En stage actuellement à Altea pour préparer le début de saison en Europe, Astana espère vite oublier une saison 2022 tristement historique. Dernière équipe world Tour, la formation kazakhe ambitionne de retrouver le Top 10 mondial cette saison. Nous avons fait le point avec son directeur sportif Dmitriy Fofonov.
Mark Cavendish et Cees Bol ont enfin été officialisés. Comment se passent leurs premiers pas avec l'équipe ?
Bien, ils ont fait de bons tests pour cette période de l'année. Ce sont de grands professionnels. Mark (Cavendish) on ne le présente plus. On a couru ensemble. C'est un coureur qui est respecté par tout le monde. Il a fait l'histoire du cyclisme, c'est un champion. Astana n'a jamais eu un sprinteur de cette qualité. Jusqu'à présent, l'équipe avait une culture de Grands Tours, de courses par étapes. C'est un grand changement pour nous.
Ce changement est volontaire, ou un peu forcé par les choses ?
Il y a des moments dans la vie, il faut changer de direction. C'est un peu le destin aussi il faut dire. On est dans cette spirale avec plusieurs sprinteurs dans l'équipe. On a Laas, on a Syritsa. Puis Cavendish qui est arrivé avec Cees (Bol). On est pas mal équipé, mais il faut maintenant changer de stratégie. Il faut s'adapter, changer du coup les programmes de courses. On va plus s'orienter vers des courses qui sont adaptés pour les sprinteurs.
Quels genres de courses ? Plus de classiques belges ?
Oui, par exemple. Ce sont des courses que nous avons délaissés depuis le départ de coureurs comme Magnus Cort, Michael Valgren, Laurens De Vreese ou même Lars Boom à l'époque. On retournera sur les Quatre Jours de Dunkerque en France, on fera le ZLM Tour en Hollande. Avec l'arrivée de Martin Laas on ira sur le Tour d'Estonie. Le Tour de Belgique sera aussi au programme. On y participait à l'époque quand on avait Andrea Guardini.
Est-ce que ce changement de direction avec l'arrivée de sprinteurs est aussi guidé par cette course aux points UCI ?
Si vous êtes équipés pour les courses par étapes vous pouvez aussi marquer un maximum de points (rires).
Plus sérieusement, que pensez-vous de ce système de montées et de descentes ?
On est dans un monde professionnel, il faut de la concurrence. Après, le futur nous dira si c'est une bonne chose. Quand vous voyez que la première équipe pro continental choisit son calendrier à la carte, c'est limite mieux que d'être dans le World Tour puisque vous n'avez pas les obligations qui en découlent. Parfois, ça peut être dur d'être compétitif sur différents fronts en même temps. Qu'il s'agisse d'un point de vue logistique, au niveau du staff ou des coureurs dont il faut faire attention qu'ils ne dépassent pas les quatre-vingt jours de course. On verra sur les trois prochaines années qui sera gagnant dans cette histoire. On fera les comptes à la fin. Ce n'est pas évident car d'un côté les sponsors veulent des garanties, mais de l'autre il faut qu'il y ait cette concurrence.
Mark Cavendish arrive avec Cees Bol. Quels autres coureurs vont composer son train ? Boaro ? Martinelli ?
C'est possible, oui. On a Gruzdev qui est un bon rouleur, Fedorov aussi. Puis les autres sprinteurs peuvent être alignés ensemble sur certaines courses. Laas, Bol et Syritsa peuvent bien travailler ensemble pour lancer Mark. Il faut trouver le bon équilibre.
Son début de saison est prévu au Tour d'Oman...
Oui, après sa dépendra de sa préparation. Mais il est dans la bonne direction. Il est arrivé ici cinq jours avant tout le monde afin de commencer à s'approprier le matériel et accumuler les kilomètres.
Concernant Cees Bol, il aura aussi droit à sa propre carte ?
Sur les courses principales il sera au service de Mark, mais il aura aussi sa chance sur d'autres courses. Il débutera au Saudi Tour.
Vous avez un autre sprinteur en la personne de Gleb Syritsa qui s'annonce prometteur...
On a vu l'an passé quand il était stagiaire qu'il était intéressant. Maintenant, il faut qu'il se frotte à la concurrence. C'est pour ça qu'on l'a envoyé à San Juan où il a pu côtoyer ce qui se fait de mieux. Physiquement, il est très fort. Il manque encore un peu d'expérience, mais il a du caractère. Il aura un calendrier de course adapté où il pourra se mettre en évidence.
Revenons un moment sur cette saison 2022, la plus difficile de l'histoire d'Astana. Avec un peu de recul, comment l'expliquez-vous. C'est la malchance ?
Il y a de ça, mais on a perdu pas mal de coureurs quand même (Vlasov, Fuglsang, Izagirre I. et G., Aranburu, Fraile, Sobrero...). Et si vous regardez la saison qu'ils ont fait ailleurs, ils ont plutôt bien performé.
C'est un regret d'avoir perdu tous ces coureurs ?
Oui, mais il faut rebondir et repartir sur de nouvelles bases. Il y a quelques années on a perdu Vincenzo Nibali, Fabio Aru ou Mikel Landa et on a reconstruit. On a eu Jakob Fuglsang, Michael Valgren, Magnus Cort, Omar Fraile. On est reparti, on a reconstruit et on a regagné des courses avec notamment une saison 2019 record. Comme on dit, la roue tourne. L'an passé, ça ne s'est pas bien passé. Il y a eu un changement dans la direction. Beaucoup de coureurs ont été touchés par le Covid, il y a eu des blessures. On démarre désormais un nouveau challenge avec une équipe plus tournée vers les sprinteurs.
Est-ce pour vous une saison de transition ? On sait que beaucoup de vos coureurs seront en fin de contrat en décembre prochain...
Alexandre Vinokourov travaille déjà dessus. Il y aura des mouvements ça c'est certain, mais il n'y a pas de raison que l'effectif de cette année ne performe pas. On construit avec les coureurs.
On a parlé du sprint. Concernant les classements généraux on se tournera vers Alexey Lutsenko ?
Oui, c'est un coureur qui donne des garanties. Tout ne s'est pas passé comme il aurait voulu l'an passé. Il a chuté en pleine préparation, mais il est quand même arrivé en forme pour le Tour de France. Il a confirmé qu'il était l'un des meilleurs coureurs du monde en terminant une fois de plus dans le Top 10. Aux championnats du monde, il a été le seul à suivre Remco Evenepoel. Dommage qu'il ait manqué le podium. Mais parfois il faut un peu plus de chance.
Il se sera une nouvelle fois sur le Tour cette année ?
Oui, il va démarrer au Tour d'Oman qui est une course qu'il affectionne particulièrement. Pour préparer la saison en Europe, c'est l'endroit idéal car le parcours est varié.
Un mot sur Samuele Battistella qui a montré des choses intéressantes l'an passé...
Il devrait logiquement faire un pas en avant cette saison. C'est un coureur qui a des grandes qualités et qui a la têtes sur les épaules. Il a commencé à confirmer son potentiel l'année dernière. On l'a vu deuxième à Foia sur le Tour d'Algarve, deux fois deuxième sur la Vuelta. Il est bon sur des parcours différents, c'est encourageant. Il peut gagner cette année.
En parlant de pas en avant, Yevgeniy Fedorov pourrait confirmer son titre de Champion du Monde U23 ?
Oui, déjà chez les jeunes on avait pu constater qu'il avait des qualités de rouleur. Pour sa première participation à Paris-Roubaix, il était devant. Par manque d'expérience il a chuté, mais il était avec les meilleurs. Les qualités sont là, il a fait une Vuelta exemplaire pour un jeune coureur avec un grand gabarit. Il est ensuite devenu Champion du Monde, derrière il a fait deuxième du Tour de Lombardie U23. Même sur les Mondiaux de Gravel il s'est distingué en terminant cinquième juste derrière Van der Poel.
Il fera encore un grand tour cette saison ?
Oui, il devrait être au départ du Tour de France avant d'aller défendre son titre de Champion du Monde à Glasgow. Mais il va d'abord se concentrer sur les classiques.
Évoquons également David De La Cruz. Vous attendez plus de lui cette année ?
On ne peut pas dire qu'il a fait une mauvaise saison, mais l'équipe a été dans une mauvaise spirale. Il n'a pas été au top au Giro à cause d'allergies. On a fait le point avec lui et on va s'adapter car c'est un coureur qui donne également des garanties. Il peut briller sur les courses à étapes d'une semaine.
Un mot maintenant sur Gianni Moscon qui n'a pas eu de chance lors du Tour Down Under dans la lignée d'une saison 2022 très compliquée...
Oui, il était notre leader avec Fabio Felline qui est lui aussi tombé malade. On compte sur lui pour les classiques. Paris-Roubaix lui tient à cœur surtout après l'édition 2021 qu'il n'a pu gagner à cause d'une crevaison. L'an passé il a eu le Covid, il a été longtemps malade. Il lui a fallu du temps pour récupérer. Il est parti en fin de saison sur le Tour de Langkawi pour préparer 2023. Dommage qu'il y ait eu cette chute en Australie.
Quand devrait-on le revoir ?
Il devait enchaîner Jaen et la Ruta del Sol afin d'être prêt pour les classiques. On va voir comment se passe son rétablissement. Le médecin de l'équipe en Australie a fait du super boulot en organisant une opération. Ça lui permettra de récupérer beaucoup plus vite.
Il sera au départ du Giro. Quels seront vos objectifs sur cette course ?
On ira pour chasser les étapes. C'est l'objectif de l'équipe. Le classement général viendra après.
On imagine, justement, que toute votre saison va être axée sur les victoires d'étapes.
Les classements généraux vont être moins ciblés ?
Oui, on va être plus à l'attaque puis on aura des opportunités sur les sprints. On va jouer avec les cartes qu'on a entre les mains et tenter d'avoir un maximum de résultats.
À ce titre, est-ce qu'Alexandre Vinokourov a fixé un objectif à l'équipe pour cette saison 2023 ?
On a terminé dernier du classement World Tour en 2022, on aimerait revenir dans le Top 10 mondial. On a touché le fond, il faut relever la tête et aller de l'avant.
Si vous deviez citer un coureur en qui vous croyez beaucoup pour cette saison et qui pourrait surprendre ?
Battistella, sinon Fedorov côté kazakh. Après on a beaucoup de jeunes coureurs prometteurs. Puis on compte bien-sûr sur Mark Cavendish pour faire une belle saison. Il aura la pression, mais dans ce sport il y en a toujours.
Propos recueillis par Alexandre Paillou