Avant de rentrer dans le détail, quel bilan global tires-tu de la saison 2018 du Team Sky ?
Cela a été une superbe saison pour nous, dans la continuité de la précédente et du doublé Tour – Vuelta. On avait en début d’année un énorme premier challenge face à nous, gagner le Giro, ce qui n’avait jamais été réalisé par l’équipe. La manière dont Chris (Froome) a réussi ce challenge a été géniale pour nous, et ensuite lors du Tour de France G. (Geraint Thomas) a été fantastique, Froomey aussi, honnêtement l’exploit qu’il a fait est incroyable. Terminer 3ème du Tour de France après avoir enchaîné 3 Grands Tours consécutifs, et avoir subit mentalement ce qu’il a subit lors des 8 mois avant l’épreuve, franchement chapeau ! Pour le reste, on a décroché également de beaux succès avec Kwiato, Bernal ou encore Moscon pour ne citer qu’eux. Donc comme je le disais, c’était une très belle saison, car on nous attendait au tournant et on a réussi à confirmer.
Sans y passer trop de temps puisque l’on a déjà évoqué le sujet avec toi en janvier, et avec un peu de recul désormais, comment as-tu vécu le Tour de France, la pression autour de la présence de Froome et la suspicion à son encontre ?
Cela fait beaucoup de questions en une. C’est sûr que les choses ont été très difficiles, et il y avait deux options, soit nous, le staff et les coureurs, on se laissait submerger par ça, les émotions, etc... et on performe moins bien, ou alors on relevait la tête et on faisait ce qu’on sait faire de mieux, c’est à dire courir et gagner des courses. On s’est donc recentrés, même si cela a été dur, et encore plus lors du mois de juillet, car le contact était permanent.
Pour revenir sur le bilan, certains coureurs ont déçu et d’autres au contraire ont brillé, à commencer par Egan Bernal, t’attendais-tu à le voir si haut dès cette année.
Dès la Colombia Oro y Paz il a été incroyable. Ensuite il a gagné le Tour de Californie en champion. Il n’y a pas vraiment de surprise le concernant, si ce n’est au niveau de la maturité au vu de son âge.
Un autre coureur a également brillé en fin de saison, il s’agit de Moscon, quelle sera la stratégie de la sky l’an prochain. Aura t-il carte blanche toute la saison, ou devra t-il également assumer un rôle d’équipier sur un Grand Tour ?
C’est encore trop tôt pour penser dans le détail la saison 2019, car on vient juste de terminer 2018 il y a quelques jours en Chine. Il faut néanmoins qu’on discute avec Gianni de cette opportunité de tenter un Grand Tour. Je pense aussi qu’il est très intéressé par les courses d’un jour. Quoiqu’il en soit c’est encore trop tôt pour tirer des plans. Je vais lancer quelque chose en l’air, mais si il aimerait faire le doublé Giro – Vuelta, et ne pas faire le Tour de France, je serais un peu déçu mais en même temps, je serais content pour lui car ça veut dire qu’il veut se tester sur un Grand Tour, donc pourquoi pas. On a un effectif largement assez solide pour accompagner nos leaders sur le Tour de France. Après, il faut qu’on en discute tous ensemble, mais il ira de toute façon rapidement sur un GT pour tenter le général.
Côté déception, on retient forcément De La Cruz, était-ce une erreur finalement de le placer en leader lors de la Vuelta ? Avait-il les épaules pour assumer ce statut ?
Je pense que pour David, il ne faut pas être aussi incisif. Je ne pense pas que c’était une erreur, il faut rappeler qu’il a signé pas mal de top 10 déjà sur la Vuelta. Il a été un coureur vraiment clé pour nous cette saison, que ce soit sur Paris-Nice pour Wout Poels et Henao, ou sur le Giro avec Chris, etc...Il a toujours été dévoué pour l’équipe, et lors de la Vuelta, nous n’avions plus nos grands leaders que sont Geraint Thomas, Chris Froome ou Wout Poels notamment. Kwiato voulait également aller sur la Vuelta en préparant le mondial, et Egan avait du déclarer forfait. Il y a donc des places qui se sont libérées, et on a pu mettre en avant des coureurs qui se sacrifient toute l’année en leur donnant leur chance sur un Grand Tour. Il n’y avait donc pas d’obligation de résultats, l’optique étant pour eux qu’ils apprennent à jouer le classement général sur une épreuve de trois semaines.
Cette année a également été compliqué pour Halvorsen, pourtant impressionnant chez les espoirs, et qui s’est largement fait dépassé en 2018 dans la hiérarchie par d’autres néo-pros comme Ackermann, Hodeg ou Jakobsen. Comment expliquer que les choses soient finalement compliquées dans le domaine du sprint chez Sky ?
Il avait bien démarré, mais il est ensuite tombé malade, il a chuté également. On est en train voir avec lui comment on peut l’aider, peut-être au niveau de l’entraînement. On avait investi pleinement pour qu’il y ait un train au niveau du sprint, même si ce n’est pas évident quand on a aussi des spécialistes des courses par étapes. Après parfois la mayonnaise ne prend pas comme on voudrait qu’elle prenne. L’équipe essaie vraiment dans ce domaine, et on a mis en place un groupe autour de lui, mais il a été assez souvent blessé malheureusement, donc ce n’était pas facile en revenant. En tout cas on croit vraiment en lui, il est jeune, et on va tout faire pour le mettre dans les meilleures dispositions pour la saison prochaine.
On évoquait les équipiers plus tôt dans la conversation, n’est-ce pas finalement la grande force de la Sky, de parvenir à créer une osmose autour du leader et à valoriser ce job, surtout quand on voit à quel point cela peut-être compliqué dans la plupart des autres équipes ?
Oui, je suis d’accord avec ça. Je pense que lorsqu’on est coureur il faut être honnête avec soi-même, et cela s’appliquait aussi à moi quand j’étais pro. On rêve tous quand on passe pro de gagner un jour le Tour de France, et même si c’est important d’avoir de l’ambition, il faut savoir ce qu’on est capable de faire, et connaître sa place. Ce qui est génial depuis quelques années, c’est qu’il y a une véritable cohésion au sein de l’équipe. Certains pourraient partir et prétendre à plus dans une autre formation, mais ils font le choix de rester avec nous. L’esprit de groupe, c’est ce qu’il y a de plus important au sein d’une équipe, et je suis très attaché à cela.
Pour conclure, un mot sur toi et tes envies pour la suite. Comptes-tu poursuivre encore longtemps avec Sky, ou sens-tu que tu auras besoin de relever un nouveau défi à un moment, dans une nouvelle structure ?
Je ne sais pas, pour le moment je ne me vois pas quitter Sky. Je suis présent dans l’équipe depuis le début, et j’ai l’impression que je n’ai pas fini avec eux, d’avoir encore à apprendre. Personnellement, je veux accompagner les Froomey et G jusqu’à la fin de leur carrière, car ils sont de ma génération. Ce n’est pas fini, il y a quelque chose qu’on a fabriqué tous ensemble. Pour revenir à ta question, il y a plein de choses que j’aimerais faire, et les années passent super vite, plus vite que quand j’étais coureur. C’est très intense, et je veux en profiter. Après forcément à un moment donné il faudra que je relâche la pression. Est-ce que ce sera un autre rôle chez Sky, un autre métier, franchement je ne sais pas du tout. Je suis français, et je rêverais aussi de voir un tricolore remporter le Tour de France. De participer à ce projet, que ce soit en tant que directeur sportif ou un autre rôle, mais ça reste un rêve pas un objectif, même si j’espère qu’on arrivera à porter un français sur le toit du Tour. En tout cas pour l’instant je m’éclate et c’est le plus important.
Propos recueillis par Mylène Terme