“Damien, il y a pas à chier ! Va chez eux ! Moi, je t'en veux pas. Il y a pas de souci. De toute façon, tu seras le bienvenu ! Tu pourras revenir quand tu veux” C’est avec ces mots, guère emprunts de rancune, que Jean René Bernaudeau accueille la nouvelle du départ de Damien Gaudin chez Ag2R courant 2013. Ce dernier sort de sa meilleure saison et désire se frotter, à nouveau, au gotha du peloton World-Tour.
Pourtant, 3 ans plus tard, le couperet tombe en ce 23 août 2016 : non conservé par AG2R, l’ancien d’Europcar se retrouve sur le marché. La surprise est de taille pour lui car, si “Le grand” n’a pas été souvent dans la lumière ces dernières saisons, c’est notamment parce qu’il lui a fallu endosser, plus souvent qu’à son tour, le rôle d’équipier : « J'avais changé ma façon de courir. C'est pour ça qu'on ne me voyait pas le lundi matin dans les articles. Mais, avec le travail que j'ai abattu, je pense avoir fait gagner bien des coureurs de l'équipe ». Un rôle d’équipier qui ne le protège pas, malgré tout, de la précarité. Voilà que le géant du Maine et Loire doit retrouver une nouvelle équipe pour 2017. Les places sont rares, surtout en cette période de l’année.
Jean-René Bernaudeau n’a malheureusement plus de place dans son effectif et c’est peu de temps après l’annonce de la non reconduction de son contrat, qu’un homme contacte Damien Gaudin. Il s’agit de l’adjudant-chef David Lima Da Costa. Ce dernier est à la tête d’un projet un peu fou qu’il bâtit et fait grandir années après années : la constitution d’une équipe cycliste amateur puis professionnelle au sein de l’Armée de Terre. Désormais, cette équipe est une habituée des pelotons qui écument les manches de Coupe de France. Le premier échange a lieu en septembre :» David m'a dit : “ok, je te laisse chercher. Mais sache que ton profil et ce que tu as fait auparavant, nous, ça nous intéresse. On cherche un capitaine de route”. J'avais déjà eu deux ou trois refus d'équipes et son discours m'intéressait ». Séduit tout autant par le discours que par l’homme, et après s’être enquis auprès de son voisin Thibault Ferrasse, ou bien encore de l'ancien compagnon de piste, Julien Duval, l’ancien 5e de Paris Roubaix franchit le Rubicon et accepte la proposition deux semaines plus tard.
Damien Gaudin a beau être descendu d’un échelon, il n'est pas pour autant question de se la couler douce sur la dolce vita de la préretraite que pourrait signifier pour certains cette rétrogradation. Certes, il n’a plus désormais d'entraîneur attitré mais il dispose, à présent, de suffisamment de connaissance pour s’auto-gérer et le faire avec le même sérieux qu’un coureur de World Tour. Lorsqu’il s’élance sur le circuit des plages vendéennes, après un passage à Bessèges en février, c’est un bond vers le passé qu’il opère. Terminé le luxe des grandes formations à la logistique bien huilée. Place désormais au règne de la débrouille : « On avait loué avec nos propres frais un camping-car et on mangeait chez moi, à la maison. Je savais à quoi m’attendre car j'étais passé par les amateurs et j'étais prêt à le faire à nouveau. Mais je ne vais pas le cacher, faire les plages vendéennes, ça m’a fait bizarre ». Hors de question de mépriser ces compétitions pour autant : « J'y allais pour les jeunes, leur montrer comment courir et s’entraîner convenablement. Et je me servais de ces courses pour pouvoir préparer les courses plus relevées derrière. Attention, c'est pas pour ça que je faisais le pitre et que j'écrasais la concurrence non plus, même si j’estime que ce ne sont pas des courses de mon niveau ».
Une période de préparation de février à mars qui se solde par deux succès, le Circuit de la Vallée de la Loire, et la 6eme étape du Tour de Normandie. Un tour là aussi, exercé dans des conditions spartiates pour qui a connu le confort des structures de plus grandes envergures. Toute l’équipe est logée à la même enseigne. A l’ancienne : « David a été correct, il m'avait bien dit qu'il n'y avait pas structure équivalente à celles que j’avais eu auparavant. Dans le bus, il y avait pas de douche et pas de toilettes. Quand on rentrait en bus du Normandie après 6h de flotte en course, on mettait le caleçon, le tee-shirt et le pull, et on attendait d'arriver à l'hôtel, 1h30 après, pour se doucher. Tout ça, je le savais donc je n'ai pas été surpris, et je m’y suis fait assez vite ». Sous les pluies diluviennes se façonnent les petites rigoles qu’empruntent les petits ruisseaux et qui font les grandes rivières. Les petites victoires en appellent de nouvelles, plus prestigieuses. “Le Grand” va frapper un grand coup, il est temps que ses larges épaules crèvent l’écran.
C’est le 16 avril qu’il remporte (retrouvez le récit de sa victoire ici ) au nez et à la barbe d’un peloton qui, trop longtemps, le sous estima, l’objectif de sa saison. Lui, l'amoureux du pavé du nord, a troqué, l’espace d’une année, les cailloux du nord à ceux de la Bretagne et en a fait son principal objectif. Avec ce succès et son scénario, nul ne peut considérer désormais l’ancien coureur d’AG2R comme un retraité. Pour être phénix, encore eut-il fallu mourir ou disparaître des radars. Damien Gaudin n’aura pas eu la patience de se faire tout petit pour être comparer à l’oiseau de feu. La France du cyclisme se réveille et gronde dans le téléphone du vendéen. Ce sont des centaines de messages qui s'amassent là sur cette minuscule boîte : « Avec l'armée, il y a eu beaucoup de messages très importants, de généraux, des messages assez politiques mais aussi de mon ancien manager, de Jean-René... Ils me l’ont dit car ce sont des gens directs et simples. Ils ont vu une belle gueule sur le vélo, ce jour-là. Ils ont revu le vrai Damien ». L’euphorie guette car de beaux objectifs se profilent à l’horizon. Notamment, les cimes pavées du Mont de Cassel. Les 4 Jours de Dunkerque, terres du nord qui lui réussissent d'habitude.
Mais avant cela, il faudra faire un détour par la Bretagne et son Tour. Pas forcément une étape souhaitée par “le Grand”, mais l’enjeu va au-delà du simple choix sportif : la terre d’Armorique est un terrain politique d'envergure, terre du Ministre des Armées, Jean-Yves le Drian, qui en gère également la région. Il s’agit là de faire briller l’équipe de mille feux devant celui qui accompagne le projet depuis 4 ans. Dans l’euphorie de la victoire à Lannilis, Damien Gaudin est aligné, de façon à rendre l’équipe la plus compétitive possible : « Quand j'ai un dossard sur le dos, je me donne à fond. J'ai couru à bloc au début, j'ai gagné une étape et j'ai abandonné un peu plus tard à cause de la flotte. J'étais fatigué, fatigué de ce début de saison ». C’est, de ce fait, diminué que le leader de l’équipe aborde la course du nord. Il n’y aura point de miracle : « Dunkerque, c'est une course pas facile et, après le Tour de Bretagne, c’était la course de trop. J'avais plus de niveau pour réussir. Ça m'a complètement lâché ». Il tente, tout de même, un baroud d’honneur sur l’étape reine de Cassel, avant que ses futurs coéquipiers en 2018 n'enterrent définitivement sa tentative.
Damien Gaudin a alors eu suffisamment de temps pour jauger la spécificité de cette équipe de l’Armée de Terre, que les coureurs qui la composent se plaisent à évoquer comme une deuxième famille. Et en tirer le premier bilan : « Tout le monde avait le même statut financièrement et ça se voyait dans la façon de vivre ou de régir de tous les jours. Il n’y a pas que le vélo dans la vie et, pour certains, il s’agissait de leur deuxième activité. C’est ce genre d’éléments et de mentalité qui soudait l’équipe ». Lui se plaît à jouer le rôle de grand frère qui prodigue ses conseils après de longues discussions à table, à refaire le monde auprès des nombreux jeunes qui composent l’équipe. Conseils qui sont valorisés par les excellents résultats obtenus par “la braquasse”.
C’est après une pause salutaire de 2 semaines que le Flandrien reclipse les pédales. Cette fois-ci, le Tour du Luxembourg est dans la ligne de mire. Et le sniper de l’Armée de Terre a un objectif bien précis en tête : le prologue, qu’il remporte au nez et à la barbe du champion Olympique : « Cette année, je marche sur l’eau. Là, je bats des mecs comme Greg Van Avermaet ! Encore une satisfaction pour moi ». Un autre chrono se profile à l’horizon : les Frances. Damien Gaudin a à coeur d’y bien figurer, mais les augures ne l’ont pas décidé de la sorte : « Pas ma forme idéale... j'étais vraiment pas super et j'ai même hésité à y aller, pour être honnête. Par rapport au niveau que j'avais, terminer 11e, je suis plutôt content ». Il faut dire qu’il n’est guère aidé par dame nature : Tel le moucheron dans la Fable de la Fontaine qui déclare la guerre au lion qu’il harasse de milles assauts, c’est une abeille qui viendra au bout de 5 minutes piquer le coureur en plein effort. Un affront qu’elle paiera de sa vie, mais qui amoindrira le coureur déjà mal en point : « Ça a gonflé et j'ai même vomi. Quand ça t'arrive seulement au bout de 5 minutes, tu perds un peu tes moyens, tu as du mal à te remettre dans le rythme, c'est pas agréable. J'ai pensé abandonner mais l'équipe avait donné beaucoup pour ce championnat de France et je me suis dit: “ Lâche rien ! Va jusqu'au bout !”. Je ne dis pas que ça me serait arrivé auparavant dans une autre équipe, je n'aurais pas lâché prise. Mais là, je leur devais ça ». Place aux vacances désormais.
Car Juillet, c’est le mois de la Grande Messe du Cyclisme mais l'Armée ne peut en être. De toute façon, le futur coureur de Direct Energie est fatigué, lessivé de ce début de saison qui l’a vu renaitre aux yeux de tous. Rares sont les cyclistes qui peuvent prendre des congés estivaux, alors autant en profiter : « Ces vacances, ça m'a fait un bien fou parce que j'ai pu vraiment profiter. J'ai soufflé car, vraiment, je me sentais fatigué de mon début de saison. Après le Tour du Luxembourg, j’ai fait des prises de sang et les taux étaient bas. Il me fallait vraiment me ressourcer ».
Des vacances finalement pas de tout repos car c’est à ce moment que se joue l’avenir du “Grand”. Peu avant qu’il n’entame un nouveau Tour de France, Jean René Bernaudeau le croise et un rendez-vous est fixé au Manoir, le mardi précédant le départ de la Grande Boucle en Allemagne. Le patron de l’équipe Direct Energie lui propose alors de réintégrer son équipe, 4 ans après son départ. De son côté, bien que tenté, Damien Gaudin connait les efforts fournis par David Lima Da Costa pour faire grandir son équipe et la faire passer en Conti pro : « David savait que je commençais à être sollicité et il me disait parfois: “ P***** !! P***** !! Faut que je me dépêche, faut que je trouve un nouveau sponsor, parce que tu risques de partir” ». C’est pourquoi la “braquasse” ne répond pas immédiatement favorablement à son ancien mentor. L’affectif et les relations humaines peuvent primer sur le sportif, et David da Costa fait parti de ces hommes qui nouent de ces relations qui valent la peine d’attendre : « j'ai vu David peu après et je lui ai expliqué que Jean-René Bernaudeau me proposait un contrat de 2 ans. Il me dit “ Laisse-moi un peu de temps encore”. Il voulait vraiment monter son équipe pro. Si j’avais senti que David pouvait la monter, son équipe, je pense que je serais resté à l'Armée ». 2 semaines plus tard pourtant, le couperet tombe : « Je suis monté à Paris voir David pour déjeuner. Puis il m'a dit: “ Je ne peux pas te faire signer un contrat d'un an ou deux ans J'ai rien de fixé. Damien, tu es libre. Je ne t'en veux pas, tu me l'as dit de façon transparente”. C'est lui qui me l'a dit “Va chez Jean-René ! Il y a aucun problème, c'est comme ça. Moi, de mon côté, je vais continuer mes recherches“ ». Les dés sont désormais jetés, l’aventure avec l’Armée de Terre s'achèvera cette fin d’année pour le coureur du Maine et Loire.
Retour à la compétition désormais. Gonflé et requinqué par ces semaines de congés, Damien aborde ce qui doit être son grand tour de la saison. Avec une envie de bien faire intacte, comme le prouve sa préparation où, après une course espagnole, ils partent avec Stéphane Poulhiès - et la famille de ce dernier - en stage, quelques jours avant la course : « On avait pris un appart de notre poche. C'était notre décision. L'équipe est allée en bus au Portugal, 10h de route et moi, je voulais me donner les moyens d’être le plus performant possible, comme je l'avais fait pour le Tro Bro Leon ». Reste à partager la décision de son départ, auprès des collègues. Ce sera au Portugal : « Le week-end avant le Tour du Portugal, un soir, j'ai payé un verre à tout le monde et je leur ai annoncé mon départ. Mais je leur ai également dit que la saison n'était pas terminée et que j'avais encore envie de faire de belles choses. Trois jours après, je gagne ». Un deuxième prologue dans l'escarcelle qui prouve que le soldat, proche de la quille, est bel et bien toujours présent.
La fin de saison s'achève progressivement après un honnête Tour du Poitou Charentes conclut à la 9ème place au général. Mais l’essentiel n’est plus là alors qu’arrive septembre, puis octobre, qui voient l’astre solaire se prendre de paresse après avoir brillé de mille feux : « Sportivement, j'avoue que je n'étais plus très fort. Mais j'ai pris énormément de plaisir sur la fin de saison où je voulais profiter un peu de tout le monde en discutant avec les coureurs et les DS. Je voulais partager avec eux ma vision et mes conseils pour la suite ».
Malheureusement, des conseils qui tout aussi avisés qu’ils puissent avoir été, resteront lettre morte pour l’Armée de Terre Cycliste. David Lima Da Costa se démenait pourtant pour dénicher un co-sponsor : « C'est quelqu'un qui donnait énormément de sa personne pour les autres et pour l’équipe et ça, souvent, les jeunes ne le voyaient pas ». Mais, à garder le cap sur le futur, il ne sentit pas partir le coup de dos, de son propre camp. Un coup fatal, brutal, le coup qui tue, sans laisser d’espoir à sa victime. Le coup d’un lâche. Un article du Parisien qui vend la mèche le 14 novembre et le couperet qui tombe le vendredi qui suit : c’en est finit de la structure professionnelle cycliste de l’Armée de Terre. David Lima da Costa annonce la nouvelle à ses troupes, dans un moment chargé d'émotion : « Je n'étais pas à la réunion vendredi, mais j'en ai eu des échos. Ça a parlé très fort sentimentalement et derrière les gens étaient plus déçus pour David que pour eux-mêmes ». Malgré un horizon toujours plein de promesses quant à son cas personnel, comment une telle nouvelle ne pourrait-elle pas affecter “Le Grand” ? « Ça me fait chier parce que j'ai vécu avec eux une année forte et que c'étaient des gens qui aimaient ce qu'ils faisaient. Par rapport à ce qu'ils gagnaient comparé à d'autres équipes pour la même chose, ça les avait rendus très soudés et, aujourd'hui, ça vole en éclats. A cause d’une seule personne. Pour les jeunes de 22 ans, ce n’est pas très grave, ils vont remonter, mais pour les coureurs d'un certain âge comme Rostollan ou Tronet, c'est un vrai coup de massue. Je leur souhaite à tous de rebondir ».
Désormais, le maillot camouflé va laisser place au noir et jaune des coureurs de Direct Energie. Une année aura suffi à effacer l’inachevé de l’aventure chez AG2R, laquelle aura pourtant bien failli être fatale au coureur. Un épisode salutaire ? « Finalement, je peux, peut-être, remercier Vincent Lavenu de ne pas m'avoir conservé. Ça m’a peut-être foutu le bon petit pied au cul qu’il me fallait parce que je m'étais peut-être un petit peu endormi chez AG2R ».
Propos recueillis par Bertrand Guyot