Interview Cédric Vasseur : "Après cette première année en World Tour, nous avons compris qu'il fallait nous renforcer avec des coureurs aguerris"
Pour sa première année en World Tour l'équipe Cofidis aura connu une saison mitigée avec deux succès seulement (une étape à la Tropicale Amissa Bongo pour Attilio Viviani et une étape au Tour des Alpes Maritimes et du Var pour Anthony Perez). Le gros mercato réalisé l'hiver dernier aura connu son lot de déception avec Elia Viviani, mais également de réussite et de promesses pour la suite, avec la belle saison réalisé par Guillaume Martin. Le manager de l'équipe, Cédric Vasseur, dresse avec nous le bilan de cette saison un peu particulière dans l'histoire du cyclisme et évoque les perspectives de l'équipe Cofidis.
Avant que la saison ne reprenne, vous nous aviez fait part de vos craintes concernant la tenue de ce calendrier bis à l'automne, en raison de toutes les incertitudes liées à l'épidémie de Covid19. Maintenant que la saison est terminée, il semble que le monde du vélo professionnel ait plutôt bien réussi à s'en sortir ?
Le monde du cyclisme est probablement dans le sport celui qui s'en est le mieux sorti. Quand on fait le bilan aujourd'hui du nombre de compétitions qui ont réussi à se maintenir, notamment les grands tours et les monuments, excepté Paris-Roubaix, je pense qu'on peut lever un grand coup de chapeau, à tous ces organisateurs, à l'UCI, aux fédérations nationales et aux équipes avec leurs coureurs, qui ont tous joué le jeu. Les contraintes étaient nombreuses, pas forcément facile à mettre en place et chacun a pu montrer ce dont il était capable. Et pour ce qui nous concerne en tant qu'équipes, nous avons pu donner de la visibilité à nos partenaires. Au vu du contexte, on ne pouvait finalement guère mieux faire et je crois que beaucoup de sports auraient aimé être à la place du cyclisme.
Pour en venir à l'équipe Cofidis, si l'on s'en tient à un aspect purement comptable, l'équipe ne compte simplement que deux victoires sur des courses mineures en 2020. On imagine qu'il doit y avoir de la frustration de ce côté-là ?
Oui d'un point de vue comptable, le nombre de victoires reste une déception car avec la qualité d'effectif qui était la nôtre cette année, on était en droit de s'attendre à plus, on ne peut pas le nier. Maintenant il faut bien prendre en compte que c'était une équipe largement renouvelée, avec bien sûr l'arrivée de Guillaume Martin ou Elia Viviani, mais aussi d'autres coureurs, qui ont malheureusement du faire avec ce confinement et l'éloignement les uns des autres, le manque d'automatismes que cela a créé. Bien sûr vous allez me dire, toutes les équipes ont été confronté au même problème, c'est vrai, mais toutes les équipes n'étaient pas aussi remodelées à l'intersaison. Pour une équipe dont la configuration a beaucoup changé, l'éloignement lié au Covid a pesé, c'est un élément à prendre en compte. Au final, c'est vrai qu'on termine à la 19e place du classement UCI. On ne s'attendait pas pour une première année en World Tour à faire beaucoup mieux que la 15e place, mais on aurait bien sûr voulu faire mieux. Après ce n'est non plus une saison catastrophique, et au delà de l'aspect comptable, on a évidement connu de belles choses et beaucoup vibré autour de la très belle saison de Guillaume Martin.
Justement, lorsque Guillaume est arrivé dans l'équipe, vous aviez affiché le concernant des objectifs ambitieux, que certains trouvaient à l'époque très élevés. Sa belle saison doit certainement vous conforter dans vos propos ?
Je pars toujours du principe que pour toucher la lune il au moins viser les étoiles. Avec Guillaume Martin, on savait qu'on recrutait un coureur talentueux, qui avait déjà fait ses preuves et avait besoin ensuite de trouver ses marques chez nous. Maintenant c'est chose faite, à nous de bien établir un programme raisonnable pour 2021. Je parlais d'une place aux portes du Top 5 du Tour et je n'en démords pas. Je reste convaincu, avec le Tour qu'il a réalisé cette année, l'expérience qu'il a accumulé, la Vuelta qu'il vient de faire, il a la possibilité d'approcher ce top 5. Le point sur lequel il va falloir s'améliorer maintenant c'est la finition. Guillaume a été très régulier mais il lui manque, et c'est le premier à le dire, une victoire dans cette très belle saison 2020. A nous de travailler de façon à aller chercher la gagne sur une étape du Tour ou pourquoi pas un jour sur un Liège-Bastogne-Liège. L'objectif est de continuer sa progression au niveau international, je n'ai aucun doute sur ça, et d'en faire un coureur capable d'aller gagner.
Quand on regarde son Tour de France, il reste longtemps très bien placé au général, avant de céder finalement du terrain. Que lui a-t-il manqué pour finir dans le top 10 ?
Il y a deux choses qui se sont mêlées. D'abord il y a eu des problèmes mécaniques au mauvais moment et je pense notamment au Grand Colombier, quand on doit changer de vélo au pied de l'ascension et que le tempo est très élevé. Il y a des circonstances atténuantes à ce niveau et personne n'est à l'abri de ce genre de problème. Ensuite le deuxième aspect, c'est la première année où Guillaume est confronté à la pression du top 5, voire du podium, et dans cette situation il y a une pression qui est différente, chaque jour on a pas droit à l'erreur. C'était un peu une nouveauté pour lui et cela fait partie de son apprentissage, il a enrichi son expérience en côtoyant les meilleurs cette saison, ceux qui jouent le podium des grands tours.
Sur la Vuelta, il a montré un visage différent, plus offensif et moins préoccupé par le classement général. Quelle façon de courir lui convient finalement le mieux ?
Il faut d'abord rester humble, on a vu de toute façon des Roglic, Carapaz ou Carthy au dessus du lot sur la Vuelta. Cela veut dire qu'on doit peut-être se fixer d'autres objectifs qui nous remettent dans le jeu pour le classement général. Il y a deux façons de bien figurer au général, ou bien on s'accroche tous les jours en essayant de ne pas avoir de jour sans, ou bien on part avec un handicap et on ne représente pas réellement de danger et grâce à une échappée on peut se replacer. On est peut-être aujourd'hui plus dans cette configuration. Quand on voit le parcours du Tour l'an prochain, on est tous d'accord pour dire que la première partie du parcours n'est pas idéale pour nous, avec du chrono pour rouleur et des étapes à bordures. Indirectement cette configuration du Tour va peut-être nous enlever de la pression nous remettre ensuite dans le jeu pour le général. Au vu de sa très belle saison, on ne peut être que plein d'espoirs.
Pour terminer avec Guillaume Martin, malgré toute l'importance que peut avoir le Tour pour un équipe française, peut-il envisager également à l'avenir, à l'image d'un Thibault Pinot, de tenter de briller sur le Giro ?
Absolument. Je pense que son cœur est tourné vers le Tour de France, c'est logique. Encore une fois je pense qu'il est aux portes d'un exploit sur le Tour et donc ça reste la priorité. Il y a les JO aussi l'an prochain et même si le nombre de places est très limité, je crois qu'il a montré cette année aux Championnats du monde qu'il pouvait être décisif pour l'équipe de France, je pense que Julian Alaphilippe est d'accord avec moi. Il a vraiment participé à la conquête du maillot arc-en-ciel de Julian, après bien sûr ça sera à Thomas Voeckler de décider. Ceci étant, à l'avenir, on ne peut pas dire qu'on fera chaque année Tour-Vuelta, le Giro doit devenir un jour un objectif pour Guillaume, mais une fois qu'il aura réussi à s'accomplir pleinement sur le Tour de France.
Venons-en maintenant à Elia Viviani, où là on peut parler d'échec pour cette année. On sait aujourd'hui l'importance des trains autour des sprinteurs, faut-il aller chercher des explications ce côté là, ou bien s'agit-il simplement de difficultés plus personnelles ?
D'abord je veux dire que je maintiens une confiance totale en Elia Viviani. On l'a recruté parce que c'est un grand champion et ses victoires parlent pour lui. Sincèrement je pense que tout s'est mal déroulé pour lui en 2020. On a débuté la saison en Australie, pleins d'ambitions et une chute sévère est venu vraiment déstabiliser sa progression. Ensuite il y a une cascade d’éléments qui viennent perturber son programme. Annulation du Tour d'Oman, changement avec le Tour d'Algarve, on l'avait prévu sur Tirreno-Adriatico mais à cause du Covid on l'inclut sur Paris-Nice dans un groupe où il manque de repères et cela ne marche pas. Vient ensuite le confinement, l'éloignement et donc on ne peut pas justement travailler les repères ensemble. C'était pareil pour les autres équipes évidement, mais un Arnaud Démarre par exemple, n'avait pas à travailler de nouveaux automatismes. En juillet avant la reprise, Elia a voulu faire comme les autres années un stage en altitude. C'est le genre de chose qui fonctionne quand on a bien marché avant en courses, mais là il a développé des qualités sur une terrain qui n'est pas le sien et quand on l'a retrouvé sur Milan San-Rémo, il avait cette endurance dans les bosses mais n'avait plus de punch pour peser dans le sprint et cela l'a poursuivi dans le Tour. On a vu qu'il passait bien la montagne dans le gruppetto, par contre il lui manquait cette "injection" pour le sprint et ça l'a poursuivi au Giro. Au final il y a un concours de circonstances, qui à mon sens ne devrait plus se reproduire l'an prochain.
La confiance envers lui n'est pas entamée ?
La confiance est là. On a encore renforcé son train, car on a remarqué par exemple au Giro que lorsqu'il qu'il perdait la roue de Consonni, il n'avait personne pour le ramener et ce n'est pas non plus à ce dernier de se relever pour l'attendre, donc on a été chercher un Jempy Drucker qui a cette expérience. On a donc voulu renforcer ce groupe sprint autour de lui car on est aussi conscient de toutes les difficultés. N'oublions pas aussi que cette année Christophe Laporte a également été handicapé par sa chute en janvier en Argentine , avec sa fracture du poignet qui a pesé dans sa saison.
Pour Elia Viviani, je reste persuadé qu'il va briller et il a toujours autant envie de bien faire. De toute façon on a tout intérêt à continuer de miser également dans ce domaine, car lorsqu'on regarde par exemple le Tour de la Groupama FDJ, avec l'abandon de Thibault Pinot et la contre-performance de Gaudu, on a vu qu'ils n'avaient plus d'autres possibilités. Si cela n'a pas marché pour Elia Viviani sur le Tour, Guillaume était là et a permis à Cofidis de sauver son Tour. Et si cela n'a pas marché de nouveau avec Viviani sur le front du Giro, on a eu la possibilité de briller en faisant une Vuelta remarquable. Certes nous n'avons pas gagné d'étape, mais nous avons été protagoniste, nous terminons 6e au classement général par équipes, devant Inéos-Grenadiers et en ramenant le maillot de meilleur grimpeur.
Parlons maintenant de l'effectif pour l'année prochaine. Vous avez déjà évoqué Jempy Drucker, en allant chercher Simon Geschke ou Jelle Wallays vous avez voulu trouver l'expérience et la solidité qui vous faisait défaut cette année en World Tour ?
Oui je crois que c'était manifeste. Après cette première année en World Tour, nous avons compris qu'il fallait nous renforcer avec des coureurs aguerris. Jempy Drucker dont je parlais tout à l'heure et qui sera intégré au train Viviani, est aussi quelqu'un capable d'aller faire des places quand il le faut. Simon Geschke est un coureur qui a déjà montré ses capacités au côté de Tom Dumoulin ou Warren Barguil et Jelle Wallays, est un peu comme Thomas De Gendt, lorsqu'il est dans une échappée on sait qu'il a cette capacité d'être un redoutable concurrent et de pouvoir conclure.
Ce sont des coureurs de plus de trente ans, avec une grosse expérience dans de grandes équipes et qui doivent permettre à nos jeunes de progresser, comme Szymon Sajnok, doté d'une superbe pointe de vitesse, Rémy Rochas et Andre Carvalho, ou bien un Ruben Fernandez, moins connu du public français et qui pourtant a gagné un Tour de l'Avenir et aura un rôle clé autour de Guillaume Martin. Alors c'est vrai, on peut dire que l'équipe Cofidis a beaucoup bougé en 2021, mais c'était une nécessité de se renforcer avec des coureurs ayant une solide expérience en World Tour.
Pour terminer, dans ses notations de fin de saison l'équipe de VéloClub.net a mis 11,5/20 à Cofidis. Trouvez-vous cette note un peu sévère ou conforme à la réalité ?
Disons que c'est peut-être plus associé aux échecs d'Elia Viviani ou Christophe Laporte qu'à la réussite de Guillaume Martin, meilleur français du Tour, meilleur grimpeur de la Vuelta et 3e du Dauphiné. J'aurais plutôt été sur du 13/14, mais avec le potentiel qu'on avait c'est vrai qu'il a manqué une victoire d'étape dans un Grand Tour par exemple, qui aurait forcément donné une meilleure note. A nous de travailler pour améliorer cette note et c'est ce que nous sommes déjà en train de faire.
Par Ximun Larre (Crédit photo : Louis Vantuycom)