Consultant sur le Tour de France pour France Info, Jean-François Bernard fut l'un des coureurs les plus talentueux de sa génération. En cette première journée de repos, le troisième du Tour 87 nous livre son sentiment sur cette édition 2020.
Quelle est votre impression sur l'atmosphère qui règne sur ce Tour de France un peu particulier cette année ?
C'est quand même un Tour spécial, à moitié confiné. Le sport cycliste est le seul sport encore où l'on peut approcher les coureurs de près, leur faire signer des autographes etc...Cette année on est passé de l'autre côté, on est devenu comme tous les sports, on ne peut plus les approcher. Même quand il n'y aura plus de Covid, on va vers ça à mon avis. Cela réduit aussi beaucoup les coûts dans certains domaines. Par exemple rien que pour commenter, on ne peut plus pratiquement le faire des sommets, faute de place, donc on se retrouve à commenter à plusieurs kilomètres de l'arrivée. C'est vraiment une tendance. Et peut-être un jour finalement on commentera de Paris. Ce qui serait dommage évidement, on ne serait plus sur l'évènement et ce ne serait plus pareil.
Après ça fait bizarre de ne plus voir le public habituel aux arrivées, même s'il y en a un petit peu. Idem dans les cols, bien qu'il y en avait malgré tout plus ce week-end qu'à Orcières-Merlette, par exemple. Il ne faut pas oublier non plus qu'on est au mois de septembre.
Justement est-ce qu'un Tour en septembre, avec moins de monde, avec ce virus, reste toujours le Tour ?
Je crois que la victoire n'aura pas la même saveur. On se rappellera toujours du vainqueur, car on dira que c'est le vainqueur du Tour du Covid. Pour moi le Tour de France c'est en juillet. C'est là qu'on se rend compte que si le Tour n'avait pas lieu en juillet, on aurait moins de monde comme au Giro ou à la Vuelta.
Ces derniers jours, il y a eu un débat autour du tracé montagneux de cette première semaine de course, dont certains n'ont pas hésité à dire qu'il avait fait un flop. Qu'en pensez-vous ?
Depuis que Christian Prud'homme est là, les parcours ont changé. On a plus cette première semaine de plat où l'on s'ennuyait et je pense que le Tour est plus animé. Alors c'est vrai, on a eu cette étape au Mont Aigual, où beaucoup de monde s'attendait à autre chose. Après comme on dit, l'organisateur propose un parcours, les directeurs sportifs élaborent une stratégie mais ce sont les coureurs qui décident. Ce tracé un peu particulier amène quand même un peu plus de suspens, surtout dans ce Tour où l'on manque de repères, où les gars viennent de reprendre la compétition il y a un mois, lors d'une année forcément spéciale. Il y a deux coureurs qui dominent le Tour pour l'instant, Roglic, avec son équipe, et Pogacar.
On a vu aussi les coureurs musarder l'autre jour sur la route, un peu "à l'ancienne" finalement. Est-ce pertinent de vouloir tout montrer en intégralité à la télévision ?
Je ne suis pas mécontent de ne plus être à la télévision, pour me taper 6 heures de commentaires. Il y a un moment où l'on n'a plus rien à raconter. Qu'est-ce qui est intéressant dans les courses ? La montagne ou les étapes avec du vent. Après on connaît le scénario, avec une échappée au départ, reprise à 25 kilomètres de l'arrivée. Donc franchement, je ne suis pas pour tout retransmettre en intégralité.
Pour revenir au scénario en train de se dessiner, on parle beaucoup de cette troisième semaine, éprouvante, et qui fait peur. Avec une préparation perturbée, on pourrait alors voir des favoris craquer. Est-ce qu'un Roglic pourrait connaître pareille mésaventure ?
Le problème de Roglic, peut-être, c'est qu'il est au top depuis qu'il a repris. Hier on a vu qu'il s'est battu pour aller chercher le maillot. Après son équipe est très forte, ils n'ont peur de rien. Par contre un coureur comme Bernal sera très bien dans la troisième semaine, c'est sûr. Tout le monde dit que son équipe est moins forte, c'est vrai pour l'instant, mais je ne m’inquiète pas trop pour lui, il monte en puissance. On l'a vu abandonner au Dauphiné, mais il était en préparation et il répondra présent la troisième semaine.
Tadej Pogacar est apparu brillant dans les Pyrénées. Est-il capable de gagner le Tour dès sa première participation ?
Il est capable de tout. Il gagne trois étapes et finit sur le podium de la Vuelta, pour son premier grand tour. C'est exceptionnel. On sait qu'il a un potentiel énorme, maintenant son équipe est plus faible; mais il se battra jusqu'au bout. C'est vrai qu'il est jeune, il peut avoir un jour sans. On l'a vu se faire piéger dans la bordure l'autre jour et on se demandait ce qu'il faisait à l'arrière, mais je pense qu'il a compris. C'est le symbole de cette génération exceptionnelle de coureurs étrangers, avec un Evenepoel qu'on va bientôt retrouver aussi sur le Tour.
A ce propos on disait à votre époque, et il n'y a encore pas si longtemps, qu'un coureur arrivait à maturité entre 25 et 30 ans. Ce modèle semble aujourd'hui dépassé ?
C'est fini tout ça, c'est pourquoi la catégorie espoir ne veut plus rien dire du tout. L'histoire d'avoir limiter les braquets en France pour les jeunes, par exemple, c'est une bêtise. On a loupé des gars et il faut évoluer maintenant. On peut être mature beaucoup plus jeune, il n'y a pas vraiment d'âge. Faut pas se poser de questions. Si le gars est là plus tôt, il est là plus tôt, c'est tout, faut pas traîner.
Julien, votre fils, n'est pas présent sur le Tour, mais il a connu un moment de bonheur intense avec sa victoire au Mont Faron, en début de saison. On a vraiment l'impression d'une victoire largement salué dans le milieu, qui a fait plaisir à beaucoup de monde.
Cela ne m'étonne pas de lui. D'abord c'est un équipier et il aime ce rôle là, mais il a des qualités pour réaliser des coups comme celui-là. Il est tout à fait capable d'en refaire. Il est au service de coureurs comme Nibali, Mollema ou Porte, c'est un choix. On verra au Giro, pour aller gagner une étape c'est compliqué, il faut des circonstances favorables. C'est quelqu'un qui fait bien le boulot, donc forcément, quand il est récompensé, cela a de la valeur. Il le méritait et c'est vrai tout le monde était content pour lui, c'est ce que j'ai ressenti aussi.
Propos recueillis par Ximun Larre.