Cette montagne est connue de pas mal de cyclos, amateurs de sensations fortes. La plupart la redoute, avant de succomber au paysage qui s'offre à eux eux au sommet. Artzamendi, au Pays Basque, est une des ascensions les plus redoutables de l'Hexagone. Moins long que l'Angliru, avec des pourcentages légèrement inférieur, il n'est pourtant pas sans rappeler par moment le géant des Asturies. Entre exercice d'équilibre et dépassement de soi, Artzamendi reste une montée à part que le cyclisme n'a jamais affronté en compétition.
Là où les Pyrénées s'achèvent, juste avant de s'effacer devant l'Océan Atlantique, un sommet se détache au dessus du village d’Itxassou. Artzamedi et ses 926 mètres. Pas de quoi effrayer un cycliste à première vue. Pas si sûr. Ici comme un peu partout au Pays Basque, ce n’est pas l’altitude et le pourcentage moyen qui font vraiment la difficulté d’une ascension. N’essayez pas de comparer avec le Galibier ou le Stelvio, cela ne sert à rien. D’ailleurs la difficulté d’un col reste une notion très subjective. Pour l’Artzamendi, c’est plutôt du côté de l’Angliru qu’il faut peut-être lorgner, même si le format est plus réduit.
Le nom même d’Artzamendi est fait pour brouiller les pistes. Hartza (ours) et mendi (montagne), cela semble trop beau pour être vrai d’un point de vue étymologique. D’accord il y a belle lurette qu’on a pas vu d’ours ici, mais surtout les spécialistes de la question s’accordent généralement pour trouver une explication plus obscure à ce nom. Peu importe, Artzamendi reste un mythe pour tous les cyclistes qui l’ont gravi au moins une fois.
L’ascension d’Artzamendi par le Laxia (Itxassou). Profil du col : Omar S.G.
Deux approches
Il y a deux manière d’appréhender le colosse. Soit par le fameux Pas de Roland, depuis le bourg d’Itxassou, soit depuis la route qui mène à Espelette. Cette dernière ayant peut-être un côté légèrement plus suicidaire, avec à son pied (sur les flancs du Mondarrain), un mur brutal d’un kilomètre et de longs passages à 20 % qui peuvent vous couper les jambes d’entrée. A vous de voir. Sachant que les 3 derniers kilomètres vous sembleront peut-être une boucherie, l’option Pas de Roland offre un départ plus humain, avec une approche progressive. Pour ce qui est du Roland en question, sachez qu’il n’a certainement jamais mis les pieds ici (désolé, Roncevaux c’est un peu plus loin), mais ce qu’il y a de bien avec les personnages appartenant plus au mythe qu’à l’histoire, c’est qu’on peut les faire aller où l’on veut. Surtout là où ils ne sont jamais allés.
L’approche par le Pas de Roland, le long de la Nive.
Au passage, longer la Nive dans le défilé du Pas de Roland vaut vraiment le coup d’œil. Par contre l’endroit est plutôt fréquenté. Arrivé au quartier Laxia, on bifurque sur la droite et l’on continue sur une petite route, la plupart du temps ombragée, jusqu’à retrouver l’autre route, qui vient du côté Espelette. Avant d’arriver sur un premier plateau, on fait ensuite connaissance avec quelques rampes entre 15 et 20 % qui donnent un avant goût du final.
Un sommet qui se laisse longtemps désirer.
4 kilomètres à 12,5 %
Le final justement, s’annonce de manière brutale. Une route qui bifurque sur la gauche et montre d’emblée la couleur. Pour avoir une idée, 4 kilomètres à 12,5 % de moyenne vous attendent. Pas le genre de chose qu’on rencontre tous les jours dans l’Hexagone. Si cela peut vous rassurer, on ne dépasse pas les 20 % et la route est en parfaite état, bitumé à nouveau il y a quelques années. En abordant ce final, difficile de ne pas penser à cette citation de l’Enfer de Dante, placée avec malice au pied du Zoncolan : « Vous qui entrez ici, abandonnez toute espérance ». C’est vrai que ces quatre kilomètres peuvent virer au cauchemar si vous n’êtes pas préparés ou faites une erreur de braquet.
En ce qui me concerne, il me faut tourner les jambes pour rester en vie sur des pentes comme celles-là. Et avec des cuisses de mouche comme les miennes (j’aurai aimé avoir ne serait-ce que la moitié de celles de Pollentier, c’est vous dire), mieux vaut rester humble niveau braquet. Je connais des gars qui se sont pointés là avec un 39x25 et ont vite regretté. Pour ma part, se hisser au sommet d’une traite et ne pas se mettre en PLS en descendant du vélo suffisent à mon bonheur.
La partie la plus dure n’offre aucune ombre.
Sinon la nature est quand même bien faite. Après une portion à 20 %, la plus difficile, on arrive au col de Mehatxe. Un petit moment de répit, avec quelques hectomètres de plat et même une légère descente ! De quoi souffler avant le dernier tronçon. Après avoir passé de longues portions à 18-19 %, cette ultime trame semble un peu moins difficile. Enfin façon de dire. On reste quand même autour des 15 %, ça vous situe le niveau.
Quand Lizarazu invite le Blaireau
En 2020, l’Équipe Magazine avait réalisé ici un reportage, avec deux cyclos loin d’être des inconnus. L’un, champion du monde de foot en 1998 et sportif assidu, est un habitué des lieux, et l’autre fut invité ce jour-là à un drôle de bizutage. Si Bixente Lizarazu connaît les moindres détails de cette ascension et parle de ce lieu comme d’une « église » ou d’un « sanctuaire », le pèlerinage fut sans doute plus douloureux pour Bernard Hinault. «J’ai souffert, je me suis accroché. J’ai pris une correction mais avec plaisir (…) c’est le col le plus difficile que j’ai jamais fait ! Par les pourcentages. ». Il est vrai qu’à son époque on escaladait encore ni l’Angliru ni le Zoncolan.
Ailleurs on aurait peut-être fait des lacets pour adoucir la pente... pas ici.
Un panorama spectaculaire
Dans le final on aperçoit l’antenne et la fameuse boule blanche, une ancienne station hertzienne où une balise sert aujourd’hui à l’aviation civile. Cette boule emblématique semble parfois s’éloigner au fur et à mesure que l’on avance, selon l’état de fraîcheur du moment. Arrivé là haut, on pose son vélo dans l’herbe et on ne pense plus à rien. Regarder le panorama à 360° qui s’offre à nous, de la Côte Basque à la vallée d’Ossau et se laisser submerger par la beauté du spectacle. La définition même du bonheur.
Artzamendi n’a jamais figuré au programme d’une course. Cette montée aurait pourtant plus d’un atout. Certes elle est très exigeante, mais elle reste dans le domaine du raisonnable. Ces dernières années le Giro, puis ensuite la Vuelta, se sont lancées dans la course à la démesure, avec des cols toujours plus pentus. Est-il nécessaire d’aller chercher des pentes à 25 %, voire au-delà, pour des numéros d’équilibristes où les coureurs actuels gèrent de toute façon leur montée avec des braquets impensables il y a quelques années ? Pas sûr. C’est d’ailleurs tout le dilemme des organisateurs de trouver aujourd’hui de nouvelles voies en montagne, en voyant parfois un Angliru ou un Zoncolan accoucher d’une souris et alors qu’il y a désormais un bout de temps qu’un Tourmalet n’a plus de mythique que le nom.
L’océan est à portée de main.
Une arrivée là haut ?
Avec ses pentes à 18-19 %, Artzamendi s’inscrit probablement encore dans la limite du raisonnable.
Il devrait en tout cas avoir le mérite d’être expérimenté un jour en course, tout en prenant soin de préserver les lieux, en limitant notamment l’accès au strict minimum (présence de tourbières au sommet ou de chromlechs à Mehatxe). Interdire les voitures au public d’une part, et pourquoi pas limiter l’assistance en course à quelques motos neutres, comme cela a déjà été fait sur le Giro. Trop difficile à première vue sur le Tour de France, d’un point de vue logistique (d’autant plus que le gravir signifie forcément une arrivée au sommet), mais l’endroit aurait de quoi inspirer Javier Guilen. Et que dire de l’Itzulia, ce Tour du Pays Basque, qui hélas boude depuis longtemps (ou est boudé par, c’est selon) sa partie septentrionale ?
Texte et photos : Ximun Larre