro, il va tenter d’anticiper les débats : « Je savais bien qu'il allait essayer, c'est le jeu aussi ». Une première attaque à 4 km de l’arrivée, qui surprend le breton de 22 ans, qui met un kilomètre à le rattraper : « Quand il m’a attaqué, ça m’a surpris, j’ai surtout veillé à gérer mon effort en ne lui laissant qu’un minimum d'écart pour qu'il se relève au bout d'un moment. Puis je suis revenu et je suis repassé directement en tête car je me suis dit qu’il fallait que l'on roule encore, sinon ça n’allait pas le faire ».
A nouveau, le coureur d’ HP BTP-Auber 93 place une attaque mais ne trompe, cette fois-ci, pas la vigilance de Gesbert qui veillait au grain. Les 2 athlètes se retrouvent au pied de la bosse finale. La bataille ne dure guère longtemps, car le plus jeune coureur du Tour de France qui garde le général dans un coin de la tête va placer un démarrage qui décroche immédiatement Dassonville : « Je savais que j'avais gagné et qu'au moment où j'accélèrerai, il sauterait de ma roue. Un petit moment assez jouissif ». Le Tour de Bretagne, l’a confirmé, le coureur de 26 ans est un coureur de général, et il convient alors de lui prendre un maximum de temps. Gesbert lève les bras, sa première victoire en classe 2.1 : « Sur le coup c'est top, ça fait du bien ! J'avais pris le départ en me disant que je ne savais pas où j'étais, puis je pars dans un raid à 2 un peu suicidaire et il y a la gagne au bout. Carrément de la joie ! Le matin je n'aurais pas mis une pièce sur ce scénario-là ».
La petite célébration festive et collective du soir n’enivre pas cependant les acteurs de la course. Sur leurs épaules, désormais, va peser le poids de la course : « Les collègues, ils sont contents de la victoire mais ils savent aussi ce qui les attend derrière (rire) ». De son côté Gesbert est relax : après cette victoire d’étape, tout ce qui suivra par la suite ne sera que bonus. La perte du maillot ne serait pas un bien grand drame.
Il va falloir se mettre à l’ouvrage, car le 16 août, c’est le festival du Limousin, l’étape reine, avec pas moins de 3 490 mètres de dénivelé sur ces routes de campagne qui traverse la creuse jusqu’à Guéret. Une étape usante, promise à un puncheur, car s’achevant par une côte de 3 km menant vers Le Maupuy Les Monts de Guéret. Le néo professionnel découvre les charmes d’un maillot de leader sur une course par étape : « Une équipe qui se met à votre service, c’est une découverte, on a une place plus centrée dans le peloton et on sent le respect mais également une pression positive. C'est beau et ça se savoure ». Les échappés du jour sont repris, et le peloton des favoris se présente, prêt à en découdre, sur les premiers contreforts de la montée finale.
C’est Guillaume Martin qui allume en premier la mèche en se jetant à l'offensive. Le leader de l’équipe Wanty-Groupe Gobert a soif de cette victoire qui se refuse toujours à lui. Il est immédiatement suivi par le leader de l’épreuve qui place illico un contre vigoureux : « Je voulais chercher la victoire d'étape, tout en gardant dans le coin de ma tête les bonifications. Ça m’aurait assuré mon classement général ». Seul parvient alors à l’accompagner le jurassien Alexis Vuillermoz, tandis qu’approchent les derniers hectomètres de l’étape. Malheureusement, Gesbert va payer au prix fort cette attaque trop hâtive « Les 500 derniers mètres étaient vraiment raides. Je me suis rassis à ce moment-là tandis que lui a accéléré. Il m’a décroché, et le reste du groupe est revenu sur moi ».”Pikachu” remporte le bouquet du jour, et progresse au général. Cependant Gesbert conserve une avance non négligeable à l’issue de cette étape : 4 secondes le séparent du coureur d’AG2R : « C'était l'étape la plus dure donc à ce moment, je me suis dit qu'il fallait continuer à y croire ».
4 secondes, si peu et tant à la fois…
Une 3eme étape sans grande importance, malgré un coup de pression organisé par AG2R mais bien contrôlé par Fortuneo-Oscaro, remporté par Cyril Gautier et voilà qu’arrive l’acte final qui sacrera rois et princes du Limousin. Le leader de la compétition est un peu tendu à la veille de pouvoir remporter son premier classement général professionnel. Les scénarios se mettent en place dans les têtes et dans les esprits, mais comme souvent dans les temps guerriers, la stratégie envisagée est mise à mal par le climat. Napoléon eut les neiges glaçantes qui condamnèrent sa conquête de la Russie, Elie Gesbert aura la pluie drue et froide qui s'abattra sur les routes menant à Limoges. Comme la neige décima les troupes napoléoniennes, le peloton verra la liste des abandons s’allonger jusqu’à une cinquantaine d’unité, dont 5 membres de l’équipe Fortuneo.
En bon breton qu’il est, Gesbert ne craint pas les intempéries. Oui mais seulement le scénario initial a désormais du plomb dans l’aile : faire la chasse aux bonifications grâce à la vitesse de pointe des coéquipiers du maillot jaune. Las, la pluie en aura décidé autrement. Benoît Cosnefroy et Mathieu Van der Poel se sont résolus à braver les conditions climatiques et franchissent en tête le dernier sprint intermédiaire. 1 seule toute petite seconde à distribuer. Une goutte d’eau, un rien du tout. Et pourtant… « Je me suis dit que tant que je restais dans sa roue et qu'il ne me décrochait pas…S'il voulait gagner il fallait aussi qu'il me sorte, mais le premier sprint c'était vraiment un pif paf, on traversait une voie ferrée et Vuillermoz m'a surpris ». Les échappés sont repris, alors qu’approche le juge de paix de cette épreuve, qui va se jouer sur un simple sprint intermédiaire à Nantiat.
Sous la pluie qui ne cesse, sur ce petit sprint en bosse, l’incroyable se produit : Alexis Vuillermoz passe en tête, devant Bryan Coquard. Il y récupère là 3 précieuses secondes. Et voilà les 2 coureurs à égalité parfaite au général, mais le jurassien 1er “à la place”. Coup de tonnerre sur la course. Atteint, le breton ne se démobilise toutefois pas : « Sur le moment je me suis dit que ça allait être compliqué. Sur le coup, ça fout un coup au moral mais après je me suis vite repris. Il pouvait se passer encore n'importe quoi sur le circuit final on n’était pas à l'abri de quoi que ce soit. On ne sait jamais ». Au sortir du sprint intermédiaire, 2 coureurs de Wanty Groupe Gobert prennent la poudre d’escampette dont Guillaume Martin qui ira là cueillir ce premier bouquet tant désiré. Derrière, le dernier sprint intermédiaire ne donne rien au général alors qu’arrive la ligne d’arrivée pour un peloton réduit à une quarantaine d’unité : « Pour le battre il aurait fallu qu'il y ait 13 places qui nous sépare Sachant en plus qu'il est plus rapide que moi au sprint J'ai su très vite que c’était impossible ». Le miracle n’aura pas eu lieu, Elie Gesbert ne gagnera pas le Tour du Limousin. En tout cas en 2017 : « C'est sûr qu'en passant la ligne il y a la déception...C'est comme ça qu'on apprend ».
Un écart aussi faible, a de quoi marquer les esprits et les frustrations. Ce ne sera pas le cas du breton. Elie Gesbert est vite passé à autre chose et relativise cet échec somme toute relatif : « Je sais assez vite rebondir. C'est vrai que sur le coup, terminer second à égalité de temps, c'est vexant, mais si on m'avait dit en début de semaine que je gagnerai une étape et ferai 2e du Général, j'aurais signé tout de suite ! À 22 ans, c'est déjà bien ce que j'ai pu faire, je prends ça comme une leçon comme une expérience ».
En tout cas, le coureur puncheur n’a pas pris pas la grosse tête, passée l’euphorie des fragrances sportives des mois de juillet - Août : « La politique de l'équipe c'est un peu de laisser sa chance à tout le monde et ce résultat ne changera pas mon statut… Si on était arrivé avec 10 secondes en moins lors de la première étape, le deuxième jour je perdais le maillot et on en parlait plus ».
Mais assurément, on en parlera encore ces prochaines années, d’Elie Gesbert.
Propos recueillis par Bertrand Guyot