Quel est ton ressenti général après une semaine de course ?
C’est un début de Tour assez habituel, avec un contre-la-montre qui a accouché d'un très beau vainqueur, Thomas, qui a montré qu'il fallait compter sur Sky. Et puis comme d'habitude de la nervosité dans le peloton avec ceux qui veulent se mettre aux avants postes, ceux qui souhaitent protéger les leaders et bien entendu, les sprinters. Une belle victoire française avec Arnaud Démare et un Marcel Kittel puissant, avec toujours des petites péripéties comme celle de Sagan. Et enfin, un weekend de folie avec 2 belles étapes de montagne
On a senti le peloton plus nerveux qu’à l’accoutumé. Est-ce ton sentiment également ?
Le calendrier international est tellement fourni, que les meilleurs mondiaux ne sont jamais réunis comme c’est le cas sur le Tour de France. C’est aussi nerveux sur d’autres épreuves, mais il y a beaucoup moins de coureurs capables de jouer la gagne tandis que sur le Tour, ils sont 7,8 coureurs capables de l'emporter. Avec en plus 4, 5 coéquipiers pour les déposer à 200 mètres, ça fait forcément du monde, ça crée des vagues. Mais c'est vrai que ces derniers temps, on assiste de plus en plus à de belles bagarres aussi bien physiques que psychologiques.
Qu’as-tu pensé du déclassement de Peter Sagan
Mon avis personnel sur Sagan : sur le moment il doit être déclassé de l'étape, là-dessus il n’y a pas de problème, c'est normal. Et quand on regarde un nombre incalculable de fois la vidéo, on se rend compte que Cavendish aussi fait une erreur. C'est lui le premier puni, omoplate, retour à la maison. C'était l'occasion aussi pour les commissaires de taper sur la table et de prévenir les sprinters qu'il ne faut pas faire n'importe quoi.
N’est-on pas en train d’assister à une augmentation des tensions entre sprinteurs ?
Je ne dirais pas ça. Il y a toujours eu des petites tensions entre les sprinters, toujours eu des petits coups de coude, des petits coups de pression. On a aussi des petits coups d'épaule et de casques à droite à gauche.... C'est le jeu qui veut ça. Le jour où l'on ne verra plus aucun tirage de maillot dans le foot, on se posera la question de savoir si les mecs savent jouer. Si les sprinteurs ne mettaient pas leur guidon à 2 cm l'un de l'autre, ça ferait pas sérieux. Après il y a aussi des guerres de clocher, les sprinters, ce sont des sanguins donc c'est normal qu'il y ait des réactions qui paraissent disproportionnées, et avec les réseaux sociaux derrière, on en fait tout un pataquès. Comme dirait mon ami Guillaume Di Grazia : avec un morceau de bois, on fait 50 000 cures dents.
On assiste aussi à des règlements de comptes via twitter
Les réseaux sociaux, ça fait pas si longtemps que ça qu'il faut apprendre à vivre avec. Avant on prenait juste son téléphone dans la chambre et c’était un journaliste qui appelait le soir. Ces tweets ça crée beaucoup de micro-histoires, il faut apprendre à vivre avec son temps, ça fait partie du jeu mais ça donne des choses bizarres parfois, il faut toujours faire attention avec ça.
Boasson Hagen qui perd d’un rien face à Kittel, ça t’évoque quoi ?
Il faut vivre avec son temps. C'est vrai qu'il y a 10 ans, ils auraient peut-être fini ex-aequo mais maintenant Il y a une marque qui s'occupe de faire des photos finish très précises. Ils ont réussi à définir que c'était Marcel Kittel qui était devant pour 6 mm donc, voilà 6 mm, c'est 6 mm, ce n'est pas ex-aequo. Fait chier pour Boasson Hagen et tant mieux pour Kittel.
Beaucoup pointent une course verrouillée avant ce week-end.
Si tu te places côté spectateur, oui, ça peut paraître long. Il faut quand même savoir que les coureurs ne sont pas là pour vivre au jour le jour, mais pour faire une course de trois semaines. C'est une course d'endurance où il faut économiser tes cartouches, et si tu prends un coureur et que tu lui dis “tu donnes tout sur 200 bornes“ et que le lendemain il rentre à la Casa, hors délais, on lui dira le lendemain “tu es con d'avoir tout donné hier”. Tous les coureurs sont sous pression car un résultat au Tour de France c'est x 10, voire x 100 à tous les niveaux : point de vue média, notoriété et même salaire. Cette première semaine est faite pour les sprinters donc je dis :”messieurs les sprinters régalez-vous et à vous de tirer les marrons du feu”. Alors oui, effectivement, cette première semaine de course elle est quelque peu ennuyeuse sur certains aspects, mais ce n'est pas le bon mot.
La course s’est emballée ce week-end. Quel est votre avis sur les évolutions au général ?
Moi je suis tout à fait bon par rapport à mes pronostics. J'avais mis Chris Froome en favori et aujourd'hui (dimanche) il montre qu’il est le numéro 1. J'avais dit que Romain Bardet savait pertinemment où il en était, parce qu'il s'était préparé, et que quand on a fait deuxième du Tour de France et qu'on reproduit le même schéma de préparation, forcément on est dans le coup. J'avais dit que Nairo Quintana, le Giro l’avait cramé. Quant à Contador, attention, il va se rebiffer mais bon il est loin.
Comment vois-tu les prochaines échéances en montagne ?
J’espère qu'il va y avoir quelques retournements de situation notamment du côté français. Comme on a eu aujourd'hui, avec une équipe AG2R fantastique. Et si seulement, si seulement, ils pouvaient continuer comme ça et déstabiliser les anglais ça serait magnifique.
Qu’as-tu pensé de l’attaque d’Aru lors de l’ennui mécanique de Froome ?
Ça fait partie du jeu. Aru il va dire qu'il l’a pas vu, les images vont dire le contraire. Ça met un peu de piment.
Et penses-tu que les coureurs auraient dû attaquer Froome à ce moment, plutôt que de l’attendre ?
Non il ne faut surtout pas rentrer dans ce jeu-là ! Moi je suis le premier à râler quand il n'y a pas penalty en cas d’erreur d’arbitrage. Si demain les cyclistes commencent à choper ce vice-là, d’attaquer quand il y en a qui crève, par exemple, ça peut vite déborder. Non, tant mieux, les cyclistes sont des gens très bien élevés, avec beaucoup de fairplay. Il faut garder ça !
Peut on parler d’attentisme, de la part des leaders ?
Le très très haut niveau, ça se joue au poil de cul près (sic). Il n’y a pas à tortiller du cul pour chier droit (sic), les mecs qui roulent, avec les entraînements, les compteurs, ils gèrent au watt près. Les mecs sont tellement bons, ils optimisent tellement tout qu’on ne peut plus se permettre de faire des Bernard Hinault comme en 80. Ça n’est plus possible.
Qui t’a bluffé cette semaine ?
Même si ce n'est pas vraiment une surprise, c'est Lilian Calmejane. 2ème année chez les professionnels et 8ème victoire de l'année, une victoire avec la manière hier...Il est très fort il sait où il va. Voilà, chapeau monsieur Calmejane
Et la révélation ?
Guillaume Martin, c'est un peu mon coup de cœur. Au début du Tour, on m'avait demandé qui allait peut-être être la surprise et qui serait celui qui allait se faire connaître du grand public. Moi, j'avais dit “Guillaume Martin”. Guillaume, je pense qu'on va le revoir dans les futures étapes. Aujourd'hui il a perdu un peu de temps mais ça va lui donner plus de liberté.
En parlant de révélation, on a retrouvé Rigoberto Uran. Tu le vois se mêler à la course au podium ?
Non. Pour moi, Uran, il va jouer un top 10. Faire mieux ça va être compliqué, on sait tous que c'est un garçon qui a un ou deux jours sans. Aujourd'hui il m'a bluffé car faire le sprint comme ça, bloqué, c’est fort. Ça fait chier pour Warren... Mais c'est quand même un sacré coursier, Uran, vice-champion olympique, c'est pas quelqu'un qui se loupe souvent. Je pensais qu'il allait se perdre chez Cannondale, d’ailleurs il n'a pas eu beaucoup de résultats depuis qu'il a quitté la Quick Step. Tant mieux pour lui, ce retour.
Pour finir, ton favori pour le maillot à pois ?
Mon favori, après Barguil et pour faire original, c'est Alexey Lutsenko, c’est quelqu'un qui sait prendre des échappées et qui pourrait se joindre à la course aux points. Ou alors : Richard Virenque ! Quand il arrive chez les RP (Rois de la Pédale), il a 2 grammes (rire), il est sur une bonne dynamique. Oui, je vois bien Richard Virenque !
Propos recueillis par Bertrand Guyot