Le déluge se poursuit, on est km 80, peu avant d’aborder la 1ère difficulté du jour, je passe à la voiture demander s’il n’y a pas quelque chose en plus à mettre, car ça y est l’eau et le froid m’ont envahi. Ils n’ont rien de plus, et les échappées ont 5min d’avance. En revenant dans le peloton, la physionomie de la course a changé en tête de peloton, puisque ce sont mes coéquipiers qui roulent ! Je remonte à leur hauteur et leur demande pourquoi. Ils « roulent pour se réchauffer » me disent-ils. Je reste donc avec eux, chacun passe 2-3 relais plus ou moins long, j’en fais de même mais je sens que j’ai 0 force et que ça ne me réchauffe pas. Mes relais sont moisis, je n’ai aucune sensation, je ne sens plus rien, mes jambes sont vides, mes pieds sont gelés, mais mains aussi. Dans ma tête, je passe en mode survie, « aujourd’hui il faut te battre, tu ne peux pas bâcher, accroche toi ». On arrive dans le 1er col du jour, au fond de moi j’espère que ça me permettra de me réchauffer. Les relais de l’équipe ont étiré le peloton, et lancé un premier écrémage. Jean me lance un « putain on a écrémé !! ». Je me retourne et en effet, il y a moins de monde. C’est parti pour le col, Stéphane fait le tempo la majorité de l’ascension, et là ça ne blague plus, le groupe explose. Je suis à fond mais sans sensations, je ne sens pas la douleur aux jambes comme on la sent normalement dans effort intense en col. Je sens juste la brûlure du froid partout dans le corps, des pieds aux mains. Et je pédale pour survivre, pour rester dans le groupe. Par curiosité je regarde mes watts, car je ne sens tellement rien que je n’ai aucune idée de si on est à 250w ou 400w. Le compteur est entre 300 et 400w, on monte fort, d’une part ça me rassure, car j’arrive toujours à mettre ces watts-là, d’autre part je suis inquiet, même en plein col à bloc : je n’arrive pas du tout à me réchauffer.
Le col se fait par palier, nous ne sommes plus que 20 dans le peloton. Stéphane semble impressionnant. Sur une 2e partie, un Tunisien attaque seul très fort, alors que Stéphane fait un gros tempo. Je suis incapable d’y aller, je trouve l’allure déjà très costaude. Pourtant, je sens que la course peut basculer, mais le corps est à fond. Peu après, Reguigui réagit et met une grosse mine pour rentrer seul sur le Tunisien. Ils sont 300m devant nous. [Plus tard, le soir au repas, Reguigui nous expliquera qu’il a fait l’effort de rejoindre le Tunisien, car il ne faut jamais laisser un tunisien tout seul, sinon quand sa voiture d’équipe vient à sa hauteur, il s’accroche à la voiture, et tu ne le revois jamais. Après coup je comprends donc mieux ces 2 attaques, à un moment où tout le monde était à fond].
On est à 900m, il fait super froid [0 degré de moyenne sur l’étape, donc probablement température négative à ce moment-là de la course]. A partir de là, s’enchaîne une suite de montées et descentes sur un plateau en altitude. C’est sauve-qui-peut, on doit être 10-15, je n’ai aucune idée d’où sont les échappées, je crois qu’il n’y en a plus qu’un seul devant. Il reste Jean et steph avec moi. Les 2 ont l’air bien, je suis pour ma part à fond, en mode survie. Le froid me tétanise, dans les descentes je tremble de partout et je prends 50m à chaque fois. Cela fait maintenant bien 3h que je n’ai rien mangé ni bu. Je n’arrive plus à passer mes vitesses, c’est une horreur. Je ne vois plus Adrien ni Cédric depuis un petit moment. Le groupe explose, Jean se retrouve devant, ils sont 5, on est 4 en contre avec Stéphane, Rebellin et un autre. Ça attaque dans tous les sens, je suis dans le dur complet et à deux doigt de sauter, tétanisé par le froid. Je me cale dans la roue de Rebellin qui a tendance à revenir au train. Ça fini par se regrouper en tête, on doit être 9-10 à peine. Adrien revient de nulle part, il avait changé ses affaires de pluies à la voiture. Je suis en souffrance totale, je ne veux pas abandonner, mais ça fait déjà longtemps que je lutte contre le froid et essaye de souffler pour calmer les tremblements. Aux environs du km 140, je dois finalement m’y résoudre, en pleurs, complètement transit de froid.
Lorsque je m’arrête, le staff de l’équipe essaye de me réchauffer en me changeant de gants, de veste et en me frictionnant, je vais même dans la voiture 2 min avec le chauffage. Mais rien n’y fait, ça ne marche pas. Le camion balai arrive avec l’ambulance. Je monte dans le balai, un vieux bus qui a largement fait son temps, et rejoins une vingtaine de coureurs déjà là. Je suis effondré d’y être, mais sans regrets, le corps était à bout. Mon coéquipier Julien, m’aide à me changer. Nos vélos sont entassés à l’arrière du bus ou dans un pick-up, à l’arrache ! C’est vraiment dantesque. Sur le pare-brise du camion, c’est des flocons de neige qui tombent ! Quand je pense qu’en Novembre, je me disais que le Tour de Tunisie serait parfait pour emmagasiner des bons km de course au chaud en début de saison, si on m’avait dit qu’il neigerait !!
Peu de temps après Rebellin et Reguigui ont aussi abandonné. A 10km de l’arrivée, on rattrape des coureurs, il y a 3 tunisiens en maillot court manchette, calés dans l’aspiration de l’ambulance. La bonne blague : ils sortent d’où eux encore ? Un peu plus loin, encore 1 coureur. Des coureurs, qui n’étaient plus dans le groupe de tête au moment de mon abandon, et que l’on n’a vu à aucun moment nous doubler lorsque je suis monté dans le balai. Aucun doute pour moi : ils ont triché (probablement montés dans des voitures). Julien pense même en reconnaître un qui s’est arrêté un peu près en même temps que lui, soit près de 100km avant !
C’est du grand n’importe quoi. On arrive enfin à l’arrivée, et donc à l’hôtel. J’apprends qu’Adrien a fait 2 derrière Gaetan Bille, après un gros numéro d’Adrien. En effet, il était seul devant les 15 derniers km. Bille est revenu sur lui dans la dernière rampe à 100m de la ligne d’arrivée. Stéphane fait 3 un peu plus loin, Jean 6 finissant en fringale complet. Énorme respect pour eux, d’être venu à bout de ces conditions.
Pour couronner cette journée, la douche n’est pas chaude, tout juste tiède. Et tout le monde se pose déjà la question : comment ça va se passer pour la 3e étape, sachant qu’ils ne sont que 7 à finir dans les règles (les 8 autres, ayant franchi la ligne en étant monté dans des voitures, notamment Reguigui classé 10ème, alors qu’il était monté dans l’ambulance et a rejoint la ligne dans l’ambulance). Le commissaire indique que le règlement ne lui laisse pas le choix : poursuivre à 15 (« ne peuvent poursuivre que ceux ayant franchi la ligne, et tant pis si certain ne l’ont pas fait honnêtement ») mais l’organisateur ne veut pas bloquer les routes pour si peu, ou bien annuler l’étape 2 totalement et repartir sur la 3e étape avec les classements à l’issu de la 1ère étape. Pour ma part, je leur propose une alternative hors-règlement, qui serait de repêcher tout le monde avec une pénalité au temps (mettons 40min par exemple) histoire que les 7 ayant fini remportent bien le général car c’est mérité, mais que tout le monde puisse batailler le lendemain, et avoir une vraie course (et pas juste 7 ou 15 coureurs). Le commissaire appelle l’UCI. L’UCI refuse de sortir du règlement, et après délibération le soir avec organisateur et DS, la décision est prise d’annuler l’étape. Je trouve ça dégueulasse pour mes équipiers qui ont fini. D’ailleurs dans l’équipe, on est dépité, les gars sont abattus d’avoir fini un tel chantier pour rien. Ça parle de ne pas vouloir prendre le départ le lendemain, ou de faire grève. De plus les conditions annoncées pour le lendemain sont similaires, voir pires. Ils prennent la décision de raccourcir l’étape, et de faire le départ au 40ème kilomètre, il resterait encore 120km de course.
Le lendemain matin, on se réveille en ne sachant pas trop ce qu’il nous attend. Un car spécialement affrété nous attend. Le commissaire dit qu’il doit suivre le protocole, et aller au moins au départ (km 40 donc) pour voir les conditions et prononcer ou pas l’annulation de l’étape 3. Dans le car, certains coureurs sont habillés, mais la plupart non. Presque aucun coureur n’a envie de prendre le départ. Il neige dehors, et quand ce n’est pas de la neige c’est de la grosse pluie. Il y a un Tunisien qui est vraiment motivé, le seul de tout le bus, il n’arrête pas de dire « Allez c’est le diiipaaar », « je suis motivé, j’aime la pluie et le froid ». Et quand on lui demande ce qu’il a fait la veille sur la 2e étape, il nous dit avoir abandonné après 38km… On rigole avec toute l’équipe. A ce moment-là de la course, on ne sentait même pas encore le froid !
On s’arrête pour ce qui était censé être le départ de l’étape raccourci. Nouvelles décisions : l’étape 3 est annulée, mais l’étape 2 est désanullée :elephant : . Le Tour de la Pharmacie centrale est fini après l’étape 2, le général était donc sur les 2 étapes, classé UCI 2.2. Le 3e jour devient un jour de repos, et la 4ème étape devient une course d’un jour : le GP de la Pharmacie, classé en UCI 1.2.
Personne n’avait évoqué cette solution la veille, mais sur le coup tout le monde est plutôt content. Ceux qui ont eu le mérite de finir la veille, obtiennent le général. Et tout le monde peut repartir pour une course d’un jour sur la 4e étape. Que de rebondissements sur ce Tour de Tunisie !
Direction l’hôtel donc. Le trajet en car semble interminable. En plus, on n’était pas du tout rassuré sur une chaussée détrempée avec un conducteur complètement barjo, qui n’hésitait pas à doubler des voitures dans des routes de semi-montagne. Bref, enfin à l’hôtel. Et quel hôtel ! Un 4 étoiles, vraiment sympa, le meilleur du Tour. Et pour le coup, on a vraiment du temps pour profiter l’après-midi, on se balade donc en ville. On profite également du wifi de meilleur qualité, chacun raconte les péripéties de ces derniers jours à ses proches.
Pour la dernière étape, 200km sont au programme, sur un parcours relativement roulant. Pluie et vent seront encore de la partie. En me préparant pour l’étape, je m’aperçois qu’on m’a volé mon support de compteur et mes 2 bidons. Je suis dégoûté, non pas pour la valeur (puisque ça ne vaut pas grand-chose), mais plus pour le geste. Surtout que c’est toujours gênant de partir sur une couse sans compteur.
Julien ne préfère pas prendre le départ avec son mal de dent, et les conditions météo annoncées. Les 35 ers km sont effectués en fictif. A l’issu du fictif, un fort vent de côté était annoncé d’entrée, on avait donc prévu de mettre un coup de bordure direct avec l’équipe. Finalement, la route n’est pas totalement à découvert, et ça tournicotte un peu. Pas l’idéal. On reste tout de même devant à tourner, les anglais se joignent à nous. Il se met à pleuvoir sévèrement. Les relais s’intensifient avec la pluie, et on est à fond, du moins je le suis. On arrive dans une longue bosse, la plus longue du jour. Jean, en tête du peloton, imprime un rythme énorme. Il y a un gros vent de droite, ça bordure dans la bosse ! Le peloton explose littéralement. Je suis à l’arraché. Jean fait tout tout seul en tête. On est plus que 8 au sommet, donc 4 de l’Occitane (avec Adrien et Steph). On embraye donc. Bille relaie aussi, mais Reguigui, comme d’habitude désorganise en ne voulant pas rouler.
Un groupe de 6 avec 2-3 anglais revient fort sur le plat. Il y a Cédric dans le groupe. On est donc 5 sur 14 c’est un bon début de course ! Pour ma part, les sensations sont très mauvaises, mais je suis là et je relaie un max pour que ce groupe s’entende. Ça roule fort dans le groupe, et à plusieurs reprises un très fort vent de côté ou 3/4 vient nous mettre en éventail. C’est limite dangereux par moment. Surtout que les 3 algériens de SOVAC ratonnent comme pas possible, et viennent se glisser dans l’éventail dès que le vent se manifeste latéralement.
Passé la mi-course, et alors qu’il n’y avait initialement qu’un tunisien dans le groupe de 14, je remarque la présence d’autres tunisiens dans le groupe au fur et à mesure des km. 1, 2, 3, 4, tiens 5 tunisiens dans le groupe, tiens deux lybiens, tiens encore un autre revenu de nul part. Avec les gars de l’équipe on se regarde, on en revient pas, « d’où ils sont rentrés eux encore ? ». On est maintenant au moins 20 dans le groupe ! [A l’arrivée, notre staff nous confirmera qu’ils les ont vu s’accrocher aux voitures pour rentrer]. Avec Stéphane on est fou de rage, entre les algériens qui ratonnent, et les autres qui reviennent accrochés aux voitures, c’est du n’importe quoi.
A près de 50km de l’arrivée, je sens que mes jambes répondent mieux, ça semble s’être débloqué. La pluie s’est un peu calmé aussi. Et j’en ai marre de la mauvaise entente dans ce groupe, puisque tous les « nouveaux arrivants » ont du mal à prendre leur relais et font des cassures, ajouté à ceux qui ne veulent pas en prendre….
Du coup je relance la course en attaquant, s’en suit pas mal d’attaques où je suis présent. Finalement, ça rentre dans l’ordre, et comme le 1er jour, c’est Jean qui contre. Il s’en va avec un autre coureur. Adrien, puis Cédric, puis Stéphane y vont 2 par 2 avec chacun un autre coureur. Ils sont donc 8 devant dont 4 de l’Occitane. Ce n’est pas à moi de relancer au vu du groupe de tête. Les 4 tunisiens essayent pendant un temps de rouler à bloc, mais ils perdent du terrain. Mon groupe s’enterre à petit feu, je me retrouve avec tous les mecs cuits ou qui n’avait rien à faire là. Tant pis c’est la course.
Une grosse averse revient, ça y est le froid s’empare de moi. A 20km de l’arrivée, je chute sur un passage à niveau, les rails étaient comme une patinoire, l’anglais en tête de groupe est tombé. Cédric aussi dans le groupe de devant est tombé. Malgré la chute, je reviens dans mon groupe. On arrive dans une ville, il y a un bouchon de voitures. On est dans une file de voitures ! C’est le bordel. On est bloqué derrière un poids lourd qui roule au ralenti. Jamais vu une course aussi tempête niveau sécurité. A 10km de l’arrivée, on récupérera d’ailleurs Cédric, qui a sauté du groupe de devant. On rentre ensuite dans Tunis, et là c’est vraiment la cata niveau sécurité, puisque on passe à un moment sur une sorte d’autoroute (comme le 1er jour, mais le 1er jour on était tous groupé et en fictif), on n’a plus de voiture ouvreuse. C’est mal balisé, et de peur de me perdre, je préfère ne pas attaquer mon groupe et rester sagement dans les roues, je pense aussi que c’est mieux en terme de sécurité. Surtout que les tunisiens, en surnombre dans le groupe, ont l’air de savoir où ils vont. Il pleut fort, je suis transit de froid, je ne pense qu’à arriver et en finir avec ce calvaire en Tunisie.
Le final est un peu technique, et d’un coup l’arche d’arrivée est là. Je sprinte, un peu pris au dépourvu, et complètement gelé. 11ème. Cédric 13. Devant, les gars sont battus et font hélas 3, 4, 6. Dommage, on ressortira de Tunisie sans victoires, je pense pourtant qu’il y avait vraiment la place. On a tout de même montré une belle force collective, et c’est l’important. Pour ma part, un peu frustré de la météo, j’affectionne tellement ces conditions…
Pour finir en beauté ce Tunisie, en arrivant au repas à l’hôtel, ils ne veulent plus servir, et certains dans l’équipe n’ont rien à manger. Le soir on apprends que le carton de transport de vélo d’Adrien n’est plus là (a été volé ou jeté), alors que tous les autres sont bien là. Quand je vous disais que les tunisiens grappillent tout ! On lui en confectionnera donc un le lendemain. Enfin, notre DS nous apprend aussi que notre vol du lendemain est décalé de plusieurs heures. On commence à avoir peur qu’il soit annulé, au point où on en est, plus rien ne nous étonne ! Finalement, il sera bien là, mais avec encore 2h de retard supplémentaire une fois à l’aéroport. La boucle est bouclée, c’est le tarif tunisien, à l’aller comme au retour. Et sans oublier pendant.
Ce fut donc une grosse aventure humaine, énormément de souvenirs dans nos têtes. Toutes ces péripéties nous ont fait passé par toutes les émotions possibles, c’est aussi ça le vélo. Et je crois que si c’était à refaire, je le referai … sous le soleil !
Lien vers la 1ère partie : ici (crédit photos : occitane CF et photographe de la course)