12 avril 2017. Ce jour-là, un prénom se fait un nom à Amiens, sur la 3e étape des 4 jours de Dunkerque, au terme d’une chevauchée et d’un duel sans merci avec le peloton sur plus de 2 kilomètres. Quelques semaines plus tard, il tutoie de près au Luxembourg le champion olympique Greg Van Avermaet, pour la première fois de sa jeune carrière. Retour sur ces deux compétitions.
10 avril 2015, 4 jours de Dunkerque. Après une participation en 2013 où les monts de Cassel avaient terrassé le jeune coureur d’alors, c’est serein que le coureur de l’Armée de Terre aborde à nouveau cette compétition du nord. Après tout, c’est sa course de reprise après les championnats du monde sur piste. Pas d’ambitions particulières en bagage, mais de bonnes sensations et l’idée de servir l’équipe. L’équipe Cycliste de l’Armée de Terre, à ce moment de l’année, c’est la formation qui monte, et quoi de mieux qu’une course de catégorie 2 HC, qui mêle équipes du World-Tour et Continentales, pour frapper un nouveau coup sur la scène du cyclisme professionnel ?
Arrive la 3e étape, avec un vent dont la brise épaisse s’invite dans la journée, hôte indésirable et hostile, qui use le peloton. L’équipe mise alors sur un sprint de Yannis Yssaad, mais les Dieux de la petite reine en ont décidé autrement, et contre toute attente, ce ne sont pas les bolides du peloton qui remporteront la course cette fois-ci. Dans un final houleux, Chavanel lance une offensive aux bonifications, bientôt rejoint par Benjamin Thomas ainsi que Maxime Vantomme de WB Veranclassic Aqua Protect. Le vent ainsi que les nombreux virages présentent un terrain propice aux audacieux : « J’ai couru à l’instinct. Dans le final, j'ai vu que tout le monde était un peu à fond et je me suis dit que sur un malentendu, ça pouvait le faire ». Sylvain Chavanel se relève pourtant à 2km et demi de la ligne d’arrivée. Ne reste plus que 2 coureurs devant. :« Sylvain s'est relevé, car il en pouvait vraiment plus. Au kilomètre je me suis retourné et j'ai vu qu'on avait moins de 10 secondes d'écart, et je me suis dit : “Tu fais comme sur piste, tu te mets devant et tu ne te retournes pas. Tu mets tout ce que tu peux”. Tant pis si Maxime me sautait sur la fin, j'aurais fait deuxième mais il ne fallait pas trop calculer ni trop se regarder. Un coup de poker ! ».
Le peloton guette sa proie à quelques encablures du coureur de l’Armée de Terre et se lance dans une poursuite effrénée. Arquebouté sur la machine, Benjamin Thomas a la tête baissée et rentrée dans ses épaules, son coup de pédale est rapide et puissant. Dans un long virage au sortir d’un rond-point, le pistard, en facteur, sème Maxime Vantomme, asphyxié par le rythme du jeune coureur. C’est un véritable mano à mano qui se déroule sur ce dernier kilomètre avec la meute du peloton. Benjamin Thomas sent le souffle du prédateur qui le chasse et le talonne. L’acide lactique envahi ses jambes qui se durcissent et se tétanisent un peu plus à chaque coup de pédale. Le bruit assourdissant des spectateurs qui tapent sur les barrières crée une cacophonie auditive à laquelle se mêle la voix de l’éternel Daniel Mangeas. Les sprinteurs se dressent sur les pédales dans les derniers 200 mètres, tandis que Benjamin reste vissé à la selle, tout en puissance : « Je regardais la ligne d'arrivée il y avait que ça qui comptait. Et je me disais que tant que je ne l'avais pas franchie je n’avais pas à réfléchir. Juste tout donner ». Plus que 3, puis 2 puis 1 mètre… et la victoire :« C'est vraiment la délivrance lorsqu'on se rend compte que personne ne jaillit de nulle part.…Il y a tellement d'émotions et de joie qui arrivent d'un coup...Cette dernière ligne droite était vraiment énorme ! ».
Une échappée qui tient tête au peloton, jusqu’au tout dernier mètre, c’est un exploit peu commun :« il fallait saisir sa chance, mais c'est vrai que le matin de la course, je n'aurais pas misé au PMU sur moi ».
Toujours est-il que le coureur a joué à la roulette du casino du cyclisme, et bien lui en a pris car à 21 ans, il empoche là sa première victoire professionnelle. Et de la plus belle des manières : de celle dont on se souviendra encore dans quelques mois voire quelques années. Il s’agit désormais de s’orienter vers de nouveaux objectifs, de nouvelles sources de motivation. Car après tout : « Quand on goûte à la victoire chez les pros on a qu'une envie, c'est d'y retourner ». Travailler encore et toujours. Et progresser.
Voilà qu’arrive alors le Tour du Luxembourg, course de reprise d’un certain Greg Van Avermaet. Sur cette compétition, l’Armée de Terre est invitée, et compte bien y imposer son empreinte. Rien n'arrête les militaires du peloton en cette fin de printemps. Mercredi c’est le prologue, et un homme l’a coché : « Mon objectif premier sur le Tour du Luxembourg c'était de faire un bon prologue. C'est un effort que j'affectionne plutôt bien avec une bosse assez raide sur 500, 600 mètres. Je savais que ça allait être un effort maximal très très court et que ça allait se jouer à rien ». Benjamin Thomas termine à une belle 5e place. Mais l’Armée de Terre a placé son pion numéro 1 sur la première marche. Cet homme, Damien Gaudin, marche sur l’eau depuis 1 mois tant et si bien que de le voir réaliser le meilleur temps ne semble plus étonner personne désormais : « Damien Gaudin, ça doit faire 4 ans que je le connais, depuis que l'on a fait nos sélections en poursuite par équipe ensemble pour les Mondiaux de piste à Saint-Quentin-en-Yvelines et au Championnat d'Europe. Et quand il était chez AG2R on discutait dans le peloton et on était assez proche. C’est un coursier et qui ne lâche rien quand il a quelque chose en tête et c’est l’une des figures du cyclisme actuel français ».
Au crépuscule de cette journée, l’Armée de Terre a placé 2 coureurs dans les 10 premiers au général, avec Julien Loubet en embuscade. De quoi imaginer l’équipe conserver la précieuse tunique dorée à l’issue de la semaine ? Non, car le leader du jour ne se fait guère d’illusions : « Damien a dit clairement dès le lendemain du prologue qu’il allait garder le maillot le premier jour, mais qu'après le profil était un peu trop dur pour lui et qu’il se mettrait au service de l'équipe. Du coup le leader désigné c'était plutôt Julien Loubet et moi-même ». Un statut de coureur protégé inédit pour le Berrichon : « Être protégé ça amène de nouvelles responsabilités : quand on voit les équipiers se mettre à la planche pour vous abriter dans toute l'étape, vous protéger du vent et vous replacer dans le final, ça vous met une pression positive. Vous n'avez pas le droit de vous relever. Si vous coincez ce ne doit être que physiquement. Dans la tête vous devez être à 200 %. Après, ce n’est pas oppressant non plus, je ne me mets pas particulièrement la pression Je suis plutôt quelqu'un de cool et relax sur le vélo ».
Après une première étape en ligne qui voit Jean-Pierre Drucker de BMC faire coup double en levant les bras et dépossédant par là même la “braquasse”, grâce au jeu des bonifications, de son paletot jaune. C’est désormais une nouvelle course qui s’offre aux hommes camouflés. La 2ème étape en, ligne ne présente rien d’insurmontable et semble promise à un sprinter. C’est pourtant dans l’enchaînement des 4 dernières bosses, anodine de prime abord, que le Tour du Luxembourg va presque basculer pour Benjamin Thomas : « pour moi cette étape a bien failli être fatale car j'ai été victime d'une crevaison à 30 km de l'arrivée. À ce moment ça roulait assez vite et même si j'ai été dépanné rapidement, les commissaires de route m’ont fait barrage et je me suis retrouvé dans la “pampa” à faire la chasse, un peu désespéré ». Le pistard aurait pu bénéficier de l’aide de ses coéquipiers, mais pensant pouvoir rejoindre la course grâce à la file des voitures, il leur demande alors de rester dans le peloton, conscient également que son nouveau statut ne peut lui servir de blanc-seing : « Je leur ai dit de rester à côté de Julien doublet qui lui voulait attaquer dans la côte du circuit. Je n'étais pas non plus le leader incontesté de l’équipe, donc je n'allais pas faire relever deux ou trois gars pour me ramener, d'autant que ce n'était que la deuxième étape. Au pire si je sautais on mettait tout sur Julien ».
Seul dans la campagne luxembourgeoise, sans voiture en point de mire, le coureur ne se démonte pas et entame un contre la montre solitaire par monts et par vaux. Par aubaine, le peloton lève le pied et lui permets de réintégrer son rang, après 10 km d’efforts. Le peloton accélère dans chacune des bosses, tandis que Thomas, usé, serre les dents et s’accroche, manquant de peu de lâcher prise. Ils seront une trentaine à se disputer la victoire et le cycliste de l’Armée de Terre, bravache, arrachera une anecdotique mais oh combien méritoire, 12e place.
3e étape : l’étape Reine, celle qui doit rendre son verdict implacable sur la course. Longue de presque 200 km, avec environ 3 000 mètres de dénivelé et enfin une arrivée en bosse. Il aura fallu s’accrocher pour bien figurer au sein du peloton. Bien protégé par son équipe, Benjamin Thomas réfrène ses ardeurs et son naturel : « Le but c'était de se réserver pour les 200 derniers mètres qui étaient vraiment très durs. Je ne voulais pas anticiper, mon but c'était de ne pas prendre les cassures ». C’est Cofidis qui lance l’offensive, avec un homme à battre dans le viseur. Mais quel homme ! Greg Van Avermaet, Champion Olympique, récent vainqueur de Paris-Roubaix est la star incontestée de la compétition, celui vers qui tous les yeux se tournent : « C’était la première fois que je roulais avec lui. Ça fait toujours plaisir de pouvoir jouer avec lui dans un final de course. C'est sûr qu'il a la classe. Mais après, on s'habitue vite. C’est un coureur comme nous, il a deux bras, deux jambes. Quand ça roule vite il a mal à la gueule comme nous ». Anthony Perez place un démarrage vif et dépose ses poursuivant. Il s’en va là glaner son premier laurier professionnel, tandis que Benjamin Thomas arrive peu de temps après, dans le groupe des poursuivant. Il est alors 3e du général.
Une dernière étape se profile, théâtre de l’acte final. Une brève analyse des résultats des dernières éditions montre que le classement à ce moment-là est presque figé :« je n'ai pas cherché à anticiper parce que c'était prendre le risque de perdre tout. On a donc joué volontairement petit bras pour suivre ». Ceci étant, quand bien même il voulait suivre son instinct qui le pousse à l’offensive, le pourrait-il seulement ? Ce matin, il l’a confié à ses coéquipiers, il n’est pas bien. Mais, bien protégé par ses partenaires, il s’accroche tant bien que mal et termine l’étape à la 16e place, à 7 secondes du vainqueur de l'étape et de cette édition 2017, le Belge Greg Van Avermaet. L’armée de Terre voit son pistard terminer 4e de cette édition, à 4 petite malheureuses secondes du 3e, Anthony Perez de Cofidis. Et si ces 4 secondes avaient été perdues dans la débauche d’effort lors de la 1ere étape ? On ne refait pas l’histoire et de toute manière, Benjamin Thomas ne nourrit pas de regrets superflus : il a été battu par plus fort que lui : « Le podium aurait été un bonus supplémentaire, mais quand je vois les trois premiers, c’est largement mérité pour eux. Moi, je suis à ma place ».
La fête attendra car chacun partira à l’issue de la fin de l'épreuve. De toute façon, depuis quelques mois, l’équipe surfe sur une vague qui la pousse vers des rives jamais atteintes jusqu'alors. Les championnats de France devraient être l’occasion de réunir toute l’équipe pour les réjouissances de mi-saison.
De belles dispositions et un palmarès déjà conséquent notamment sur piste. Le récent succès sur les 4 jours de Dunkerque ou bien encore un bon classement général au Luxembourg le pousserait-il à privilégier la route prochainement ? Il n’en est pas question ! Benjamin Thomas est homme d’objectifs, et la cible dans son viseur, ce sont les jeux Olympiques de Tokyo en 2020. D’ici 3 ans, il va falloir s’habituer à voir le coureur de l’équipe de l’armée de terre mixer harmonieusement piste et route : « Il me reste encore 3 ans à me préparer pour me qualifier en Omnium ou en poursuite par équipe. Pour les 2 - 3 prochaines années je ne ferai pas de choix entre les deux disciplines, d’autant qu’on a bien vu aux derniers JO qu’elles marchent bien ensemble ». Sur route, les ambitions futures passent par d’éventuelles ardennaises comme Liège Bastogne Liège, ou bien la Flèche. Mais pas vraiment par les classiques de mars, malgré son profil de pistard : « Les flandriennes, j’affectionne un petit peu moins parce que je ne suis pas à l'aise sur les pavés ». Aujourd’hui que peut viser ce diamant qui reste à polir ? Puncheur, rouleur, grimpeur ? Sans doute un peu de tout cela et le jeune homme qui ne manque pas d’ambitions, se prend à rêver aux courses rugueuses d’une semaine : « J’aime bien les courses à étapes, avec des enchaînements de jours de course. Pourquoi ne pas tenter de jouer des classements généraux un jour ? Les courses à étapes, comme le Dauphiné ou le Tour de Suisse sont des courses montagneuses mais j'espère devenir un coureur de ce profil-là dans les années à venir ».
Quant à l’avenir proche il ne passe peut-être pas par l’Armée de Terre, le contrat de 3 ans, liant Benjamin Thomas entre lui et l’équipe de David Lima Da Costa arrive à échéance d’ici la fin de l’année. Une éventuelle prolongation passera par une promotion de la structure au niveau continental : « Je garde en tête que le cyclisme est en difficulté avec de nombreux coureurs sans contrats donc il faut aussi être pragmatique. Si je dois faire un choix, je le ferai un peu plus tard dans la saison, mais je fais confiance à David pour faire évoluer l'armée de terre au plus haut niveau l'année prochaine et dans les années futures ».
D’ici cette fin de contrat, il reste de toute façon encore de bien belles épreuves à parcourir avec la tunique des hommes camouflés. Les 4 jours de Dunkerque, Le Tour de Luxembourg et la piste nous ont rendu un verdict : la France tient en Benjamin Thomas l’un des coureurs les plus prometteurs du cyclisme tricolore.
Propos recueillis par Bertrand Guyot