Récit : le Tour du Rwanda d'Adrien Guillonnet, 2ème partie : du départ à la mi-course

Récit : le Tour du Rwanda d'Adrien Guillonnet, 2ème partie : du départ à la mi-course

Récit : le Tour du Rwanda d'Adrien Guillonnet

2ème partie : du départ à la mi-course

1ère étape : Kigali - Kigali – 102km – 1100m d+

On ne sait pas comment la course va se dérouler avec 75 coureurs au départ et des équipes de 5 coureurs seulement, voire 4 pour certaines. On s’attend à une première étape débridée, couru à vive allure sous l’impulsion de nombreuses attaques. Avec un risque qu’une échappée prenne le large et finisse avec une avance non-négligeable si personne ne prend la course en main dans le peloton.

Départ sous la pluie, mais très vite cela cesse et cela sèche. Echappée de 3 coureurs partis dès le départ réel à l’initiative de mon coéquipier Florian Hudry. Derrière cela se regarde, on roule au ralenti. Quelques tentatives de relances, en vain, si ce n’est un coureur, Moise Mugisha, qui opère la jonction devant. Puis Astana et Israël Cycling Academy mettent un gars à rouler et l’allure augmente progressivement, accordant un maximum de 5’ d’avance aux 4 fuyards. En plus d’être courte, cette étape s’avère donc très calme, contrôlée et très facile dans les roues. Certainement l’étape la plus tranquille que j’ai pu courir jusqu’à présent.

Les échappés sont repris en rentrant dans Kigali. Il reste alors presque 2 tours de circuit final à parcourir, composé d’une descente de 2km et d’une montée de 2km, irrégulière avec une première rampe de 500m, 1km de replat, 800m de montée et 100m de plat après un virage à angle droit. La première montée se fait à allure rapide, marquée par l’attaque de Contreras qui lève les bras au passage sur la ligne pensant qu’il s’agissait de l’arrivée. De mon côté je reste en retrait avant de remonter lors de la dernière ascension. Je vois Pablo Torres en bonne position, la veille il a été dit au briefing que c’est le genre d’arrivée qui lui convient. Ne me sentant pas capable de faire un top 10, je décide de le replacer pendant tout le replat à côté du train d’Israël Cycling Academy qui emmène le peloton. Au pied de la partie la plus raide je m’écarte, une partie du peloton me double mais j’essaye de m’accrocher pour perdre le moins de temps possible. Pas de chance, Pablo Torres n’était en fait pas dans une bonne journée et se situe juste devant moi. Au final Fedeli de Delko gagne l’étape et je termine en ayant pris quelques cassures, en compagnie de Gauthier Navarro qui avait suivi l’attaque de Contreras le tour précédent. Suite à des chutes survenues dans les derniers hectomètres mais qui n’ont pas eu d’impact sur la plupart des cassures, les commissaires revoient plusieurs fois les temps du classement, et au final décident de classer les 40 premiers dans le même temps. Gauthier et moi sommes les premiers classés dans un temps supérieur – 22 secondes - alors que nous finissons juste dans la roue du coureur qui nous précède. Anecdotique pour cette course où les écarts peuvent se compter en minute à priori, mais pas très compréhensible.

2e étape : Kigali - Huye – 120km – 2000m d+

Cette étape est plus escarpée, en particulier durant les 40 premiers km. Le reste de l’étape est plutôt mal plat, constitué d’une succession de courtes montées et descentes. Le temps est menaçant, quelques petites gouttes tombent au départ, mais l’étape restera sèche. Départ rapide avant d’aborder au bout de 5km une première montée de 2km à 6%. Je décide de passer à l’attaque dans l’ascension. Je prends quelques secondes, suivi par trois Africains qui me rejoignent et me doublent en donnant tout pour le classement du meilleur grimpeur. Mais du coup ils éprouvent le besoin de souffler dans la descente et le peloton qui a réagi nous reprend. C’est à ce moment que Pablo Torres et Perrig Quéméneur prennent le large, pendant que le peloton diminue considérablement son allure. Un autre coureur les rejoint. Puis dans un faux-plat bien prononcé Astana relance et étire le peloton, puis cesse son effort à la suite d’une légère redescente. S’ensuit une montée de près de 4km avec des pourcentages intéressants. Mais à part un coureur d’Angola qui reviendra devant, personne ne bouge et le peloton monte à une allure modérée. L’échappée prend ainsi progressivement le large, d’autant plus que les kilomètres suivants sont parcourus toujours à allure modérée, personne ne voulant prendre la poursuite à son compte. Ce qui commence à me faire regretter de ne pas avoir tenté de rejoindre mon coéquipier dans l’ascension précédente, cette idée m’ayant traversé l’esprit. En effet je ne vois pas trop qui va se mettre à rouler pour boucher les 6 minutes d’écart. Mais finalement Protouch puis les Erythréens viennent rouler avec un rythme soutenu et réduisent fortement l’écart, avant que Julien Trarieux permette de reprendre les échappés un par un, Perrig Quéméneur en dernier au pied de la montée d’arrivée à 3km de l’arrivée. La bosse roulante et longue de 2km est montée très rapidement et permet à Merhawi Kudus de prendre une avance suffisante pour remporter l’étape. Personnellement en retrait au pied de la montée je parviens à remonter les cassures et arriver cette fois avec le premier groupe. Le bilan de l’équipe est bon avec l’échappée de Pablo Torres qui lui permet de revêtir le maillot du meilleur.

3e étape : Huye - Rubavu – 211km – 3400m d+

La plus longue étape de cette course, l’étape reine. On reprend en sens inverse les 60 derniers kilomètres de la veille, début de course mal plat donc. La suite ne consiste ensuite qu’à enchainer les difficultés de plus en plus prononcées, avec des passages proches de 2500m. Avant ensuite de plonger sur la rive nord du lac Kivu, à la frontière avec le Congo.

Départ donné à 8h, premier faux plat, premières attaques, mais les coureurs ne semblent pas tous très enclins à aller de l’avant. Je me dis que l’échappée peut donc partir très rapidement. L’intégrer pourrait être intéressant car si elle prend au moins cinq-six minutes comme les jours précédents, cet avantage serait non-négligeable à l’abord des grosses difficultés. C’est ainsi que l’an dernier au Tour de Savoie Mont-Blanc lors de l’étape Chambéry – Saint-Martin-de-Belleville, certains coureurs ont pu basculer avec les meilleurs au sommet du Cormet de Roselend après avoir pris une telle avance entre la sortie de Chambéry et le pied de Bisanne. Je n’en faisais pas partie, donc cette fois j’aimerais ne pas louper le coup si un scénario similaire se reproduit dans cette étape reine au Rwanda.

Premier petit faux plat donc, je tente un contre sur le haut, personne ne me suit et je me retrouve tout seul devant le peloton. Cela se regarde derrière et je prends un peu le large. Là je me dis que l’étape commence mal, car je ne vais évidemment pas faire 200km tout seul. Je continue mon effort sans trop insister non plus, en attendant du renfort, mais finalement c’est le peloton qui revient deux kilomètres plus loin. Les attaques se succèdent maintenant, favorisées par le terrain jamais plat. Peu après un groupe de huit coureurs semblent prendre le large, et le peloton semble laisser filer. Je pars donc rejoindre ce groupe intéressant. Mais derrière le peloton réagit finalement. Przemyslaw Kasperkiewicz passe un gros relai, je le suis. Je me retourne. Il n’y a plus personne, le reste de l’échappée est en train d’être repris par le peloton, qui temporise ensuite. Je me dis que décidément, ce n’est pas l’idéal. Le coureur de Delko continue de passer de gros relais appuyés, l’écart grimpe à trente secondes. Moi j’hésite à me relever, s’embarquer dans une échappée à deux serait une vraie galère. Je poursuis quand même espérant du renfort, que mes efforts depuis le départ ne soient pas vains. L’ardoisier nous indique qu’un contre s’est formé. Il s’agit en fait seulement d’un coureur de Protouch. Puis Moise Mugisha revient à son tour sur nos. Nous voilà donc quatre, et l’écart peine à dépasser la minute. Je me dis que si la prochaine fois que l’ardoisier revient l’écart reste le même, je me relève. Finalement l’écart grandit et me voilà embarqué dans une longue aventure.

J’espère donc avoir au moins cinq-six minutes de crédit de la part du peloton, Astana nous en laisse entre deux et trois. Nous arrivons à en grappiller quatre dans la première ascension peu difficile. Au sommet je me méfie de Moise Mugisha. En effet depuis qu’il nous a rejoint, je le vois passer ses relais très en-dedans ou alors en descente assis sur le cadre, voire tenter de ne pas les passer du tout. Je l’imagine donc très bien disputer les points. Bingo c’est ce qu’il fait, mais j’ai beau m’en méfier, il a plus de giclette que moi.

Dans l’ascension suivante, l’écart chute brutalement à une minute suite à une accélération d’Israël Cycling Academy. Nous accélérons et ne nous retrouvons qu’à deux au sommet avec Kasperkiewicz. Puis il prend un peu d’avance dans une petite descente qui nous mène au pied de la principale ascension du jour. Il creuse peu à peu l’écart, une bonne vingtaine de secondes, mais au fil de la montée je reviens sur lui. Mais peu après l’avoir dépassé, c’est le peloton qui en fait de même avec moi, emmené par les quatre coureurs Astana sur un rythme très élevé (les deux qui avaient contrôlé notre échappée jusque-là étant donc toujours à la barre). Etant déjà dans le dur, je ne peux pas suivre. Je fais le plein de bidons pour pouvoir achever les 80 derniers kilomètres avec une quantité minimale suffisante d’eau. Deux sur le vélo et un dans le dos qu’un enfant tente de me piquer en courant à côté de moi plus loin. Je me retrouve quelques temps plus tard dans un petit groupe que j’ai bien du mal à suivre jusqu’au bout, je suis épuisé et parfois c’est limite si je vois des étoiles. Les kilomètres sont longs, l’étape interminable, j’ai mal quasi partout, mais heureusement le long final descendant permet de faire défiler la fin d’étape plus rapidement. Je termine à 22 minutes de Merhawi Kudus, s’en est donc fini pour le classement général, au contraire de mon coéquipier Hernan Aguirre quatrième de l’étape et du général.

S’ensuit ensuite un nouveau périple pour trouver l’hôtel, sous la chaleur pour la première fois depuis notre arrivée au Rwanda. Construit sur de fortes pentes, il permet de se détendre les jambes dans des escaliers qui ont peu à envier à ceux de la Croix-Rousse et d’avoir vue sur le lac Kivu et sa forte nébulosité.

 

Le lac Kivu depuis l’hôtel. Le coucher de Soleil permet de mieux apercevoir les montagnes congolaises

4e étape : Rubavu - Karongi – 101km – 1800m d+

La distance peu élevée de cette étape est la bienvenue après les efforts de la veille. Courte mais pas de tout repos. En effet après une brève boucle dans la ville, on grimpe d’entrée une montée d’un kilomètre avec des passages à plus de 10%. Mais ce n’est pas tout, certes les pourcentages sont plus roulants par la suite, mais jusqu’à l’arrivée la route ne fait que de monter ou de descendre en longeant à distance respectable le lac Kivu. 

Le départ est rapide, une échappée conséquente prend le large dans la petite boucle en ville. Finalement tout rentre dans l’ordre après la bosse à la sortie. Première alerte. Un petit groupe prend ensuite un peu d’avance avant d’aborder une longue partie en faux plat montant. A partir de là, la course devient incontrôlée. Je ne sais pas trop comment, un groupe de contre conséquent se forme. Je me trouve dedans avec mon coéquipier Pablo Torres, cela ne collabore pas trop. On voit l’échappée juste devant nous. J’essaye d’organiser le groupe, mais je semble le seul motivé. Alors voyant des pourcentages un tout petit peu moins roulant et un premier classement des grimpeurs s’approcher, j’effectue seul juste avant celui-ci la jonction avec le groupe de tête. Et là stupeur, l’entente n’est pas meilleure que dans le groupe que je viens de quitter. Cela permet à des coureurs de revenir progressivement de l’arrière, comme Pablo. Les attaques continuent de se succéder, je me retrouve quelques kilomètres avec un autre coureur. Une fois repris, Samuel Mugisha attaque. Pablo Torres va le chercher pour lui demander d’arrêter afin de donner une organisation à notre groupe. Finalement ils se retrouvent à partir à quatre coureurs, puis plus tard trois, et iront jusqu’à l’arrivée comme ça. Derrière, sur la dizaine de coureurs qu’il reste, nous sommes plusieurs à avoir un coureur devant. Mais plusieurs coureurs sont en binômes et ne sont pas représentés dans ce groupe de quatre. Je m’attends donc à ce qu’ils réagissent. Mais non, rien ne se passe, tout le monde se regarde. Cela permet au reste du gros groupe de contre initial de revenir sur nous. Encore plus loin, j’ai su après l’arrivée que la course était chaotique aussi dans le peloton.

J’assiste à une scène du même genre dans la montée suivante. Dans la partie le plus raide, à l’approche du sommet, avec un Kényan je suis l’attaque de deux coureurs érythréens qui fait éclater le groupe de contre. Nous ne sommes alors vraiment plus loin de l’échappée. Mais les Erythréens ne veulent pas rouler, moi c’est compliqué ayant Pablo devant. Je me dis qu’ils sont peut-être à fond, je tente d’attaquer, mais ils suivent à chaque fois sans trop de difficultés, mais ne poursuivent pas leur effort. Nous basculons avec le renfort d’un autre Kényan, mais toujours sans qu’aucun de ces deux duos ne veuillent s’organiser. Logiquement nous sommes repris par une partie du reste du groupe de contre.

Le final de l’étape ne va pas montrer beaucoup plus d’organisation et va continuer d’écrémer le groupe. Nous revenons tout de même sur les talons de l’échappée dans le dernier kilomètre, constitué d’un talus en première partie puis d’un faux plat descendant. Un des Erythréens parvient même à prendre la troisième place, tandis que je loupe de peu la cinquième, ayant dû relâcher mon effort avant la ligne car à ma gauche j’avais les barrières, à ma droite le coureur espagnol de Novo Nordisk qui termine finalement cinquième et qui peinait à me remonter, et devant moi la moto qui filmant l’échappée sur laquelle je revenais dangereusement. Pablo termine lui à une belle deuxième place, battu par plus rapide.

A postériori, c’est probablement l’étape où je me suis senti le mieux. Plutôt inattendu après avoir fini très difficilement l’étape de la veille. Peut-être aussi que le bordel qui a régné dans cette étape casse-patte a été un avantage. C’est aussi l’étape qui nous a emmenés dans ce que j’ai vu de plus beau au Rwanda durant notre séjour. Cette partie au bord du Lac Kivu est vraiment sympathique et moins nébuleuse qu’au nord. Le lac est tellement grand qu’on pourrait imaginer que ce soir une mer si on n’arrivait pas à percevoir les montagnes congolaises de l’autre côté. Nous étions logés au bord de l’eau, nous avons même pu faire un tour en bateau depuis l’hôtel, c’était donc un cadre bien agréable, paisible et reposant après deux étapes mouvementées.

  

L'hôtel au bord du lac Kivu

Par Adrien Guillonnet (1ère partie à retrouver ici)

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