Les soldats de l'Equipe Cycliste de l’Armée de Terre sont de bien étranges soldats. Leur tenue de camouflage devrait les inciter à plus de furtivité mais il semblerait que ce ne soit guère le genre de la maison. Depuis plusieurs années le bruit de leur bottes clipsables se fait plus remarquer au sein du peloton amateur et professionnel, tant et si bien que chaque saison semble repousser les limites de la précédente.
L’histoire née en 2001. L'arrêt décidé du service militaire obligatoire par Jacques Chirac sonne le glas du bataillon de Joinville. C’en est désormais fini de cette structure qui vit tant de sportifs de haut niveau la traverser. Côté cyclisme, ne demeure plus dans l’armée que 4 équipes, une pour chacun des corps de la “grande muette” : air, mer, gendarmerie et enfin terre. Parmi ces athlètes militaires dont le vélo est la passion, se trouve un jeune adjudant, David Lima Da Costa qui, très vite, se voit confier les rênes de l’équipe : « Comme j'étais le plus gradé, on m'a donné en 2003 le poste de responsable de l'équipe. De 2003 à 2009 je recrutais des athlètes dans la fonction civile et on les plaçait dans les différents régiments. Puis ils couraient une fois toutes les 4 ou 5 semaines sous l'appellation de l'équipe cycliste armée de terre ».
Progressivement, l’équipe évolue jusqu’à cette année où un homme va la faire basculer dans une autre dimension : Nacer Bouhanni. L’équipe remporte en 2009 le Tour de Gironde ainsi que quelques étapes, la structure commence à attirer des coureurs de niveau national, vainqueurs de coupes de France amateur. Désormais dans la lumière, il est temps de voir plus grand malgré le manque de moyen : « Des résultats obtenus avec très peu de moyens, presque rien. Mais avec un vrai engouement au niveau de l'armée ».
Armé de cet enthousiasme, celui qui n’est qu’alors simple adjudant, vient frapper directement à la porte du chef d’état-major de l’armée de terre :« Je lui dis : “voilà mon général, on a une équipe de cycliste qui fonctionne très bien au vu des résultats. Suite à ça, je vous demande l'autorisation d'avoir et de gérer une équipe à temps plein afin d'utiliser le cyclisme comme vecteur de communication pour l'armée de terre”. Le général me répond : “ ok mon adjudant je vais vous donner les moyens en matière de personnel. Mais pas financier “ ». David Lima Da Costa quitte le bureau avec un accord sur 3 ans, et une once de pression planant telle une épée de Damoclès sur sa tête : « Avant de quitter son bureau, je lui ai dit : “mon général dans 3 ans on gagnera La Coupe de France DN1 et on sera champion de France”. Lui m’a répondu : ” je vous le souhaite mon adjudant parce que si ça ne fonctionne pas, je ne vous renouvellerai pas” ». Les objectifs sont posés sur la table, la structure également. 2011 : l’aventure débute !
Les résultats poursuivent sur leur lignée : L’équipe commence en DN2 sans passer par la case DN3. Puis passe DN1 l’année suivante. En 2014 elle obtient 40 victoires, ainsi que la Coupe de France DN1 et le titre de meilleure équipe. Mieux encore l’année suivante : le collectif accumule 74 victoires, le titre de champion de France individuel de Chrono amateur. Cette réussite commence d’ailleurs à faire grincer les dents parmi les rangs amateurs. Il est temps de passer un nouvel échelon. Encore un, pour une équipe qui n’a de cesse de croître depuis 10 ans déjà. C’est un soutien de poids qui va se saisir du dossier. Lors du tour de Bretagne, L’Armée de Terre cycliste va prendre le maillot de leader et le conserver avant de ne le perdre l’ultime journée. Qu’à cela ne tienne, l’équipe a tapé dans l’œil d’un homme. Il est breton, grand amateur de cyclisme et surtout, ministre de la défense. Jean-Yves Le Drian est un homme du vélo assurément, et ce projet un peu fou, il est prêt à le soutenir : « Il m’a dit : “mon adjudant on va tout faire pour que vous puissiez passer professionnel. Montez-moi le dossier et on va voir comment y arriver” ». Parfois la vie d’un projet ne tient pas à grand-chose. Il suffit de tomber au bon moment et avec les bonnes personnes : « le ministre était porteur du projet et a beaucoup aidé. Mais les chefs d'état-major de l'armée et de l'armée de terre étaient favorables aussi. J'ai proposé un projet au moment où les gens étaient réceptifs, aimaient le sport et savaient que cette équipe avait une belle notoriété. Aujourd’hui, ils sont tellement contents qu’il n'y a plus du tout de doutes sur le projet. ».
C’est avec cet appui politique de taille que l’équipe devient professionnelle en 2015. Une première saison pour apprendre, avec quelques accessits glanés au passage. Puis une année 2016 riche, avec un classement général de la coupe de France qui s’est envolé sur l’ultime ligne droite de la saison : « on a fini deuxième de cette coupe à un point du premier. On perd bêtement notre première place le dernier jour, sur une grosse erreur de notre part ». Et l’année 2017 semble prouver que l'équipe a -encore- franchi une étape : 11 succès, dont un Tro Bro Leon, un Tour du Finistère ou encore une étape sur les 4 jours de Dunkerque les hommes de Damien Gaudin ont pu se frotter à l’élite du peloton grâce à des victoires de hautes volées.
L’Equipe Cycliste de l’Armée de Terre, avant d’être une aventure sportive, c’est d’abord un projet humain. Il a la fraîcheur de ces organisations pour qui la “débrouille “ est une composante à part de leurs ADN. Car il ne faut pas croire que l’Armée finance à fond perdu cette équipe. On en est même assez loin : l’armée ne prend en compte que les salaires de l’équipe. Charge à David Lima Da Costa de trouver le reste via un sponsoring classique et similaire aux autres formations. Mais cette équipe, dans un contexte de guerre contre le terrorisme et de baisse des crédits suite au livre blanc, suscite interrogations et commentaires parfois peu enclins au positif. L'adjudant qu’il fut alors dû - et doit toujours - batailler à maintes reprises pour justifier son projet : « Quand j'ai créé l'équipe, j'étais sergent. Un jeune adjudant qui propose comme ça un projet à l'état-major, vous imaginez bien que mon poids était très, très bas. Il a fallu que je me batte, que je prouve que c'était un beau projet, et qu’au-delà du problème financier, les retombées allaient être très importantes et ça j'en étais persuadé ! ».
Et quand ce n’est pas l’interne, ce sont les contribuables qu’il faut convaincre sur le bord des routes. Supporters, amateurs, simples badauds, ils sont nombreux à regarder d’un œil perplexe cette structure. Après tout, en ces temps troublés où l’ombre du terrorisme plane, hideuse et menaçante, autour des français, à quoi bon dilapider de l’argent pour une simple équipe cycliste, se disent certains ? :« Est-ce qu’on me parle de l’équipe pour l’argent de l’état ? Mais ça tout le temps ! Même sur les bords de routes. Aujourd'hui, c'est un combat de tous les jours, parce qu'il y a des gens qui sont encore réticents et qui disent que cet argent pourrait être mis ailleurs. Aujourd'hui je sais quoi répondre à ces gens-là : Vous prenez toutes les équipes françaises, vous y verrez l'argent de l’État : La FDJ, la Vendée, les Hauts de Frances, la Savoie… Tout le monde touche des subventions des conseils régionaux ou bien le département. Moi je n'en n'ai aucune de ce type, le seul soutien que j'ai, c'est grâce à l'armée pour le salaire de mes athlètes. Je me considère à égalité avec les autres équipes françaises. A ces gens je leur réponds : “ monsieur vous portez un maillot financé un million d’euro par la région et donc par vos impôts” ».
L’Equipe Cycliste de l’Armée de Terre a ainsi été fondée et forgée tout au long de son existence pour être un vecteur de communication de l’Armée de Terre. Force est de reconnaître que la balance des retombées médiatiques eu égard au coût de l’investissement va bien au-delà de l’espéré. De quoi être rassuré et pouvoir s’assurer une certaine stabilité : « on est devenu le troisième vecteur de communication de l'armée de terre. Et ça c'est important parce qu'ils se disent qu'avec très peu de moyens, vu notre impact, ils ne peuvent pas arrêter ça. On a des résultats dans un sport très populaire où l’on traverse des villes des villages, on est reconnaissable avec nos maillots camouflés... L'engouement au niveau de l'armée ne pouvait plus aller en sens inverse ».
Qu’en est-il des hommes dans tout cela. Peut-on être un cycliste “normal” en épousant la carrière militaire, ne fut-ce que l’espace de quelques années ? Un athlète qui rentre à l'armée de terre s’inscrit d’un un projet à court et long terme. Il y choisit un métier, informaticien, moniteur sportif, comptable...etc., avant d’être détaché dans l’équipe cycliste. C’est ce métier qu’il récupère à l’issu de son aventure sportive. Une aventure faite de discipline et d’exigence :« aujourd'hui je gère notre équipe cycliste comme une section de l'armée de terre, avec de la discipline, des règles et des devoirs que tout militaire doit avoir. En entretien je sais quand ça va bien se passer avec l’un et quand ça ne se passera pas bien avec l'autre par rapport à ces critères ». Forcément il n’est pas donné à tout le monde d’accepter un projet sans doute plus contraignant qu’ailleurs : « Les coureurs qui viennent n'ont pas le choix d'adhérer à ce système. Le coureur qui ne veut pas adhérer aux règles n'a rien à faire chez nous. Bien sûr qu'on a eu des problèmes et sans les nommer, regardez les coureurs qui n'ont fait qu'un an chez nous. Ce sont ceux sur qui je me suis trompé ».
Certains partiront donc prématurément. Mais comme l'écrivait Saint Exupéry “La vérité de demain se nourrit de l'erreur d'hier”, et ces échecs permettront d’affiner les sélections au fil du temps. Depuis peu, ce sont des coureurs d’un certain renom, en difficulté dans leurs équipes précédentes qui viennent intégrer la structure, gage de l’attractivité de plus en plus forte de cette dernière :« L'expérience n'a pas toujours été enrichissante pour eux alors je leur ai dit : ” avant de quitter le monde de vélo, vous qui avez 29 ans, 30 ans, je pense que vous avez encore des choses à montrer. Moi j'ai une méthode de travail, c'est comme ça, je vous la propose et je vous demande un an. A l’issue, vous l'acceptez ou vous partez ” ». Ce discours a été entendu par Julien Loubet, Stéphane Poulhiès, Steven Tronet, ou bien encore Damien Gaudin. Des sportifs qui ont roulé leur bosse dans de grandes structures, parfois en World Tour et qui y ont parfois vécu des aventures décevantes. Des paris pour la plupart, et à l’arrivée des victoires sportives et humaines. Y-a-t-il une méthode Lima Da Costa ? « Vous dire que j'ai la recette miracle non je n'ai pas le droit de vous dire ça c'est juste que j'ai une façon de voir les choses qui font que ça fonctionne sur les coureurs que j'ai recrutés aujourd'hui. Si le coureur se sent bien et qu'il est bien dans son équipe les résultats seront là ». Pour qu’un coureur se sente bien, il faut aussi un encadrement à la hauteur : « vous ne voyez à l'arrivée les coureurs embrasser les mécanos, les assistants, les chauffeurs de bus, et directeurs sportifs que s’il est bien dans sa peau et reconnaissant ». «” L’armée ? Une famille” » nous confiait il y a quelques semaines Julien Duval.
Maintenant que l’équipe est reconnue par ses pairs, il y a désormais une nouvelle marche à franchir. Mais combien en a-t-elle déjà gravie depuis 15 ans ! Il n’est nul étage que l’équipe semble vouloir ignorer. Un temps pressenti pour 2017, un passage en continental est toujours d’actualité pour 2018. Juridiquement tout est bouclé depuis 1 an et demi, ne reste plus alors qu’à trouver cette manne financière qui fait encore défaut. Reste que l’Equipe Cycliste de l’Armée de Terre frappe à grand coup sur la porte de la 2eme division et que ses résultats récents semblent donner des gages sportifs conséquents : « C'est exceptionnel, parce que derrière, mon salaire, je viens le chercher chaque weekend avec les résultats. Et aujourd'hui je suis un des managers les mieux payés de France ! Avec nos victoires on est sur le haut de la vague, les jeunes veut limiter les anciens et tirent le groupe vers le haut. Je vis des moments exceptionnels et j'en profite parce qu'on peut descendre très vite ». Ces moments de grâce pourraient d’ailleurs bien se prolonger grâce aux prochains grands objectifs de la saison, sur le chrono des Frances, ou bien alors le Tour du Luxembourg.
Il n’est nul assaut qui ne vaille la peine d’être mené sans audace. Et de l’audace, l’Equipe Cycliste de l’Armée de Terre en regorge à foison comme elle le prouve encore cette saison.
De quoi rêver monter, dans quelques saisons, au front du Tour de France ?
Propos recueillis par Bertrand Guyot