A 24 ans, Emilien Jeannière dispute sa première saison complète au sein de la formation Total Energies dirigée par Jean-René Bernaudeau. Rencontre avec ce Vendéen pur souche.
Emilien, tu as grandi au sein d’une famille cycliste puisque ton papa, ton oncle, mais aussi ton frère, participaient à des courses amateurs. Ce sont eux qui t’ont transmis le virus du vélo ?
Oui tout à fait. Pourtant, au départ, je pratiquais le football pour être avec les copains mais j’allais quand même voir les courses de mon frère en catégorie de jeunes. En fait, cette passion pour le vélo est venue un peu par hasard. Lors d’une compétition départementale inter-équipes, il manquait un coureur dans l’une des catégories de l’équipe et l’entraineur de mon frère m’a alors proposé d’intégrer le groupe pour faire nombre et cela m’a plu….Durant 1 an, j’ai combiné le foot et le vélo mais après une saison, j’ai de suite compris que le vélo me convenait mieux et que j’y prenais plus de plaisir. Dès mes 8 ans, je suis devenu fan de vélo et j’ai commencé à regarder beaucoup de courses à la TV. Ensuite, mon rêve était de passer pro un jour et, petit à petit, j’ai gravi les échelons en suivant le parcours 100 % vendéen (VCH, Pôle Espoir La Roche sur Yon, Vendée U et maintenant Total Energies).
En 2017, tu rejoins le club Vendée U (centre de formation de l’équipe Direct Energie) avant de passer finalement ‘Stagiaire’ chez Total Energies en 2021. Néanmoins, tu ne passes pas ‘Pro’ en 2022…mais seulement en 2023. Quel a été le déclic entre ces 2 saisons afin de te permettre d’enfin rejoindre l’équipe de Jean-René Bernaudeau ?
Il y a eu beaucoup de choses et j’ai failli arrêter le vélo à plusieurs reprises. En 2021, j’avais un manque de résultats sur les grosses courses et c’est ce qui m’a été reproché, et ce à juste titre, par le staff et par Jean-René Bernaudeau. Après la saison 2021, j’ai failli tout plaquer…. C’est ma copine qui m’a vraiment motivé à repartir pour une saison. L’objectif était que je la rejoigne régulièrement en Belgique (où elle fait ses études de kiné) pour que je change d’environnement au niveau de l’entrainement. Finalement, Vendée U m’a permis de retenter ma chance une saison de plus et j’ai pris la balle au bond…. On a refait le point avec mon entraineur, Maxime Robin, pour repartir sur de bonnes bases et je suis aussi suivi par un kiné pour prévenir des blessures. J’arrive maintenant à gérer plus facilement les petites frustrations ou les problèmes que tout sportif peut connaitre. J’ai beaucoup travaillé aussi sur l’approche mentale et l’équipe m’a ensuite rapidement fait confiance. En 2022, j’ai modifié également mes plans d’entrainements pour arriver au top de ma forme sur les classes 2. Je termine la saison avec 9 victoires dont une victoire d’étape à La Flèche du Sud (2.2) et au Tour d’Eure et Loir (2.2). C’était vraiment ma dernière chance mais ça a marché !
Pour ceux qui te découvrent au plus haut niveau, pourrais-tu nous dire quels sont tes points forts, les points que tu dois encore améliorer et le type de courses que tu préfères ?
Je me situe plus dans la catégorie des sprinters mais j’aime bien aussi les arrivées pour puncheurs où l’effort ne dépasse pas les 30 secondes, ce genre d’arrivée pour costaud me convient pas mal. Les points à améliorer se situent surtout au niveau du rythme et sur les efforts à répétition. J’apprécie particulièrement les courses où les difficultés se situent en début d’épreuve, ce qui permet un écrémage du peloton afin de pouvoir finir en petit comité et où je peux alors laisser parler ma pointe de vitesse.
Pour rappel, tu termines 2ème du Championnat de France amateurs sur route en 2020 derrière ton coéquipier actuel Jason Tesson mais surtout 2ème du Championnat d’Europe Juniors sur route en 2016 derrière ton compatriote Nicolas Malle mais devant un certain Tadej Pogacar…Est-ce à l’heure actuelle tes meilleurs souvenirs ? En ce qui concerne Tadej…avais-tu déjà décelé dès 2016 le talent du Slovène ?
Ce sont des supers souvenirs. Sur le Championnat d’Europe, c’est incroyable de pourvoir y faire un doublé avec le maillot tricolore. Beaucoup me disent que j’aurais même pu y remporter le titre mais je n’ai aucun regret. Cela a couronné ma superbe saison en tant que Juniors. Pour le Championnat de France, j’étais dans une période compliquée à ce moment-là et cette deuxième place acquise au sprint m’a redonné énormément de confiance en moi pour la suite de ma carrière. En ce qui concerne Tadej Pogacar, à cette époque-là, il n’était certainement pas le plus fort. Il avait évidemment remporté de belles courses Juniors mais il n’était pas au-dessus d’un Marc Hirschi ou d’un Brandon McNulty par exemple, voire d’un Tanguy Turgis côté français ou d’un Jasper Philipsen côté belge. Il était bien classé sur de nombreuses courses mais ce n’était pas lui le plus fort même si bien entendu il avait une grosse marge de progression…ce qui se vérifie maintenant.
Tu réalises une belle entrée en matière en 2023 en terminant 2 fois deuxième (Tropicale Amissa Bongo et Tour du Rwanda). Es-tu satisfait de ton début de saison ?
J’ai vraiment adoré ces courses en Afrique même si je suis bien conscient qu’il n’y avait pas un niveau incroyable. J’avais les jambes pour remporter l’une ou l’autre étape et c’est passé vraiment pas loin. Au Gabon, je n’étais pas le coureur protégé mais même en emmenant mon coéquipier Jason Tesson, je termine deuxième…preuve que j’en avais encore sous le pied…Mon début de saison a été dans l’ensemble relativement bon mais je pense que je peux faire beaucoup mieux. Le travail finira par payer.
Quel est ton programme de courses et quelles seront tes ambitions ou tes objectifs ?
Ce sera des objectifs à court terme parce que je ne connais pas mon programme 3 mois à l’avance. Actuellement, je me prépare pour quelques courses en Belgique comme le Circuit de Charleroi Wallonie, l’Antwerp Port Epic et la Brussels Cycling Classic. Il y aura aussi en France les Boucles de la Mayenne. C’est l’un de mes gros objectifs et j’espère bien y briller. Toutes ces courses, où il faut sans cesse relancer et pas particulièrement plates, me conviennent bien au vu de mon profil.
Ta formation, Total Energies, possède en ses rangs des hommes très expérimentés tels que Edvald Boasson Hagen, Geoffrey Soupe, Daniel Oss et l’incontournable Peter Sagan. Prends-tu des conseils auprès de ces cadres de l’équipe ?
Pour l’instant, je n’ai pas fait énormément de courses avec ces coureurs-là. Seulement avec Edvald Boasson Hagen qui est quelqu’un de vraiment incroyable, toujours souriant et sympa. C’est une chance inouïe de pouvoir courir à ses côtés, d’autant plus que c’est quelqu’un que j’admire depuis que je suis tout petit. Ensuite, j’ai couru avec de nombreux gars expérimentés de l’équipe, pas en âge mais en tant qu’ancien au sein de l’équipe comme Geoffrey Soupe, Paul Ourselin et Fabien Grellier. Ce sont de très bons équipiers qui apportent énormément au sein de l’équipe. Je n’ai pas encore eu la chance de pouvoir courir avec Peter Sagan mais il est évident qu’il apporte un plus au sein de l’équipe.
En ce début de saison, les courses sont archi dominées par des formations telles que UAE, Jumbo-Visma voire INEOS. Difficile pour les formations françaises de se mettre en évidence….Tu expliques cela comment ? Manque de talents, de moyens financiers, de préparation, de matériels technologiques ou c’est le peu de différence dans tous ces domaines qui au final ajoutés bout à bout crée ce fossé entre les équipes du Top actuel et les autres formations, françaises mais également étrangères ?
Je crois que tu as un peu répondu à la question.…... C’est vraiment un tout. A titre de comparaison, on peut dire que ces formations là, ce sont les formules 1 du vélo. Toutes ces équipes ont plus de moyens financiers, d’encadrement, etc…que des formations comme la nôtre par exemple. Du coup, elles ont également la possibilité d’engager plus facilement des coureurs du Top et cela tire fatalement les équipiers aussi vers le haut. Il y a le matériel, la nutrition, plein de petites choses qui ajoutées bout à bout permettent également une récupération optimale pour les coureurs de ces équipes-là.
Tu as un contrat de 2 saisons. A 24 ans, quels sont tes rêves pour la suite de ta carrière ?
Atteindre le maximum de mes capacités parce que parfois, je manque un peu de confiance en moi. Il faut aussi être à l’écoute de son corps tout en restant performant. Je n’ai pas un objectif précis de carrière mais j’aimerais rester le plus longtemps possible dans le milieu. Normalement, il devrait y avoir en 2025 un Championnat de France chez moi en Vendée...C’est un vrai objectif qui va me pousser à aller au-delà de mes limites.
Est-il prévu que tu participes dès cette saison à un grand Tour ? Ta formation étant invitée à La Vuelta.
Non, ce n’est pas prévu…C’est trop tôt pour moi d’aller sur une épreuve de 3 semaines. De un, je ne m’en sens pas capable à l’heure actuelle et de deux, je pense qu’il faut franchir les paliers étape par étape. Certes, j’ai 24 ans et de nombreux coureurs ont à cet âge-là déjà participé à un grand tour mais de mon côté, je n’ai pas toujours fait des saisons pleines et il faut y aller pour moi progressivement. Je pense que participer à des courses d’une semaine, c’est déjà pas mal…On verra l’année prochaine mais d’ici là, j’ai le temps de progresser et de voir venir.
Comme tout coureur français, est-ce qu’une participation au Tour de France reste pour toi un rêve de gosse ?
Oui forcément mais je ne le prends pas comme une fin en soi. Certes, c’est un rêve et un objectif mais il n’y a pas que le Tour de France dans le vélo, même si pour le grand public la grande boucle est le «graal ultime». De nombreux coureurs ont réussi à se constituer un magnifique palmarès sans nécessairement y participer. Maintenant, s’il y a une opportunité de pouvoir en faire partie dans le futur, je ne laisserai pas passer ma chance.
Que peut-on te souhaiter pour cette saison 2023 ?
Le meilleur…Donner le meilleur de moi-même, aller au-delà de mes limites, ne pas faire de complexe et surtout aller chercher une victoire et ce quelle que soit la course…Toutes les courses sont belles à gagner...
Interview de Christian Hiernaut
Credit Photo : Total Energies/Tour du Gabon