Avocat dans la vie, Erwann Mingam est aussi un passionné de sports, de cyclisme en particulier, et de ses mots. Ce breton vient de publier En chasse patate, Petit lexique impertinent du cyclisme en 100 expressions (Solar-12,90 euros). Une réédition augmentée d'un ouvrage paru en 2015, déclaration d'amour au jargon si particulier du vélo et délicieuse invitation à réviser ses classiques dans la bonne humeur.
C'est une histoire de famille qui t'as fait plonger enfant dans l'univers du cyclisme ?
Le virus du vélo s'attrape en effet souvent par la famille. J'avais un père qui était à la fois passionné de cyclisme et kiné d'équipes cycliste. Il suivait ainsi beaucoup de courses en Bretagne, comme le Ruban Granitier, l'Essor Breton etc...donc je l'ai toujours vu entouré de coureurs. Nous étions une famille extrêmement assidu au Tour de France ou à Paris-Roubaix et avec mon frère, depuis tout gamin, nous avons baigné là dedans.
Il y a cette attirance pour le cyclisme donc, mais comment est venu le goût de l'écriture ?
En même temps que j'attrapais la passion du vélo, j'attrapais celle du vocabulaire qui allait avec. Quand nous étions à la maison, ou en course et qu'on voyait les copains coureurs cyclistes de mon père, ils ne parlaient qu'en métaphores. Un langage qui me paraissait un peu hermétique, mystérieux, truculent voire très fleuri. Gamin je me suis pris de passion pour le vocabulaire cycliste. Dès années plus tard, étant en région parisienne, j'ai fais partie de l'équipe de rédaction des Cahiers du football et participé ainsi avec d'autres co-auteurs, à l'écriture de deux petits livres sur les mots du foot. L'un s'appelait A partir de là et l'autre Oui je crois que bon, et parodiaient un peu les expressions typiques. Compte tenu de la richesse du vocabulaire du vélo j'ai décidé ensuite de me lancer dans l'aventure d'un livre qui lui serait dédié.
Et ce fut la première version d'En chasse patate ?
Exactement, sortie en 2015, déjà chez Solar. Il recensait à l'époque 65 expressions cyclistes avec chaque fois le même principe : une définition qui est exacte mais accompagnés de fausses citations, toujours inventées, mais avec des références aux événements un peu marquants des saisons cyclistes précédant la sortie du livre.
Il y aussi des références plus anciennes qui montrent un réel attachement à l'histoire du cyclisme.
Disons que les passionnés de cyclisme ont souvent cette double lecture, à la fois passionnés par les événements récents, les courses actuelles ou les champions de demain et également par toute cette épopée, les grandes figures du Tour de France, qu'elles aient eu un destin heureux ou bien tragique. Il y a une dramaturgie dans le cyclisme, pour peu qu'on s'intéresse à son histoire, qui est absolument fascinante. Cela ne peut être qu'enrichissant de s'intéresser à la fois au côté historique et celui actuel, voire prospectif.
On sent que tu t'es fait vraiment plaisir dans l'écriture de ce livre.
Absolument c'est un plaisir à chaque expression d'essayer d'imaginer et de trouver la formule qui va faire mouche. C'était jubilatoire en effet.
Il y a le mot impertinent dans le titre et tu parviens à faire rire de sujets comme le dopage ou bien les chutes.
Il y a cet aphorisme bien connu de Desproges, "on peut rire de tout mais pas avec n'importe qui". En l’occurrence, j'estime que lorsque l'on s'intéresse au cyclisme et que l'on parle à des passionnés, on ne peut pas faire abstraction des faces un peu plus noires du cyclisme, que ce soit des événements malheureux comme les chutes, les blessures, ou bien sûr la question du dopage. A chaque fois néanmoins, en ne brocardant que des choses qui sont avérées. Comme beaucoup de passionnés, je suis absolument vent debout contre l'association systématique qui peut être faite dans le publique entre cyclisme et dopage. Néanmoins dans un livre humoristique qui aborde cette notion, quand on fait allusion à certains coureurs, c'est compliqué de ne pas faire un petit clin d’œil à ces choses là. Le cyclisme lui même, et depuis longtemps, a des expressions qui visent le dopage. "Saler la soupe", "être une chaudière" ou "pot belge", pour un non initié cela ne veut pas dire grand chose, mais pour un cycliste ou un passionné c'est très clair. Dès lors que je décide de mettre ces mots au sommaire du livre, je ne peux éluder la question, mais tant mieux si j'arrive à faire rire avec.
L'impertinence ou l'humour n'empêche par une profonde admiration de ta part pour les coureurs cyclistes.
Ah totalement, j'ai un infini respect pour eux. J'aime aussi d'autres disciplines sportives mais je trouve que le cyclisme est particulièrement difficile, exigeant, ingrat parfois et j'ai pour les cyclistes quels qu'il soient, du podium aux porteurs d'eau, un profond respect et beaucoup d'admiration. A chaque fois que je taquine tel ou tel, c'est toujours avec une grande empathie.
Avec certains "bons clients" à l'image d'un Carlos Betancur ou d'un Richie Porte par exemple ?
Oui en effet, certains sont des bons clients pour reprendre l'expression et prête un peu le flanc à cela, en étant particulièrement poissard, ou en ayant la réputation d'arriver en surpoids et d'être bon vivant. Donc là c'est assez facile pour le coup de les brocarder, un peu avec ce côté running gag, dans lequel dès que j'ai une expression qui se prête à une allusion culinaire, je vais me tourner vers Betancur. Il y avait Ullrich dans la première version, mais comme c'est un peu plus ancien et compte tenu de tout ce qu'il s'est passé malheureusement pour lui sur un plan personnel, je n'avais pas envie de le garder comme tête de turc et cet aspect running gag .
Entre cette passion du cyclisme et cet amour des mots, on est obligé de penser à Antoine Blondin, il fait partie de tes références j'imagine ?
Évidement, un de mes livres de chevet est Tours de France, le recueil de ses chroniques parues dans l'Equipe. Un régal absolu, chaque jour pour lui devient une épopée, même les étapes à priori sans intérêt sont magnifiées par sa prose. Les commentaires qui me font l'honneur de ce rapprochement, entre guillemets, sont inestimables, car c'est un de mes maîtres au même titre qu'un Audiard ou d'autres parmi les anciens.
Un soin très particulier a été apporté à l'iconographie avec des photos magnifiques, dont certaines peu connues.
C'est un gros travail de mon éditeur, Solar, qui a extrêmement bien travaillé je trouve pour illustrer le livre. Il y avait certaines photos auxquelles je tenais particulièrement comme Hinault à Valence d'Agen, lors de la grève des coureurs, car je trouve son attitude splendide, ou le duel Poulidor-Anquetil et ensuite l'éditeur a sorti des pépites en effet.
Pour conclure, penses-tu que les coureurs d'aujourd'hui et le monde du vélo en général, conservent toujours autant ce vocabulaire et cette langue qui leur est propre ?
Je suis plutôt agréablement surpris à ce sujet, je trouve qu'il y a pas mal d'interviews d'après courses où l'on retrouve des expressions chez les coureurs. Parfois cela m'a inspiré ou rappelé certaines que j'avais oublié, du genre "fumer la pipe". Évidement cela dépend des coureurs, mais il y en a certains, et même parfois des jeunes, qui perpétuent ce langage. Je pense aussi que celui-ci évolue, que les expressions du vélo dans 20 ans ne seront plus celles d'aujourd'hui, avec certainement pas mal d'anglicismes. Je suis convaincu que le langage cycliste gardera son entité propre et toute sa richesse.
Ximun Larre (Crédit photo : Erwan Mingam)