Il y a 15 ans déjà que sous la chaleur ardente du soleil de juillet, un enfant jouait dans la cour de sa maison, juché sur son vélo. Il y refaisait la course du jour, attaquant à de multiples reprises de redoutables et invisibles concurrents, leur disputant sprints et victoires d’étapes. Il s'imaginait faire le Tour, sans savoir qu’un jour, en 2017, il en deviendrait l’un des comédiens.
Guillaume Martin est un élève doué et ses résultats scolaires semblent tracer une voie royale vers de belles études. Mais c’est sans compter pour son attirance vis à vis du sport en général : « C'est quelque chose qui m'a bercé très jeune. Alors que beaucoup d'enfants regardent les dessins animés à mon âge, pour moi, c'était le sport ». Son paternel a pratiqué plus jeune le vélo, s'arrêtant au seuil du professionnalisme, avant de le délaisser pour se consacrer corps et âme à l’enseignement de l'aïkido. Le flambeau, impalpable, a été repris par le fils qui s’est pris d’amour pour cette discipline, de Paris - Roubaix jusqu’à ce Tour de France, qu’il se plaît à suivre au bord de la route lorsque le parcours se fait propice à un déplacement : « Quand il passait dans l'ouest j’allais voir la course. Et comme beaucoup d'enfants j’essayais de rattraper des bidons au ravito ».
Les années 2000 apportent au futur coureur de Wanty Groupe Gobert les premières émotions cyclistes, malheureusement douchées quelques années plus tard par les giboulées des révélations assourdissantes qui firent lumière sur les pratiques du peloton de l’époque : « J’ai un peu la malchance d'avoir été spectateur enfant des mauvaises années. Difficile d'avoir Amstrong comme idole... ». Dans cette cour peuplée de mutants et puisqu’il faut bien à un moment s’accrocher à une branche de cet arbre aux fruits avariés, le kazakh Vinokourov sort du lot pour son style tout en panache : « Même si comme pour Amstrong, c’est difficile de l'avoir en idole, mais je l'aimais bien pour le panache et sa façon de courir car il était capable d'attaquer de loin. C'est une manière de courir qui marque le plus, enfant. Bien plus que celle d’un suiveur ».
C’est d’ailleurs un suiveur célèbre qui va trouver grâce à ses yeux quelques années plus tard, en 2011. Cadel Evans, australien, pourtant peu coutumier des coups de panache, va enfin se saisir du paletot jaune à l’issue de la compétition, au prix d’une lutte menée à distance avec Andy Schleck sur les pentes du terrible Galibier : «Cette étape m’a marquée. Il faut dire qu'il y avait eu pas mal de moments assez épiques : Andy qui part devant, Voeckler en jaune qui s’accroche, Evans qui prend la poursuite à son compte, la défaillance de Contador. Et puis Cadel Evans, j'aimais bien paradoxalement, malgré son côté suiveur. il avait un côté simple, nature. En plus c'est un coureur pour lequel il y a eu peu de doutes, ce qui n’était pas facile quand on voit les vainqueurs du Tour de l'époque ».
Car l’ombre hideuse du dopage et de ses conséquences sur les courses jette un voile ténébreux sur l’imaginaire collectif. Peu importe les révélations, les suspensions et sanctions diverses, le cyclisme ne serait-il destiné qu’à être le théâtre artificiel où seule la tromperie tiendrait le premier rôle ? Quels parents de l’époque iraient pousser ses rejetons dans les affres de cet univers tumultueux sans nulles craintes : « Du côté de ma mère et de ma grand-mère, elles n’étaient pas du tout pour que je fasse du sport. J'avais des bons résultats à l'école donc elles avaient peur que je fasse du vélo, alors que je pouvais faire des études brillantes. Elles me transmettaient cette idée du “tous dopés” et du coup c'est quelque chose que j'avais un peu intériorisé malgré moi ». Au point de ne nourrir que peu d’illusions quant à la pertinence d’un véritable avenir professionnel. Mais voilà qu’au fur et à mesure que l’actuel lyonnais franchit avec succès, les étapes intermédiaires qui le mèneront au professionnalisme, ses résultats dissipent les nuages qui assombrissaient son futur : Le cyclisme à bel et bien évolué, et ce, dans le bon sens. Aujourd’hui, le fameux “Tour du renouveau” tant à la mode dans les années 2000, n’est plus une chimère que l’on brandie pour s’auto-persuader, mais belle et bien une réalité tangible. Et même si des cas tapis dans l’ombre émergent de temps à autres, il n’est nul besoin désormais de jeter l’opprobre sur l'intégralité du peloton, le règne du soupçon est révolu : « Pour le dopage médical ou mécanique, je ne veux pas me pourrir la tête. J'ai un parti pris, c'est le principe de charité : je n'accuse pas sans preuve. L’important par contre, c'est que des gens travaillent à la recherche ».
Âgé de 24 ans, Guillaume Martin va participer à son premier Tour de France. Après un début de saison mitigé, parsemé d’allergies et de contrariétés physiques, les voyants sont passés progressivement au vert. Un bon Tour du Jura (2e) ainsi qu’un Critérium du Dauphiné (18e) lui ont permis de se jauger au gratin de l’élite professionnelle, et de prendre de précieux repères. Enfin, un stage en altitude, du côté du col du Lautaret, a achevé sa préparation. Ne reste plus désormais qu’à concrétiser ce travail par une bonne place au général (un top 20), voir une victoire d’étape : « Je suis dans l'état d'esprit de ne pas perdre de temps bêtement au général la première semaine, et de m'accrocher au maximum dans les premières étapes de montagne. Je ferai alors un premier bilan à la journée de repos. Je ne m'interdis pas non plus de prendre des risques. Parce qu'il faut être réaliste, je sais très bien que je ne vais pas gagner le Tour de France. Ce serait donc dommage de se priver de prendre du plaisir en participant à des échappées ».
Armée de l'expérience glanée auprès de Guillaume Levarlet, le leader de l’équipe Belge assume pour autant son inexpérience : « il y a une part de découvertes et c'est pour ça qu'il ne faut pas avoir trop d'attentes. Il ne peut y avoir que de bonnes surprises finalement ». Il s’agit par ailleurs de la première course de 3 semaine que le jeune cycliste va effectuer, ce qui laisse planer sur sa tête une interrogation comme une épée de Damoclès : Comment le corps va encaisser ces 3 540 kilomètres de bitume ? Ce n’est en tout cas pas l'appréhension qui le guette à ce jour : « Je pense avoir de bonnes facultés de récupération, je ne suis pas un coureur très d'explosif, je joue plus sur l'endurance. J'ai envie de connaître cette chose bizarre de 3 semaines dont on parle tant ! ».
Guillaume Martin est encore un coureur méconnu du grand public. Mais en tant que représentant tricolore, et leader qui plus est, il le sait, les projecteurs vont bien se braquer à un moment sur lui. Bien entendu leurs lumières seront sans aucune commune mesure à celle que subira le principal espoir du clan français, Romain Bardet, mais elles n’en demeureront pas moins une nouveauté pour le coureur. Surtout que le natif de Paris présente une particularité susceptible de particulièrement intéresser les médias, toujours friands de ce type de profil : coureur cycliste, mais également détenteur d’un master 2 en philosophie. Ainsi, comme Il y a eu Jeremy Roy, Romain Bardet, il y aura demain Guillaume Martin. Inévitablement, même si le cycliste escompte bien séparer les deux disciplines : « Cette étiquette d'intellectuel, c'est quelque chose dont il faut que je me méfie : j'ai envie d'être reconnu en tant que coureur, pour mes résultats et non ma particularité universitaire. Au même titre que si j'écris (ndlr : il a écrit récemment une pièce de théâtre), je veux que cela soit jugé pour sa valeur littéraire. C'est la même logique ». D’autant que cette double étiquette n’est pas sans inconvénients : Passion n’est pas raison et réciproquement. Le cyclisme est aussi un sport qui se joue aux sensations. : « En course il faut sentir, ressentir. C'est de l'instinct et en faisant des études de philosophie, ce que l'on travaille plutôt, c'est l'intelligence de la raison. Trop rationaliser sur le vélo c'est parfois contre-productif ».
Ce qui n'empêche pas Guillaume Martin de porter un regard critique sur son sport et d’oser proposer une révolution utopique afin de pourfendre l’uniformisation du cyclisme : « Peut-être que le cyclisme se fonctionnarise un peu trop. Avec des équipiers qui mettent totalement de côté leurs ambitions personnelles, et on se retrouve avec une course d’une trentaine de coureurs concernés par la victoire. Très franchement ce n'est pas une évolution que j'apprécie. Un modèle différent et totalement impossible pourrait être de transformer le cyclisme en sport purement individuel ça pourrait révolutionner les choses. Bon après je suis conscient que c'est totalement irréalisable, ne serait-ce qu’économiquement, mais ça ferait des courses passionnantes avec beaucoup de mouvement ».
En somme, le genre de cyclisme que s’imaginait sans doute pratiquer le garçon qui faisait la course avec lui-même dans la cour de sa maison après chaque étape du Tour de France.
Témoignage recueilli par Bertrand Guyot