Après Patrick Chassé, c'est Alexandre Pasteur qui a pris le temps de répondre à nos questions. Pour VCN, il revient notamment sur ses débuts sur France TV, mais aussi sur cette édition 2017 de la Grande Boucle.
Comment s’est déroulée votre intégration chez France Télévision ?
Ça été un peu bizarre au début parce que ce n’était pas les mêmes repères qu’avec Eurosport, où on fonctionnait de façon un peu clanique. La production et la rédaction, on était toujours ensemble, mais on était une petite équipe, on tournait à 10. Là, à France Télévision, on est 250 personnes et c’est forcément différent.
Qu’avez-vous conservé comme bonnes pratiques de votre ancien employeur?
J’ai demandé à France Television d’être logé, non pas à l’arrivée comme la majorité de l’équipe, mais sur le parcours. Je voulais dormir à 50, 60 kilomètres de l’arrivée pour pouvoir reconnaître le final. C’est ce que je faisais avec Jacky Durand, et je trouve ça super important. Vu qu’on ne peut pas être au départ, si je dormais à l’arrivée, je n’en verrais que la ligne... Autant rester à Paris à ce compte-là. D'autant qu’on ne voit pas un coureur, ce qui est déjà assez frustrant. Au moins, faire le final en voiture le matin, ça permet d’enrichir les commentaires sur l’environnement, l’état des routes, des choses vraiment importantes pour le commentaire et dont je ne voulais pas me couper.
Vous êtes donc isolé du reste de l’équipe ?
Nous sommes, mon chauffeur, Franck Ferrand et ma pomme, un peu en marge du reste de l’équipe France Télévision, oui. On ne se croise pas beaucoup si ce n’est à l’arrivée, mais comme la journée est déjà bien dense et bien speed, on n'a pas trop le temps de se voir de toute manière. Je suis un peu dans mon monde, et c’est un peu ça que je voulais dès le départ.
Vous parliez d’un clan en évoquant Eurosport. Cet aspect ne vous manque-t-il pas ?
Non, car les journées sont tellement crevantes, les heures d’antennes tellement conséquentes que ça demande énormément de concentration. Les choses me vont bien telles qu’elles sont, calmes. Le soir je dîne avec Franck Ferrand, on parle d’histoire et de littérature, ça me va très bien comme ça.
Quelles sont les différences notables entre Eurosport et votre nouvel employeur ?
La pression des audiences est bien différente de chez Eurosport….ça je le savais, mais je ne l’avais pas anticipé à ce point. Dès que j’ai mis le pied dans le Tour, je me suis dit : “Ah ouais, c’est pas la même histoire !”. L'exercice reste toutefois assez semblable, même si, bien sûr, je suis plus observé, plus épié. Ça rajoute une pression que je n'avais pas forcément ressenti lors de mes premiers commentaires avec France Télévision pendant les classiques ou même sur le Dauphiné.
Vous appréhendiez cette pression du résultat ?
Le Tour, notamment du fait des étapes diffusées en intégralité, c'est quelque chose de très important pour France Télévisions, et ça je l'ai vite compris. La pression c'est normal, c'est quand même un poste envié que celui que j’occupe. Après, on est venu me chercher je n'ai rien demandé. Je ne pouvais pas dire non donc je sais que je suis attendu au tournant.
Vous n’auriez pas pu rester chez Eurosport ?
Je ne voulais pas passer pour le mec qui avait dit « non » à France Télévisions, même si ça n'a jamais été mon rêve, sincèrement. A la base à mes débuts, je voulais faire de la presse écrite, je n’avais jamais imaginé faire de la télé. Et je me suis dit qu'après 22 ans chez Eurosport, il était peut-être temps de voir autre chose, d'autres méthodes de travail. Même si je ne faisais, encore une fois, que des choses très intéressantes chez Eurosport, et que je n'avais aucune raison objective de partir, je me suis dit “ Ok on y va, peut-être que dans 2 ans ça sera trop tard je serai trop vieux”. Pour l'instant je suis très heureux de ce choix mais j’aurais pu tout aussi bien continuer avec plaisir chez Eurosport.
Le ton chez France Television est plus sérieux qu’il ne l’est chez Eurosport. Cela ne vous manque-t-il pas ?
Non, simplement parce que je m'y attendais. Je sais qu'il y a des choses que l'on raconte sur Eurosport, et que l'on ne peut pas dire sur le service public comme certaines blagues de Jacky (Durand) ou bien de Richard (Virenque). Je ne regrette pas ces moments parce que je suis passé à autre chose, mais je garde de super bons contacts avec l'ancienne équipe qui ont bien compris mon choix. J'ai eu mon petit “bon de sortie”, en quelque sorte.
Votre style s’est donc adapté à la chaîne ?
Le ton sur France Télévision est peut-être un peu moins léger, un peu moins chaleureux mais je le reconnais et je l’assume. On ne peut pas être autant dans la déconne avec un public aussi large, donc je m'adapte. Après, est-ce que ça marche, est ce que ça ne marche pas, on fera les comptes à la fin du Tour.
Vous n’avez aucun ressenti concernant l’adhésion du public ?
Est-ce que ça marche ? Franchement je n'ai pas assez de recul pour vous le dire. Il faut savoir qu’on est pris dans la lessiveuse. J’ai d’ailleurs le sentiment que ce Tour est différent des précédents, il y a beaucoup moins de moments pour se poser, lire la presse le matin avec un café...Après le final de la course, il faut tout de suite rentrer en voiture et ce n’est pas une partie de plaisir. Par exemple sur l'étape du Puy-en-Velay pour quitter la course, on a mis 1h pour faire 7 km. Ça, plus les heures d’antennes, j'ai l'impression de n’avoir le temps de rien. C’est toujours le speed le speed, le speed, le speed !
Les étapes ont dû être diffusée en intégralité. Patrick Chassé nous confiait dimanche dernier que c’était sa hantise. Qu’en est-il vous concernant ?
Je ne suis pas sûr que ça apporte énormément de choses, mais après, il y en a qui trouvent leur compte. Le public du vélo c'est une niche de passionnés mais en plus le Tour permet aussi de mettre plus en valeur le patrimoine. On a la chance d'avoir Franck Ferrand cette année, qui tient son rôle parfaitement. Ça me change d'Eurosport, parce que cette partie-là, nous la zappions presque, faute de temps pour la préparer. Avoir une personne dédiée, ça change énormément et c'est sûr que sur une étape de plaine, avec le scénario que l'on connaît, une attaque en début d'étape, puis le peloton qui gère et qui contrôle, c'est bien d'avoir un mec comme Franck Ferrand à côté de soi.
Cet aspect patrimoine ne prend-t-il pas trop de place vis à vis de la course ?
Il faut savoir que sur le Tour de France, chez France Télévision, 50 % du public est là pour l'aspect patrimoine. 50 %, c'est énorme ! Les gens qui font la démarche d'aller voir le vélo sur Eurosport représentent un public acquis, qui sait ce qu'il va trouver sur Eurosport : de la course, de la course, et de la course. Moi je laisse beaucoup de place à Franck Ferrand parce que c'est une pointure et que beaucoup de gens attendent ses explications sur la géographie ou l'histoire. Je le trouve vraiment très, très intéressant même si ça n'engage que moi
Comment aviez-vous préparé ces étapes de plats interminables au scénario couru d’avance ?
Il était prévu que Franck Ferrand ait un temps de parole beaucoup plus important ces jours-là, parce que l'on sait pertinemment que sur ces étapes, l'action n'est pas toujours très intense, c'est le moins que l'on puisse dire. Je n'avais rien préparé de spécial à titre personnel. Les étapes en intégralité, ça ne bouleverse pas non plus la donne, c'est une heure et demie de plus d'antenne par rapport à d’habitude.
Vous formez également un nouveau duo avec Laurent Jalabert. Comment travaillez-vous ensemble ?
En fait on ne se voit pas trop avec Laurent parce qu’il trace la route de son côté. Il a ses impératifs avec RTL et le soir il dort à l’arrivée. On se voit donc une demi-heure avant le début d'antenne. Même si avec Jacky, on faisait la route ensemble, au final, je ne pense pas que ça change grand-chose, c’est quelqu’un de très pro et ça se passe bien. Humainement, je l’apprécie, il ne se prend pas la quiche. Il n’est pas dans le jugement et il est bienveillant. Il trace sa route, vit sa vie, n’est pas du tout connecté sur les réseaux sociaux dont il n’a rien à carrer, c'est quelqu'un de détaché de tout ça. Il y en a qui l'aime et d’autres pas du tout mais une chose est sure : il fait le job !
Comment vous répartissez vous les rôles ?
C'est une béquille sur laquelle je peux m'appuyer en permanence. On débat ensemble et ce que j'aime bien, c'est qu’il porte parfois la contradiction à mes propos. Ou alors des fois, si je dis des choses erronées, il me reprend et c'est très bien comme ça. La contradiction c’est nécessaire parce que sans ça, ça devient vite chiant. Comme en plus il le fait avec tact…Je peux vous dire que sur certaines étapes, j'étais bien content de pouvoir lui balancer deux trois questions pour relancer l’intensité de la course.
Pour la première fois, France Television intègre dans son dispositif une deuxième consultante, Marion Rousse,. C’était votre idée ?
Non non, ce n'est pas du tout mon idée, c'est France Télévision qui y a pensé. Ils voulaient sans doute féminiser un peu l'antenne, ainsi qu’avoir un trio pendant le direct.
La relation avec Thierry Adam, commentateur des précédentes éditions a-t-elle été compliquée à gérer?
Non, il n’y a eu aucun problème. J'imagine que ce ne doit pas être évident de son côté. On échange très peu ensemble parce qu'on se voit peu, mais il n’y a aucune arrière-pensée de ma part depuis ma nomination, et je m'appuie sur lui comme sur Cédric. J'essaye de rester extérieur à tout ça. Je ne suis pas à sa place, mais on travaille pour une chaîne qui nous fait confiance qui nous a donné des rôles bien précis, et moi je travaille sans arrière-pensée avec qui que ce soit. Ce qui compte, c'est l'antenne.
Le Tour arrive bientôt à son terme. Quel bilan sportif en tirez-vous ?
J’y ai pris du plaisir. On aime être surpris et là c'est le cas avec 4 mecs qui se tiennent à 30 secondes du général. C'est très bien et ça nous permet de préserver du suspens, même si, depuis quelques jours, les connaisseurs de vélo n'étaient pas dupes et savaient bien que Froome avait sans doute remporté la course. Le grand public, du fait des écarts y croit encore un peu vu qu’ il va y avoir le contre-la-montre et avec l'euphorie qui sait ...mais je n'y crois pas trop.
Un Tour avec si peu d’écarts à ce moment de la course, c’est inédit pour vous ?
Je retrouve sur ce Tour que j'ai vécu sur le Giro. C'était top. Alors bien sûr, toutes les étapes ne sont pas passionnantes, mais il faut savoir ce qu’on veut, on ne peut pas tout demander aux coureurs. Cette année, c'est un peu le Tour des gains marginaux, chaque coureur a grappillé à droite, à gauche. Au final, ça donne de petites différences, mais sincèrement en tant que commentateur ça me va bien parce que ça me permet de vendre la course au jour le jour.
Les gains marginaux, c’est bon pour le suspens, mais pour le spectacle ?
Ce n'est plus le cyclisme qu'on a pu aimer comme quand nous étions enfants, mais je préfère voir ça plutôt que quelqu'un qui écrase le tour, ou bien assister à des guerres de position au bout de 3 jours de course. Mais je regrette vachement que des mecs comme Porte ou Valverde n’aient pas pu être là. Valverde, sur un parcours comme celui-là et à 100 % de ses capacités ça aurait pu être drôle. Mais comme dit Jacky Durand “c’est trop tard“ .
Quel coureur vous a le plus surpris ?
Franchement, Uran, c’est quelqu'un que je n'attendais pas à ce niveau malgré son antériorité sur le Giro. Je suis bluffé par ce mec et c’est tant mieux parce qu'on attend ça aussi, sur le Tour. Je l'avais trouvé monstrueux lors du dernier Tour de Lombardie mais là, sur trois semaines, il retrouve un super niveau. Sinon il y a aussi Roglic. Pour ceux qui connaissent le vélo ce n'est d’ailleurs pas vraiment une surprise car c’est quand même un cador qui sait tout faire. Est-ce qu'il jouera un jour le général d’un grand tour, ça m'étonnerait, mais après tout pourquoi pas, il a 27 ans et Froome s’est révélé à cet âge-là.
Un mot sur la technologie, le Tour a joué la sobriété par rapport au Giro. C’était voulu ?
Je ne sais pas si c'est une volonté de France Télévision, mais pour ma part, ces statistiques je suis pas sûr que ça éclaire la course, donc je ne me pose même pas la question. En revanche, le “Livetracking” je trouve ça vachement bien et on s'en sert beaucoup avec Jalabert.
Le Tour de France va bientôt tirer sa révérence. Comment voyez-vous la suite de votre saison sur la chaîne?
Il y aura les sports d'hiver cet hiver et j'aurai sans doute un rôle à jouer, même si rien n'est officiel, notamment en ski alpin qui reste aussi un sport que j'adore, la direction sait que j’en suis passionné et que j'adore ça.
Quelles sont les compétitions auxquelles aura accès France Télévision cet hiver ?
Il y aura les Jeux Olympiques, le critérium de la première neige et, les championnats du monde. En volume, ça fait beaucoup moins d’heures que sur eurosport, c'est sûr, mais il y aura aussi les reportages à réaliser, pour Tout Le Sport, pour Stade 2 et j'espère pouvoir utiliser mon carnet d'adresses dans la discipline
Un mot sur notre site et particulièrement le forum, nous savons que vous en êtes un lecteur régulier. Qu’est-ce qui vous y attire aujourd’hui?
Moi je suis un fan depuis 2011, depuis que j’ai commencé à commenter le vélo. Je ne sais pas comment je suis tombé dessus un jour, mais depuis, j’y vais tous les jours, je suis un accro, parce que j’y trouve des sujets de discussion hyper-pertinents, dont notamment les présentations de la course qui sont top. Je ne connais pas tout le monde mais il y a quand même un noyau de furieux. C'est ça votre force, beaucoup de discussions argumentées et en cas de dérapage, il y a toujours un mec pour demander pourquoi la personne en question a utilisé tel ou tel terme.
Quel usage faites-vous de ces échanges auxquels vous assistez ?
Pour moi c'est un super outil, voire un outil indispensable. J’y vais même pendant les courses, j'ouvre le topic des étapes en question et j’y prends la température. Bon je n’y passe pas toute l’étape, bien entendu, mais je m'en nourris beaucoup. Et je ne dis pas ça pour vous passer la pommade, c'est sincère c'est vraiment du bon boulot, argumenté, avec du fond, des sources et une vraie connaissance du milieu. En termes de contenus c'est d'une richesse hallucinante que je ne retrouve nulle part ailleurs. Alors vraiment, vive le digital et vive VCN !
Propos recueillis par Bertrand Guyot (photo : twitter alex pasteur)