Jérémy Maison vous raconte sa Vuelta : « t’es vraiment au bout du rouleau mon Jérem’ »

Jérémy Maison vous raconte sa Vuelta : « t’es vraiment au bout du rouleau mon Jérem’ »

Que de bonheurs possibles dont on sacrifie ainsi la réalisation à l'impatience d'un plaisir immédiat !”. Ces quelques mots furent jetés de l’encre au papier par Marcel Proust dans son roman Du côté de chez Swann et ce fut armé de ce raisonnement en bandoulière que Jérémy Maison refusa, l’an passé, de courir la Vuelta alors qu’il était au crépuscule de sa toute première saison professionnelle. « Je n’étais pas très chaud », trop tôt pour encaisser 3 semaines de course au plus haut niveau. Partie remise, le rendez-vous fut alors donné avec la compétition espagnole en 2017.

 

«J'ai peut-être été un peu trop prudent au début. »

C’est après le Tour de Pologne, qu’il achève à la 22e place, que le coureur de la FDJ prend la direction des arènes de Nîmes, théâtre somptueux et inaugural du contre la montre par équipe. Les anciens l’ont averti : Il devra faire attention ! Attentions aux chutes qui guettent sournoisement au détour d’un rond-point ou se méfier des sautes d’humeur météorologiques qui soumettent les organismes à rude épreuve. Bref s’économiser. Sauf qu'au final : « Je me suis rendu compte que j'avais peut-être été un peu trop prudent au début, car ça s'est très bien passé. Ce n'était pas aussi terrible que ce que je l’avais pensé ». A force d’en garder sous la pédale afin d’anticiper le coup de moins bien, certaines opportunités sont manquées plus ou moins volontairement. Question d’apprentissage : « J’ai compris qu'à certains moments il fallait savoir récupérer, mais qu'à d'autres moments j’aurai pu me livrer à fond quitte à récupérer le lendemain. Quand tu es grimpeur, tu n'as pas trop de souci à te faire normalement, par rapport aux délais ».

La FDJ, pourtant brillante en début de saison, joue de malchance en cette deuxième partie d’année. Son leader désigné, Sébastien Reichenbach (« J’aurais vraiment aimé l’accompagner ») est forfait pour la course, et c’est une équipe hétérogène qui se présente à Nîmes, sans figure de proue. Guère l’idéal pour maintenir la cohésion au sein d’un groupe perturbé par les transferts ou fin de contrats des uns ou des autres : « C'était un peu du chacun pour soi. Pas très agréable, sur des étapes piégeuses assez difficiles où personne ne protège l'équipe, même si dans l’ensemble on s’est plutôt bien entendu ». Une somme d’individualité plutôt qu’un collectif bien huilé. Paradoxalement, cela ne tombe pas si mal, les hommes en bleu blanc rouge sont là avant tout pour décrocher un bouquet en participant à des échappées, à des aventures individuelles plutôt que collectives.

Après un contre la montre par équipe anecdotique, cap sur l'Espagne, tout en longeant la méditerranée. Les supputations du jour vont bon train : avec les caprices de la météo et la puissance des fortes bourrasques sur les 40 derniers kilomètres, un coup de bordure est envisageable et redouté. L’étape est usante :« C’était une étape hyper nerveuse, tout le monde était à bloc et craignait ce qui pouvait se passer ». Cette crainte est fondée : Marc Fournier chute lors d’un rétrécissement de voie. Il abandonnera le lendemain : logique, telle est la malédiction qui plane désormais comme une épée de Damoclès, sur les épaules des coureurs de la FDJ depuis juillet : « Pourtant on s'était dit en juillet qu'il fallait qu'on finisse tous ensemble la Vuelta (rire). Mais dès le deuxième jour on a perdu Marc et on s’est on s’est dit “oulala il faut pas qu'on finisse à un stagiaire comme sur le Tour du Limousin” ». Les augures ont ainsi décidé de ne pas épargner la FDJ sur la Vuelta.

Seulement 3 jours après le départ, le peloton rencontre les premières difficultés, les premières ascensions de la course, sur ces pentes menant à Andorre. Jérémy termine loin derrière, à plus de 17 minutes du vainqueur du jour, Vincenzo Nibali. Pourtant, lui, le grimpeur longiligne, n’a-t-il à aucun moment rêvé de tutoyer les classements généraux ? Que nenni, il n’a que faire des places d’honneur, il est de ceux qui adhèrent à la devise gravée sur le bras de Thibaut Pinot : “Solo la vittoria è bella” : « Pour moi le vélo c'est soit tu gagnes, soit tu perds... Mais tu vas pas chercher un top 20, quoi, ça n’a pas trop d'intérêt et encore moins sur la Vuelta. Ça ne m'intéressait pas du tout ça ne m'a même pas traversé l'esprit. Autant tout miser sur une victoire d’étape ». Seule la victoire est belle !

 

«On ne peut pas vivre ça dans la vie de tous les jours. »

Les jours défilent tandis que les coureurs plongent en direction de la Sierra Nevada. Jérémy Maison tente sa chance lors de la 5e étape. Non sans peine, car partir en échappée sur ce Grand Tour, ce n’est guère chose aisée :« J’étais vraiment concentré sur cet objectif, je visais une victoire sur la Vuelta. Mais c'était tellement dur tous les jours pour les échappées que pour quelqu'un comme moi, avec seulement deux années de vélo au bagage, c'était compliqué d'aller chercher un succès ». Un scénario peu prévisible pour qui compare la course à la Grand Boucle :« Quand tu regardes le Tour de France, les échappées partent au bout de 500 mètres. Nous, on avait des fois 100 km de bataille avant que l'échappée ne parte !». Le bourguignon s’en va là glaner son premier Top 10 sur un grand Tour, avant de retomber dans l'anonymat du peloton.

Le 26 août est marqué par l’exclusion de Warren Barguil, à l’issue d’un différend avec son leader désigné, Wilco Kelderman :« Je pense comme 99 % du peloton que c'était une sanction excessive...Il a commis une faute, ok, ça mérite peut-être une bonne rouste le soir, une bonne engueulade, mais pas une exclusion. Surtout pour un coureur de la classe de Warren Barguil ». C’est d’ailleurs ce même Warren que Jérémy annonce rejoindre le 29 août. L’affaire était entendue depuis juillet, et la rumeur enflait depuis quelques jours, depuis que le Télégramme avait vendu la mèche. Marc Madiot voulait le prolonger, mais le diplômé en kinésithérapie ne partageait pas les ambitions du projet qui lui était présenté par le Mayennais. D’autant que l’ancien vainqueur du Tour de l’Avenir le courtisait depuis quelques temps :« On en parlait depuis quelques semaines. Ce ne sera plus du World Tour, mais est-ce que j'ai encore envie de courir en World Tour, dans le 2e ou 3e front plutôt que de courir dans le premier front avec un grand leader comme Warren ? C’était le meilleur choix à faire ».

Jérémy Maison a beau en garder sous la pédale, les microbes pernicieux de fin d’été n’en ont cure. Le voilà au lendemain de la journée de repos, enrhumé, fatigué et stressé. Le temps est aux averses, à cette pluie qui s’infiltre, insidieusement, dans les textiles et transit de froid les corps des athlètes. La journée est épuisante, la bagarre fait rage devant, et il va falloir 100 kilomètres avant que l’échappée ne prenne le large et permette au peloton de souffler enfin. Le bourguignon grelotte sous son casque, mais tient bon : « Quand on est arrivé au dernier col à 10 bornes de l'arrivée, là je me suis dit “T’es vraiment au bout du rouleau mon Jérem’“ (rire) », il lui faudra quelques jours pour s’en remettre, dont 2 où il devra délaisser son compagnon de chambrée, Anthony Roux : « Un coureur que j'apprécie beaucoup car réglo et très sympa ». La pluie, la maladie et l’isolement n’auront pas raisons de la bonne humeur de Jérémy Maison.

Les étapes s'enchaînent comme les difficultés. Devant la bataille fait rage, Froome impérial bénéficie de l'hégémonie de la Sky sur la course. Cette course qui n’est pas celle de Jérémy Maison, relégué dans le grupetto. Ce qui ne l'empêche pas de boire jusqu’à la dernière goutte cette douce extase que provoque l’ivresse des sommets :« Il y avait ce public magique...Tous les jours c'était incroyable ! Parfois on montait des murs de 30 % entourés d’un monde pas possible, ça criait de partout... J'étais vraiment comme un gosse. Un moment j'étais tout seul dans une montée avec des Français qui criaient mon nom. Je ne pensais pas que quelqu'un pouvait me reconnaître. Ça vous donne des frissons au point d'en oublier le mal aux jambes, c'était exceptionnel, on ne peut pas vivre ça dans la vie de tous les jours ».

 

« Je voyais Contador qui attaquait avec Lopez. Là j’étais dans la télé. »

Si le jeune coureur de la FDJ ronge son frein en queue de peloton, il n’en reste pas moins comme les tous autres cyclistes qui composent cette Vuelta, témoin du show Contador. Le pistolero, c’est un peu un modèle pour cette jeune génération. Alors comment ne pas mesurer la chance de pouvoir vivre ses derniers coups de Trafalgar sur le vélo ? « Contador, c'était exceptionnel ! Je me disais “purée, je vis quand même sa dernière course !” ». D’autant que l’espagnol impose le respect à ses confrères et reste très abordable : « Tous les jours tu lui dis un petit mot, il te regarde, il sourit et te répond. C'est vraiment un bon mec... d'ailleurs pour l’anecdote, sur la ligne de départ il ne porte pas son casque. Je trouve que c'est un vrai respect vis à vis du public, alors que parfois, tu vois des coureurs qui vont signer sur le podium avec leurs casques, leurs lunettes... limite ils portent un foulard pour pas qu'on les reconnaisse ». Mais au-delà d’être un “type” bien, Contador, c’est avant tout l’incarnation du feu dans peloton. Nul ne sait quand il prendra forme mais nul ignore que les braises couvent quelque part et qu'elles ne manqueront pas de s’incarner en une flamme vivace et jaillissante, à un moment donné de la course.

Ainsi jour après jour, le Pistolero tente, encore et encore. Trop loin pour viser la victoire finale mais peu importe. Jérémy Maison à la chance de se trouver par moment aux premières loges : « Mercredi, je m'étais dit de suivre les meilleurs jusqu'au plus loin que je pouvais. Je suis arrivé au pied de la dernière montée dans la roue des Sky. Une montée terrible, des pourcentages à 30 %, la route humide, La roue arrière qui patine...et devant, je voyais Contador qui attaquait avec Lopez. Là j’étais dans la télé (rire) c'était incroyable de sentir la foule comme ça derrière lui ». La bataille sera épique, jusqu’au bout de cette Vuelta, jusqu’à ce final tant craint, la terrible montée de l’Anglirü.

117 km, 3500 mètres de dénivelé, la pluie, des descentes dangereuses qui en envoyèrent plus d’un sur le tapis naguère, voilà le menu qui attend les coureurs, ce dernier samedi de Vuelta.  Avec pour hors d’œuvre l’Angliru et ses monstrueux pourcentages. Sur cette étape, Jérémy maison s’offre une cure de souffrance et de plaisir. Prudence sur les passages dangereux, puis une montée avec pour seuls acteurs, lui, son vélo, et la foule. Les jambes tétanisées par l’effort, et pourtant le sourire aux lèvres le bourguignon grimpe ce col, coup de pédale après coup de pédale. Il a beau souffrir, il jubile juvénilement :« J’y ai pris un maximum de plaisir, en pensant aux gens qui auraient aimé être à ma place. Pffff, c'était un truc de fou, les 6 derniers kilomètres. Contador il devait monter à 10 kmh, j’imagine et moi, à des moments j’étais à 6, 7 kmh. On ne trouve pas ça en France, c’est un truc incroyablement dur ». Madrid approche au sommet, il reste à peine 1 kilomètre pour l’imaginer. Si loin et si proche à la fois : « ça descendait sur le dernier kilomètre et j'étais bien content. Surtout que je savais que j’avais terminé ma Vuelta. Pour moi, l'arrivée n’était pas à Madrid, elle était au sommet de l'Angliru. Et c'était beau ».

Le temps d’un transfert vers la capitale madrilène, et nous voici à l’aube crépusculaire de cette Vuelta. Cette étape, habituel critérium de fin de Tour, sent bon les effluves tristement joyeuses du parfum des adieux. Madrid va être le théâtre de l’acte final de la pièce jouée par Contador. Les derniers tours de roues, les dernières cartouches du Pistolero. Jérémy Maison, le sait, le moment est historique, au point de reléguer au second plan, celui sportif, du doublé de Christopher Froome. Au sein du peloton avant le départ de la course, le coureur de la FDJ, se faufile au sein de la meute des cyclistes bien heureux d’en finir aujourd’hui. Prévoyant, le Jérémy Maison s’est alourdi de quelques grammes inhabituels. Un smartphone, pour un selfie sans prix : « C'était vraiment sympa, c’est un truc qui va me marquer encore longtemps. Autour de nous, tu avais tout le public qui scandait son nom. Je pense qu'il n'y a pas beaucoup de coureurs qui ont osé mais à mon avis beaucoup auraient aimé faire la même chose que moi ». Spectateurs comme cyclistes professionnels, tous sont finalement égaux en émotions, face à leurs idoles.

Le peloton entame les derniers kilomètres qui les séparent de la ligne d’arrivée. Contador bénéficie d’un bon de sortie temporaire, afin de lui laisser goûter les délices des adieux en solitaire, face à la foule admirative : « C'était à en avoir des frissons. Ce passage à Madrid le marquera à vie, finir comme ça c'est beau ». La course reprend son droit, Froome bataille pour ravir à Trentin le maillot vert, puis arrive la ligne finale, le sprint. La fin de la Vuelta et le temps des bilans, avant d’en finir peut-être par un dernier tour de piste à la FDJ en Lombardie : « En franchissant la ligne, je me suis dit : “ ça y est c'est fait j'ai bouclé mon premier grand tour ! J'ai réussi à le faire !”. Et maintenant je n’ai qu’une hâte : vivement le prochain ! (rire) ».

En attendant qu’arrive le prochain, nul doute que cette Vuelta 2017 laissera un agréable parfum de souvenir à Jérémy Maison. De celui que dégagent les madeleines sans nul doute.

 

Propos recueillis par Bertrand Guyot

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