Dans le cadre de notre focus sur la formation, Vincent Lavenu a pris le temps de répondre à nos questions. L'occasion pour nous d'évoquer avec lui les différentes équipes de jeunes qui composent la structure Ag2r-Citroen, mais aussi la passerelle entre la U19 et la U23.
Pour commencer même si ce n’est pas le sujet, un mot sur la 500ème victoire d’Ag2r, j’imagine que c’est quelque chose qui vous touche. Quel est le sentiment qui domine à l’évocation de ce chiffre ?
C’est un chiffre important, je ne sais pas s’il y a beaucoup d’équipes actuelles qui ont un palmarès aussi important en termes de victoires. Nous sommes présents depuis 1992, et c’est difficile de sortir un succès en particulier, quel que soit la victoire, chacune d’entre elles a procuré des émotions particulières. Cela montre aussi que la structure a su évoluer, grandir, et se maintenir au fil des années au plus haut niveau, et c’est ce dernier point la véritable difficulté, maintenir une équipe au plus haut niveau, face à une forte concurrence mondiale.
Est-ce qu’il y a un peu de fierté aussi quand vous regardez le parcours accompli depuis le début ?
Je ne suis pas trop du genre à regarder dans le rétro et à tomber dans l’autosatisfaction, mais je ne vais pas non plus tomber dans de la fausse modestie, je suis fier d’avoir créé cette équipe et d’avoir réussi à la faire perdurer, mais je ne suis pas tout seul, je suis entouré de gens qui se sont battus avec moi depuis le départ.
Dès la création de l’équipe il y avait un tas de bénévoles qui étaient avec nous pour lancer le projet, et peu de gens croyaient en nous. Il y avait un véritable enthousiasme local à Chambéry pour mettre tout ça en place et l’équipe a pu voir le jour, avec des hauts et des bas forcément et des amis qui ont apporté de l’aide. Je pense par exemple à Jean-Yves Grand que je me plais à citer car il a été important pour la pérennité de notre groupe en me faisant notamment rencontrer la direction de Casino, quand Chazal a décidé d’arrêter.
Cette histoire, elle est faîte de rencontres, d’hommes et de femmes fidèles qui sont là depuis le départ comme Laurent Biondi, Arturas Kasputis, mon assistante également qui est présente depuis le premier jour. Il y a beaucoup de personnes derrière ce projet, sans oublier les coureurs bien entendu, car c’est eux qui nous ont mis dans la lumière, ainsi que tous les sponsors qui se sont succédés.
Donc oui, il y a de la fierté, mais surtout par rapport au fait d’avoir maintenu une équipe au plus haut niveau face à une concurrence mondiale très élevée, ainsi que d’avoir su fidéliser tous nos partenaires pour continuer à vivre cette aventure au quotidien.
Est-ce que vous vous voyez aller jusqu’à la 1 000ème ?
(Rires) Non non , le poids des années fait son œuvre, j’ai aujourd’hui 66 ans.
Mon objectif, est d’assurer la continuité de l’équipe après mon départ. On sait que le partenariat avec Ag2r court au moins jusqu’à fin 2025, si Ag2r décidait de stopper l’aventure, cela fait tout de même 27 ans qu’ils nous soutiennent, cela adviendra donc bien un jour, il nous faudra trouver un repreneur quand le temps sera venu.
L’objectif principal est donc bien que ça continue après 2025, que ça ne s’arrête pas avec moi et qu’un manager reprenne le flambeau tout en étant capable de le faire encore grandir.
Pour rentrer dans le vif du sujet, et tout d’abord la structure U19, quel regard portez-vous sur le travail effectué par l’équipe juniors, qui regroupe de nombreux talents ?
Alexandre Chenivesse et son staff réussissent tous les ans à faire venir des coureurs de dimension internationale, et on l’a vu encore cette année avec de très bons résultats, comme celui de Niels Michotte qui remporte Paris-Roubaix, mais aussi beaucoup de succès de manière générale.
C’est une bonne chose, car cela montre que la structure est attrayante et dynamique, tout en permettant aux jeunes de rester dans leur club, ce qui est plutôt valorisant pour ces derniers qui conservent leur coureur tout en leur permettant de participer avec nous à des courses internationales, et je trouve que c’est un bon système.
Malgré cette accumulation, on a l’impression de l’extérieur que la passerelle entre la U19 et la U23 n’est plus forcément automatique ? Qu’est-ce qui explique cela ?
Oui c’est vrai, le monde du vélo a évolué depuis quelques années, on sait très bien que les jeunes sont pressés, que les offres sont formulées dès les juniors pour aller directement en World-Tour pour certains. Le concept du centre de formation tel qu’il a été défini c’est tout d’abord de mener à bien le double projet (études et cyclisme), ce qui a très bien fonctionné jusqu’ici, avec notamment Romain Bardet, Pierre Latour, Nans Peters, Benoit Cosnefroy, Aurélien Paret-Peintre etc.
Après on sait très bien que depuis quelques années, il y a un effet « Evenepoel » et tout le monde se jette sur les jeunes coureurs de 17 à 18 ans pour les faire passer en World-Tour ou en Pro Team, donc logiquement, l’offre telle qu’elle a été pensée à la base par le CCF, elle touche un peu moins de monde, puisque rapidement, et notamment au niveau français, les juniors se voient offrir des contrats au niveau continental. Même si ce n’est pas vrai pour tout le monde car certains sont toujours attachés à cette bi-qualification.
Il faut donc arriver avec notre filière de formation à trouver le bon équilibre pour ne pas perdre une partie de nos coureurs de la U19 afin qu’ils parviennent à intégrer ensuite la U23. Ce n’est pas forcément facile en ce moment, et il faut donc qu’on réfléchisse tous ensemble à la manière dont on peut recentrer notre formation pour qu’on tire le meilleur des différentes structures.
Le cas le plus parlant c’est Romain Grégoire, est-ce que ce n’est pas un peu agaçant de l’avoir vu partir ?
Romain était dans notre structure U19, et ça fait très longtemps que le cyclisme français n’a pas vu un jeune aussi talentueux, et forcément, on aurait aimé le conserver. Après le concernant, il y avait à prendre en compte la question de la proximité, il vit à Besançon, sa famille est là-bas, son entraîneur aussi, et la difficulté pour nous elle était là.
Même si on était un peu frustrés de le voir partir on comprend sa décision, et on reste en bons termes.
Enzo Paleni avait aussi quitté la structure, et plus récemment Noa Isidore et Léandre Lozouet, est-ce que vous craignez un exode massif cette année, avec Maxence Place, Niels Michotte ou encore Estevan Delaunay ?
C’est pour ça qu’il faut qu’on se rencontre rapidement avec nos partenaires, ce qui est d’ailleurs prévu au mois de septembre, afin de définir l’orientation que l’on donne à notre formation, et comment on l’a fait évoluer, pour justement éviter qu’une bonne partie de nos coureurs partent sous d’autres cieux. Il faut donc qu’on mette en place une structure qui nous permette de garder nos coureurs, mais sans pour autant remettre en cause le savoir-faire du CCF qui a porté ses fruits et porte aussi certaines valeurs.
Est-ce que le salut va automatiquement passer désormais par un passage en Conti pour la structure U23 ?
C’est une des pistes de réflexion qu’on va mener en accord avec nos partenaires, parce que tout ça nécessite des finances bien entendu.
Si il y avait une réticence du CCF à l’idée de passer en Conti, est-ce qu’on pourrait aller voir ailleurs du côté d’Ag2r ?
Non non, d’abord on en est pas là, l’histoire du CCF avec l’équipe pro elle est riche, et elle est porteuse de valeurs tout en ayant fait ses preuves, donc il n’est pas question de remettre quoique ce soit en cause, il faut simplement qu’on évalue notre façon de fonctionner aujourd’hui, et qu’on adapte notre système avec efficacité. Mais encore une fois le CCF a fait ses preuves et permet à des gamins de poursuivre leurs études tout en faisant du vélo, mais après nous on doit trouver la bonne formule pour faire en sorte que nos meilleurs juniors puissent rester dans notre giron.
Tout ça ce sont des pistes de réflexion qui sont sur le tapis, et très rapidement, on va réfléchir à cette évolution.
Pour résumer, on se donne encore un an pour décider de la suite chez Ag2r-Citroen ?
Oui, car pour 2023, tout est en route, mais assez rapidement on va devoir réfléchir comme je l’évoquais à ce que sera notre structure pour 2024, et au plus tard, il faudra que tout soit calé au printemps prochain.
Pour passer à la formation de manière générale, qu’est-ce qui a le plus changé selon vous ces dernières années ?
Je pense que c’est la capacité pour les jeunes d’arriver très vite au plus haut niveau. Il y a Evenepoel, Ayuso, Rodriguez, et tout un tas de coureurs qui aujourd’hui dès 19 ans sont capables de jouer avec les meilleurs. Quinn Simmons par exemple était en mesure chez les juniors d’encaisser des charges de travail incroyables, alors qu’il y a 10-15 ans, les juniors faisaient maximum 15 ou 16 000 kilomètres par an. On a aussi des entraînements très poussés, des stages en altitude, et tout ça fait que quand ils arrivent chez les pros à 19 ans, ils sont au top niveau. On le voit avec Sheffield et autres qui sont à un niveau incroyable.
Est-ce que ça ne rend pas les choses plus compliquées par conséquent pour un manager de détecter la marge de progression des jeunes talents ?
En effet, on sait très bien qu’il existe une marge d’erreur chez les juniors, et quand on observe les statistiques, ce ne sont pas forcément les meilleurs mondiaux qui font ensuite les plus belles carrières chez les pros. En ce moment c’est un peu l’euphorie et tout le monde se jette sur les jeunes coureurs, mais il faut voir ce que tout ça donnera sur une période un peu plus longue.
Est-ce que ces coureurs qui sont censés devenir des apprentis champions le seront toujours dans 4 ou 5 ans, c’est difficile à dire. Ce qui est certain, c’est que toutes les équipes sont très attentives à tout ça, et on se rend compte que des formations suivent les coureurs dès la catégorie des cadets, et tentent déjà de les attirer dans leurs filières.
Donc voilà, c’est un peu la course à la jeunesse, il ne faut pas refuser cela, mais observer, être attentif, sans toutefois trop se précipiter, car je crains qu’il y ait beaucoup de jeunes qui se retrouvent ex-professionnels à 22 ou 23 ans, tout en ayant tout sacrifié pour leur carrière sportive, et risquent de se retrouver sans emploi très rapidement.
C’est aussi pour cela qu’on est inscrits dans un projet inverse, qui permet de laisser du temps au temps, et de laisser la possibilité aux jeunes de pouvoir poursuivre leurs études. Tout cela est un peu balayé désormais par certaines équipes.
Il ne faut pas refuser cela, sans non plus trop se précipiter et donc trouver le bon équilibre.
Est-ce que Remco n’a pas été un « mal » avec des agents et des entourages qui poussent forts désormais, et que justement comme vous le dîtes, on risque de retrouver vite des jeunes sur le carreau ?
Oui, Remco il a déjoué tous les codes en arrivant très tard au vélo, et en affolant tous les compteurs dès ces débuts. Mais il y en a d’autres comme Uijtdebroeks ou Ayuso, on parle aussi d’un jeune coureur portugais Antonio Morgado, et d’autres. Mais parmi tous ces coureurs, il y en a qui vont forcément faire de très belles choses mais pas tous, donc il faut être attentif, et ne pas renier tous nos fondements. Il faudra trouver le bon équilibre dans la formation pour permettre à nos meilleurs juniors de poursuivre l’aventure avec nous en maintenant une structure U23 attrayante.
Pour finir est-ce que votre métier change aussi par rapport aux jeunes, dans le sens où vous êtes un peu obligé en tant que manager de plus vous intéresser au sujet ?
Non pas forcément, car j’ai toujours eu un véritable intérêt pour tout ce qui se passe chez les jeunes. J’aime voir des courses de cadets et juniors par exemple, mais forcément je ne connais pas tout le monde sur le plan international.
Ce qui est sûr aussi, c’est qu’il y a de plus en plus d’agents qui s’intéressent aux jeunes, qui sont très attentifs au sujet, qui savent valoriser ces derniers auprès des managers, qui n’ont pas forcément la connaissance du sujet au départ, mais comme ils sont mis en avant par ces agents, tout le monde a accès désormais à cette palette de pépites.
Mais encore une fois, on a l’impression que certaines équipes se jettent sur les jeunes pour que la formation voisine ne puisse pas les prendre à leur place, et on arrive un peu à un système qui ressemble au foot, ce qui n’est pas forcément la meilleure chose.
Le risque avec ça n’est-il pas de casser des gamins ?
Il faudra analyser tout ça dans 4 ou 5 ans, pour tous ceux qui sont passés pros depuis 2021. Seront-ils toujours pros ? Seront-ils toujours considérés comme des futurs athlètes de très haut niveau ? Pour certains peut-être mais pas pour tous, et certains vont perdre leurs illusions, la maturité n’est pas la même pour tout le monde, certains comme Quinn Simmons sont matures très tôt, et d’autres ont besoin de plus de temps et arriveront à maturité seulement à 22-23 ans.
Ce qu’il faut, c’est laisser la possibilité aussi à ceux qui ont une maturité plus tardive de pouvoir exister également dans le monde professionnel, tout en leur permettant de faire des études.
Propos recueillis par Charles Marsault (crédit photo : kblb)