Chez certains suiveurs, en particulier ceux venus de l'autre côté des Pyrénées, moins au fait des dernières nouvelles du cyclisme amateur français, ce fut une surprise de découvrir le nom de Feillu au départ de l'Essor Basque, épreuve qui vient d'ouvrir la saison. A tel point que certains se demandaient parfois s'il s'agissait d'un parent de Romain et Brice, les deux frères récemment retraités. Mais c'est bel et bien Romain qui était là, sous les couleurs du CC Périgeux, club de DN2. Après avoir quitté les professionnels il y a un peu plus d'un an, revoilà l’aîné des Feillu avec un dossard. L'ancien vainqueur du Tour de Grande-Bretagne, de Paris-Bourges ou du GP de Fourmies, et bien sûr maillot jaune le temps d'une journée, sur le Tour 2008, a répondu à nos questions. (Entretien réalisé le 12/02/21, avant sa victoire sur le Tour de la Soule, dernière épreuve de l'Essor Basque et première victoire pour Romain Feillu depuis 2016 à Paris-Chalette-Vierzon).
Romain, on vous retrouve sur les routes de l'Essor Basque, où vous étiez déjà venu au début des années 2000, avant de passer professionnel. Le peloton amateur a-t-il changé depuis cette époque ?
On avait déjà des équipes de DN très bien structurées à l'époque, c'était le cas par exemple à Châteauroux, Agritubel ou Nogent, là où j'étais dans ces années-là. Je ne dirais pas que cela a changé tant que cela, j'ai plutôt retrouvé les courses bien débridées que j'avais connu avant. Cela a plus changé chez les professionnels, avec la façon de courir et des courses beaucoup plus aseptisées.
Vous avez bientôt 37 ans, un âge auquel les coureurs ont souvent déjà raccroché. Qu'est-ce qui vous pousse à courir encore et à repartir chez les amateurs ?
J'avais arrêté ma carrière pour la vie de famille, puis est arrivé le divorce. Le vélo c'est ma vie, je continuais à bien m’entraîner car j'ai commencé à organiser des stages, mais avec la situation sanitaire c'est devenu compliqué de ce côté là. J’entraîne également des coureurs élite comme Mickael Guichard ou Thomas Chassagne, et quand je roulais avec eux, j'avais l'impression d'être au même niveau, donc je me suis dis que je ne serai pas ridicule si je reprenais.
Vous avez signé avec le CC Périgeux. Comment envisagez vous vôtre rôle dans ce club ?
C'est une équipe de DN2, avec un programme intéressant. La plupart des coureurs travaillent plus ou moins à côté, ce n'est pas comme en DN1 où les coureurs ne font souvent que du vélo, donc c'est une approche un peu différente. Il y a des jeunes qui ont envie de progresser et besoin de conseils, c'est surtout pour s'occuper d'eux. Que ce soit par exemple en matière de diététique ou de repos. Ils ont souvent tendance à trop en faire et à arriver fatigués sur les courses. Avec l'expérience je sais que l'alimentation ou la fraîcheur compte beaucoup.
Tout en continuant à préparer l'après carrière ?
Mon diplôme d'Etat a été pas mal retardé avec le Covid, puis j'ai commencé à organiser les stages de vélo mais c'est devenu très compliqué, voire impossible pour l'instant à mettre en place. C'est un peu stand-by de ce côté-là, mais avec ma nouvelle compagne, l'idée c'est de proposer des séjours vélo en France ou en Espagne. Concernant l’entraînement, l'idée n'est pas d'avoir un gros réseau de coureurs, mais ce qu j'aime bien c'est plus l'aspect psychologique, je les ais régulièrement au téléphone, j'aime bien parler avec eux, les rassurer.
Donc plutôt dans le registre de l'humain.
Oui exactement. Il ne s'agit pas de programmes très structurés sur ordinateur, mais c'est plutôt dans l'écoute. Disons que c'est assez différent de ce qui se fait maintenant. Aujourd'hui avec les capteurs de puissance, vous avez des logiciels qui peuvent vous dire que vous êtes fatigués alors que ça ne tient pas compte d'autres facteurs, comme la fatigue psychologique ou autres.
Vous vous voyez continuer comme aujourd'hui ?
Avec le contexte actuel c'est vrai que c'est un peu au jour le jour, il y a les enfants, beaucoup de choses à gérer à côté. En tout cas je me suis rendu compte que j'étais vraiment amoureux du vélo et que je ne pouvais pas faire sans le vélo. Le compromis entre organiser des stages et continuer à courir, c'est ce qui me convient le mieux.
Pour revenir à votre regard sur le cyclisme professionnel, vous aviez émis des doutes l'an dernier, lors du Tour de France, sur les performances de l'équipe Jumbo-Visma. Vous gardez cette analyse ?
Oui bien sûr, et quand je vois l'interview de Thibault Pinot qui reste dubitatif par rapport à certaines performances et à l'équité, cela me conforte. Sans vouloir cracher sur tel ou tel pays, je pense qu'au niveau de l'éducation nous n'avons pas tous la même approche sur ces questions. Il y une histoire de culture et de mentalité.
Pour conclure, c'est une question qu'on a vous déjà posé des centaines de fois, mais quand on a été maillot jaune, ne serait-ce qu'un jour, c'est vraiment pour la vie ? Au point d'éclipser parfois le reste ?
C'est sûr, souvent quand on me présente, on dit "il a été maillot jaune du Tour", même si ce n'était qu'une seule journée. Après, au niveau sportif, ce n'était pas le moment le plus important de ma carrière. Paris-Bourges, avec pas mal de bons sprinteurs dans la roue, est un beau souvenir, mais quand j'ai gagné le Tour de Grande-Bretagne, ma première année chez les pros, sur une course d'une semaine et avec un relief difficile, c'est sans doute l'exploit de ma carrière, j'étais dans la forme de ma vie.
Propos recueillis par Ximun Larre. (photo "Avec Christian Bibal, l'organisateur de l'Essor Basque")