Quelques mois après la désillusion du Tour de France 2020 et à quelques jours du lancement de sa saison 2021, Pavel Sivakov a pris le temps d'accorder un grand entretien à la rédaction de Velo-Club. Pour nous, il est notamment revenu sur sa première Grande Boucle, tout en évoquant ses ambitions et son programme pour la saison qui débutera pour lui lors du Tour des Alpes Maritimes et du Var.
Pour débuter j’aurais aimé savoir avec le recul comment tu as vécu émotionnellement la reprise 2020, avec ce lancement un peu en fanfare et derrière la chute dès la première étape du Tour de France ?
C’est sûr que c’était difficile, j’étais vraiment à un très haut niveau et j’avais de grandes ambitions pour le Tour de France. Au final, tout s’est vite écroulé. Je pense que si c’était à refaire j’aurais agi différemment, je n’aurais pas fait les reconnaissances et je me serais vraiment reposé au maximum avant d’attaquer le Tour. J’ai fonctionné comme si rien ne s’était passé et que je n’avais pas chuté lors du Dauphiné, et le premier jour du Tour ça a été terrible. Ça a d’ailleurs été une Grande Boucle très difficile, et je n’ai jamais réussi à retrouver mon niveau même si j’ai eu quelques journées pas trop mal.
Donc oui, c’était difficile mentalement mais maintenant ça ne peut que se passer mieux. C’est des périodes que chaque coureur va vivre, et ça a été dur pour moi comme je te disais, mais ça a aussi été une belle leçon, une leçon de vie au final.
Tu dis que si c’était à refaire tu aurais une approche différente, est-ce que tu sens que cet épisode t’as fait progresser mentalement ou même en terme de l’approche des grands événements ?
Oui bien sûr, je pense que ça m’a fait prendre plus de recul, donné conscience qu’il faut être moins excité par l’approche du Tour de France, plus calme. J’avais peur de perdre mon niveau et ça a été d’ailleurs un des points forts de mon année 2020, j’ai vu que j’avais progressé. Donc oui, ça m’a fait prendre du recul, il y en a qui apprennent ça peut-être plus rapidement, et d’autres un peu comme moi où il faut qu’on me mette un coup sur la tête pour que je comprenne comment ça se passe (rires). Mais bon, c’était une saison un peu spéciale et on va espérer que 2021 sera différent et pas trop affectée par la crise sanitaire.
Justement 2021 va bientôt débuter pour toi, avant d’en parler comment s’est passée ton intersaison, puisque tu n’as pas recouru depuis le Tour de France.
J’ai vécu une coupure assez normale, je me suis reposé assez longtemps. D’habitude j’étais toujours un peu dans le rush, et j’avais peur de couper trop longtemps, et l’an passé après le Tour je n’avais qu’une seule envie c’était de couper. Mentalement j’étais émoussé et le fait d’avoir abordé les choses différemment m’a permis d’être plus frais au moment de retrouver le chemin de l’entraînement.
J’ai passé le mois de décembre en Espagne avec Tao, on s’est fait un petit stage en Espagne à côté de Calpe et ensuite en janvier on avait celui avec l’équipe Ineos à Gran Canaria. On verra maintenant ce que ça donnera sur les courses, j’ai hâte de reprendre en tout cas parce que ça fait longtemps que je m’entraîne, et l’entraînement c’est bien, car ça permet de voir où on en est par rapport à soi même, mais pas par rapport aux autres.
La reprise, c’est la semaine prochaine lors du Tour des Alpes Maritimes et du Var, auras-tu des objectifs personnels ?
Honnêtement, on verra avec l’équipe quel est le plan, mais d’un point de vue personnel j’ai vraiment envie de reprendre du plaisir à courir car j’ai quand même terminé sur une mauvaise note l’an passé. Je ne veux pas te mentir, c’est super de finir le Tour de France mais j’étais en souffrance et c’était pas du grand plaisir (rires). En plus le parcours est compliqué tous les jours donc ça va être sympa, et je veux voir où j’en suis et ensuite on verra, on aura une très bonne équipe au départ donc je pense qu’il y a moyen de faire quelque chose de bien.
La rumeur t’annonce cette année au départ du Giro, est-ce une vrai info ?
Oui tout à fait, je vais m’aligner sur le Giro cette année. A la base j’avais envie de retourner sur le Tour de France car j’avais fini sur une mauvaise note et je voulais prendre en quelque sorte une revanche, en plus il y avait l’opportunité de courir à la maison le jour de mon anniversaire, mais ensuite on a discuté avec mon entraîneur et on a décidé que la prochaine étape pour progresser dans ma carrière ça serait d’essayer de faire deux Grands Tours dans une saison.
Donc Giro – Vuelta ?
La Vuelta on va voir comment la saison se déroule car c’est encore loin, mais oui c’est l’idée on va dire de pouvoir être sélectionné pour les deux courses. En plus, il y a les Jeux Olympiques cette année que j’aimerais faire. Le Giro est une très belle course, la dernière fois que je m’y suis aligné ça s’est plutôt bien passé donc je suis vraiment content avec cette idée de programme, et j’espère que tout va bien se dérouler, et que la saison ne soit pas trop affectée par le Covid.
En ce qui concerne le Giro, on sent qu’il y aura une très grosse équipe Ineos avec notamment Bernal, quel rôle tu aurais au départ de la course ?
Pour le moment on n’en a pas parlé, et il faudra voir la condition de chacun à l’approche de la course. Que j’y aille en équipier ou en back up, ça ne change pas grand-chose, je vais y aller dans l’optique d’être à 100 %, et si quelqu’un est meilleur que moi c’est le sport. Je pense que Egan, si il est sur le Giro, il sera le numéro 1, et je pense que l’équipe verra ensuite à l’approche de la course qui il faudra supporter.
Quel sera ton programme pour préparer le Tour d’Italie ?
Je vais courir en Italie, je devrais faire Tirreno-Adriatico et Milan-San Remo, ensuite il y aura le Tour des Alpes dont je suis le tenant du titre puisque la course n’a pas eu lieu l’an passé. A voir aussi si je peux m’aligner sur les Strade Bianche, c’est une belle course à tenter et je n’ai pas fait beaucoup d’épreuves d’un jour depuis que je suis passé pro, donc ça me tient à coeur de tenter des belles courses comme celle-ci et Milan San Remo.
Tout à l’heure tu évoquais les JO, au fil des différentes interviews on te sent vraiment tiraillé entre la France et la Russie, ce qui rend ton choix compliqué non ?
Ouais c’est pas facile de faire un vrai choix, en plus en cas de changement il y a cette règle où il faut attendre trois ans avant de pouvoir courir sous un autre maillot national. Mon coeur balance vraiment entre les deux, et il faudra vraiment faire un choix définitif après les JO cette année. Mais ouais, je vais pas passer ma carrière à choisir donc il faudra prendre une décision rapidement (rires).
Pour rester sur les JO, est-ce que tu dis que c’est taillé pour toi cette année, et que c’est un peu l’occasion d’une vie pour un grimpeur ?
Je dirais pas que c’est taillé pour moi personnellement, mais que c’est peut-être la seule opportunité pour moi d’y remporter une médaille. Après, les JO, c’est un peu une loterie, quand tu vois Vinokourov qui bat Uran au sprint en 2012 à Londres, ou que Greg Van Avermaet s’est imposé à Rio, c’est difficile du coup de dire qu’un grimpeur va gagner, mais je me dis quand même que c’est l’édition où j’ai le plus de chances de remporter une médaille comme je disais, et c’est pour ça que j’espère vraiment y participer.
Tu sais comment ça va se passer avec la suspension de la Russie ?
D’après ce que j’ai compris, on ira avec la délégation de la Russie mais on portera un maillot neutre.
Pour terminer, un petit point d’actualité, qu’est-ce que tu penses des nouvelles règles de l’UCI ?
C’est un sujet assez compliqué, à mon avis, si on parle de sécurité ce sont pas les choses les plus dangereuses, surtout si l’on parle de la position sur le cadre. Je sais pas, je me trompe sûrement, mais je n’ai pas vraiment vu énormément d’accidents avec cette position. Pour les mains posées en mode contre-la-montre, ça c’est peut-être un peu plus dangereux si il y a un trou ou un moment d’inattention. C’est compliqué, d’un côté c’est bien qu’ils pensent à la sécurité des coureurs mais à mon avis ce n’est pas la priorité. La priorité c’est le final des courses, on l’a encore vu lors de la première étape du Tour de la Provence c’était extrêmement dangereux, surtout en début de saison. Après ce n’est pas de mon ressort et c’est facile à dire, car il y a aussi des organisateurs qui travaillent pendant des mois mais voilà, c’est pas la priorité ce qu’ils ont fait.
Mais est-ce que c’est pas ça qui vous agace en tant que coureurs au final qu’on se focalise sur des trucs non essentiels on va dire ?
Ouais je pense que c’est ça le problème, de ce que j’entends des coureurs autour de moi. C’est ça le truc qu’on se focalise sur des détails on va dire…
Comme la hauteur des chaussettes ?
Ouais ouais, comme si on se voilait la face, et qu’on ne se rendait pas compte de ce qui était le réel danger et on tente de se focaliser sur des petits détails qui ne sont pas si importants que ça. Au final, c’est ça qui agace les coureurs, ce n’est pas le fait qu’on interdise ces positions, c’est le fait qu’on autorise des trucs beaucoup pus dangereux.
Par Charles Marsault