Récit : Adrien Guillonnet revient sur son drôle de début de saison
Début janvier 2020, l’épidémie de la covid-19 fait rage en Chine. Elle me parait bien loin de la France et pas très menaçante des informations que je peux lire. Une simple grippe. Je suis plutôt concentré sur mon début de saison, étant donné qu’avec ma nouvelle équipe Saint-Michel - Auber 93, le programme du mois de février est très chargé. C’est même la partie de la saison la plus intense pour l’équipe qui compte sur moi pour essayer de m’illustrer au mieux sur des parcours escarpés, au milieu d’une concurrence très relevée. C’est aussi pour moi l’occasion de profiter de tels profils, devant ensuite attendre l’été pour retrouver des terrains similaires. J’essaye donc de m’entraîner au mieux, avec notamment plus d’intensités que d’habitude à cette période. Avec ce conditionnement psychologique, j’ai même parfois l’impression d’être au milieu du printemps, alors que nous ne sommes encore qu’au plein cœur de l’hiver.
Malheureusement, dès la première course cela commence mal de mon côté : alors que je suis plutôt en bonne position au sommet de la route des Crêtes sur le Grand Prix de la Marseillaise, juste avant de plonger dans la descente, je me fais surprendre par une rafale de vent et je me retrouve à suivre et plonger sur Jan Bakelants dans le bas-côté. Chute quasi anodine physiquement, mais première occasion ratée pour l’équipe et moi. Même si heureusement pour l’équipe, Anthony Maldonado a pu basculer avec le peloton et réaliser un beau sprint. Pour l’anecdote, la validité de ma performance artistique est vérifiée par un contrôle antidopage.
Deuxième épreuve, l’Etoile de Bessèges. Sa première étape est plate, mais le mistral souffle à près de 80 km/h en rafale. Inévitablement, des bordures se forment. C’est à la limite d’être vraiment dangereux par moment. Le peloton est nerveux. A l’amorce d’un nouveau passage vent de côté, nous abordons un giratoire, je me retrouve embarqué dans la file qui passe par la gauche, et lors de la jonction des deux files à la sortie, nous nous percutons avec Diego Rosa. Je n’ai absolument pas compris ce qu’il m’arrivait, on m’a expliqué la chute plus tard après l’étape. Je me relève et repars pas très heureux, déjà que cette étape ne me plaisait pas trop. Le staff m’encourage, il y aura des étapes plus favorables. Mais les kilomètres défilant, mon poignet droit commence à se signaler et à me gêner un peu. Je termine, et après l’étape cela ne me parait pas terrible. Ça me rappelle une chute deux ans auparavant, où bien qu’en n’ayant pas de trace de fracture à la radio, j’avais été incapable de bouger mon poignet et de tenir correctement mon guidon les jours d’après. Je suis donc sceptique pour reprendre le départ le lendemain. Je tente quand même le coup, en pensant abandonner rapidement. Finalement malgré les trous et les nombreux dos d’âne tout le long de l’étape, je m’en sors plutôt bien et j’arrive à terminer l’étape sans trop galérer. Mais le soir Stéphane Javalet trouve qu’il est plus sage d’arrêter la course, afin de bien soigner mon poignet et mes plaies en vue des prochaines courses.
Le lendemain matin Stéphane insiste pour que j’ailler passer une radio afin d’être sûr qu’il n’y a pas de fracture, et à ma grande surprise le pisiforme (dont je découvre l’existence) est fracturé. J’encaisse un peu le coup, et je commence à me dire que les prochaines courses vont être compliquées. J’arrive à échapper au plâtre et à n’avoir qu’une attelle, ce qui est quand même moins handicapant au quotidien. Je rentre chez moi en gardant un peu de motivation car on me parle encore des courses de la fin du mois. Mais finalement, petit à petit, au fil des jours et des discussions, je me fais enfin une raison : il faut faire une croix sur toutes ces courses escarpées du début de saison, et prendre le temps de se soigner correctement. Car de ce qu’on m’a dit, il est courant que les coureurs veuillent reprendre trop vite et se retrouvent un peu handicapés pendant des mois. Malgré l’effectif réduit et les courses peu favorables qui s’enchainent, l’équipe est pleinement compréhensive et me laisse le temps de bien me rétablir. Je continue à m’entrainer au quotidien. Bien qu’en règle générale je préfère l’éviter, le home trainer ne pose pas de problème à mon poignet, et je rechausse les chaussures de course à pied que j’avais délaissées à l’approche du début de saison. Tout cela me permet de garder un peu de rythme et de ne pas perdre tous les efforts effectués durant l’hiver. C’est forcément frustrant d’avoir fait du travail et quelques sacrifices pour rien, de laisser l’équipe qui comptait sur moi. De ne pas pouvoir valider en course, ou invalider, mes efforts et mon approche. Mais d’un autre côté il y a bien pire, globalement je n’ai rien, certaines chutes sont beaucoup plus graves. Et puis avec du recul, il reste des moments appréciables de cet entrainement hivernal, tout n’est pas fait vainement. J’ai notamment eu la chance de pouvoir profiter de différentes régions et de différents reliefs : dans la région lyonnaise, à Calp et Fréjus lors des rassemblements de l’équipe, au milieu des paysages enneigés chez ma compagne en Savoie.
Trois semaines après ma chute, mon poignet semble pouvoir accepter le vélo en extérieur, bien qu’il ne soit pas encore optimal. Il continue ensuite de se remettre progressivement en ordre de marche et à quelques jours de Paris-Troyes, le médecin de l’équipe donne le feu vert pour que je sois au départ de la course. Mais entretemps, le SARS-CoV-2 s’est bien propagé à travers l’Italie et menace désormais la France. D’après ce que je lis, ce virus semble bien plus inquiétant qu’une simple grippe, et jour après jour, je m’interroge de plus en plus sur l’avenir. Des mesures sont prises en France, des compétitions sportives sont annulées à l’instar des championnats de France de cross, pendant que d’autres comme des courses cyclistes ou des matchs de foot ont toujours bien lieu. Difficile d’y voir bien clair, mais je suis de plus en plus pessimiste pour la suite. Alors que Paris-Nice débute et que je viens d’avoir le feu vert pour Paris-Troyes, j’ose à peine évoquer l’annulation de la course et des suivantes. Bien qu’étant plus en retrait de l’effervescence des courses depuis un moment, donc moins la tête dans le guidon que le milieu cycliste en plein cœur des compétitions, j’ai peur d’être trop alarmiste. Je continue donc à faire et à m’entrainer comme si Paris-Troyes aurait lieu, tout en doutant fortement. Finalement les annulations se succèdent et la saison sportive se met en pause.
A ce moment-là, bien qu’informé je ne saisis pourtant pas encore toute la dramaturgie de la situation. Probablement pas aidé par les signaux contradictoires tels que le maintien de Paris-Nice, des élections ou des rassemblements de milliers de supporters de foot. Alors que quelques petits jours après, le « confinement » est acté. Ainsi, juste après l’allocution d’Emmanuel Macron, je me pose la question d’avoir toujours la possibilité de s’entrainer en extérieur, les mesures et le décret étant très flous dans les notions utilisées. J’attends d’en savoir plus, et je comprends mieux qu’il n’en sera rien avec les explications et arguments avancés par certains. J’en prends donc acte : retour sur home trainer. Cette fois la saison de ski est finie, j’étais presque arrivé au bout des épisodes de Baron noir, j’avais bien avancé les vidéos des cours de Jean-Marc Jancovici (que je recommande vivement pour ceux qui ne sauraient pas quoi faire durant cette période, question d’utilité, d’importance et de nécessité publiques à mon sens), les températures augmentent avec le printemps : cette nouvelle session de home trainer s’annonce longue à passer. Surtout que dans ce nouveau cas, il n’y a plus aucune perspective de course, plus réellement d’objectif à court ou moyen terme à se fixer. C’est flou, le loup est bien identifié, mais il n’est pas près de quitter la bergerie.
Cette fois, peut-être car moins dans l’action que début février et échaudé par les conséquences de ma chute, je me suis fait une raison et j’ai tiré une croix plus rapidement sur les courses des prochaines semaines. Déjà que j’y songeais au moment des premières annulations, la suite n’a fait que renforcer cette idée, jusqu’à arriver à mon sentiment actuel. Il n’engage que moi, ne vaut pas grand-chose vu mes compétences proches du néant de la situation que nous vivons, je sais que certains sont plus optimistes que moi, mais parfois je préfère voir les choses de manière négative/réaliste, et être agréablement surpris ensuite. C’est sûr que ce n’est pas forcément l’idéal pour la motivation de groupe, mais cela ne m’empêche pas d’aller de l’avant. Par exemple, au Tour de Guadeloupe, chaque matin je m’attendais à perdre la tête du classement général. Mais j’essayais de tout mettre en œuvre pour la garder durant la journée, et j’étais agréablement surpris de l’avoir toujours le soir. Je suis donc prêt dans ma tête à ce que le « confinement » dure longtemps. Et que la reprise des compétitions ne s’effectue pas avant le cœur de l’été. Lorsque je vois tout dernièrement que des courses annulées étaient prévues en juin, voire fin juillet comme le Tour Alsace auquel l’équipe avait postulé, cela ne m’incite pas à être plus optimiste. Si les courses reprennent plus tôt, ce serait une très bonne nouvelle pour les coureurs, les équipes, l’économie du sport, et surtout signe que les conditions sanitaires et de sécurité sont réunies. Ce qui est l’essentiel, car j’évoque uniquement le sport, mais c’est secondaire dans ce que nous vivons. L’important est de gérer et d’enrayer au mieux cette pandémie, limiter les dégâts et de voir qu’au-delà de notre microcosme sportif, il y a des drames qui se déroulent.
Pour l’instant les perspectives sont donc très floues. J’essaye de me tenir informé, de comprendre ce qu’il se passe et peut se passer. En me référant aux scientifiques spécialistes du sujet et à ce qu’il se passe dans les pays touchés précédemment, j’ai du mal à voir comment nous pourrions envisager un retour rapide aux entrainements sur route, et encore moins aux compétitions. D’autant plus qu’il n’y aura pas la pression des acteurs participant aux JO pour tenter de donner un passe-droit aux sportifs de haut-niveau. La pandémie devrait se prolonger, c’est d’ailleurs le but des mesures actuelles, les hôpitaux ne vont pas désengorger de suite, le personnel soignant ne va pas se trouver d’un coup en sureffectif avec une abondance de moyens, il ne sera pas moins dangereux de faire du vélo, donc j’ai du mal à voir pourquoi les arguments pour ne pas s’entrainer sur la route actuellement ne seraient plus valables dans quelques semaines. Puis une fois que l’entrainement sera malgré tout revenu à la normal, pouvoir participer à des compétitions est une autre histoire. Plus à cause de toutes les contraintes d’organisation et de priorités sociétales que pour une question de forme physique. Cependant, il peut se passer des évènements imprévus dans l’évolution de la pandémie. Je n’oublie pas non plus que l’économie joue un rôle majeur et que celle du sport fait partie des économies impactées. Et comme il n’y a pas que des raisons scientifiques et sanitaires qui guident les décisions politiques – sinon nous ne courrions pas au-devant de catastrophes encore plus graves avec le réchauffement climatique, je garde dans un coin de ma tête la possibilité de reprendre les compétitions plus tôt.
Quoi qu’il en soit, je continue à m’entrainer. Un peu comme à l’intersaison, le home trainer à la place de la route, les beaux jours en plus. Avec une alternance entre home trainer et course à pied, que je n’ai finalement toujours pas délaissée depuis la fin de saison dernière, hormis l’aparté de janvier. Je me retrouve même avec plus de jours de compétition en course à pied qu’en cyclisme. Tant qu’elle est autorisée, et je considère ça comme une chance d’y avoir droit, cette pratique demande tout de même une petite adaptation afin d’être en accord avec les restrictions géographiques et temporelles : il est bien sûr nécessaire de respecter les règles et l’esprit de ce cadre établi. Il m’arrive aussi d’aller faire certaines courses alimentaires en courant plutôt qu’en vélo, ça fait toujours un peu plus d’activité physique. J’ai également la chance d’être actuellement chez mes parents dans le calme entre ville et campagne, c’est plus facilement gérable et agréable à vivre qu’en pleine zone urbaine. Je peux ainsi tout de même voir la nature qui se réveille et se développe un peu plus chaque jour en même temps que le printemps avance, c’est vivifiant.
Le but actuellement est donc de s’entrainer sans autre objectif de garder un minimum de condition physique, chaque jour. Et puis surtout de ne pas être infecté par le virus ni le transmettre aux autres. Ainsi, je pourrai revenir à des charges de travail plus importantes quand l’heure sera à la reprise d’un entraînement plus normal. En fait, j’ai l’impression d’être dans cette situation depuis juin dernier : après les championnats de France, la situation de mon ancienne équipe puis l’intersaison m’avaient rendu sans réelle perspective ni objectif clair à moyen terme, voire à court terme. Je raisonnais semaine par semaine, ou quinzaine par quinzaine. Une Elite Nationale par-ci, une cyclosportive par-là, un Tour de Guadeloupe, une autre Elite, un trail etc. J’avais retrouvé plus de clarté et de perspectives en arrivant à Saint-Michel - Auber 93, notamment avec ce mois de février qui m’avait bien conditionné. Mais chute et pandémie m’amènent finalement dans une situation plutôt familière. Ce n’est pas l’idéal, pas toujours simple à gérer, aussi bien pour moi, pour les autres coureurs, que pour les staffs. Mais encore une fois, je ne suis absolument pas à plaindre, il y a bien pire comme situation. En espérant que les conséquences soient le moins dramatiques possible, pendant et après la pandémie, pour le monde en général mais aussi pour le monde du vélo en particulier, et que l’on arrive à repartir sur de bonnes bases, avec un peu plus de recul, de réflexion. Pour l’instant, il suffit d’attendre, de rester chez soi, sans trop se perdre dans les conjectures. Et profiter du printemps.
Par Adrien Guillonnet