Rétro, souvenirs du Gavia 1988

Rétro, souvenirs du Gavia 1988

Le scénario est dantesque et fait partie de la légende du cyclisme. Les protagonistes de cette 14e étape du Tour d'Italie 1988 gardent encore en mémoire ces heures où la course a basculé dans le chaos, par la faute d'une météo capricieuse et d'une montagne qui semblait tout à coup vouloir se venger d'un cortège d'hommes venu la défier. Gavia 1988. Ces deux mots suffisent à eux seuls à rappeler la dramaturgie d'un moment que le cyclisme ne connaîtra certainement plus jamais.

Quelques acteurs de cette étape reviennent avec nous sur cette folle journée, coureurs comme Pedro Delgado, Marc Madiot, Jean-François Bernard et Dominique Gaigne ou témoins directs comme Francis Lafargue, alors membre de l'équipe Reynolds, et l'ancien journaliste de l'Equipe Philippe Bouvet.

"Dès que je vois des flocons de neige tomber, je repense à cette journée". 32 ans après, Jean-François Bernard n'a jamais oublié. Et paradoxalement chez les Bernard, il n'est pas le seul. Julien, le fiston, qui porte les couleurs de Trek-Segafredo, n'était même pas encore né mais s'en souvient à sa manière. "C'est marrant, il a ça en tête. Quand il fait un temps pourri en course, il me dit qu'il pense à cette étape que j'ai faite", s'amuse le troisième du Tour 1987. Sans doute a-t-il été nourri par quelques récits paternels.

Philippe Bouvet a été pendant longtemps l'une des grandes plumes de L'Equipe et fut le narrateur privilégié de ce 71e Giro, à une époque où le public français était sevré d'images de la course italienne. "Parmi les courses que j'ai pu suivre durant 30 ans, trois journées restent gravées dans ma mémoire pour leurs conditions météo incroyables : le col du Rousset dans le Dauphiné-Libéré 1984, déjà avec la neige et le froid, quand Bernard Hinault avait fait la guerre aux Colombiens, une étape des Quatre jours de Dunkerque en 1994, courue sous une pluie battante et de terribles bourrasques, et bien entendu cette étape du Gavia".

Lorsque le Giro arrive à Chiesa in Valmalenco ce 4 juin 1988, personne ne se doute de ce qui va réellement se passer le lendemain, même si la météo inquiète un peu dans la caravane. "La pluie n'arrêtait pas de tomber et je me souviens du bruit du torrent qui enflait à côté de notre hôtel. On commençait à se demander si le Gavia allait être franchi", se rappelle Philippe Bouvet. En temps normal le colosse n'a déjà rien d'une sinécure, du haut de ses 2621 mètres, avec ses 17 kilomètres d'ascension à près de 8% de moyenne par ce versant et ses portions de route en terre. Le Giro n'y a d'ailleurs plus mis les pieds depuis son baptême mémorable par Imerrio Massignan en 1960, année du premier sacre de Jacques Anquetil en Italie, dans ce qui était alors un chemin boueux de montagne.

Un bon Samaritain

Si l'on palabre dans les hôtels à la veille de franchir le Gavia, certains semblent mieux informés que d'autres. Les navarrais de Reynolds partagent le gîte avec l'équipe Malvor-Sidi, dirigée par Dino Zandegu, l'ancien grand sprinteur italien et vainqueur du Tour des Flandres 1967. "Zandegu est venu nous voir à table, pour nous mettre en garde, en disant qu'on annonçait de la neige. Il nous dit alors qu'il allait envoyer des soigneurs le matin au sommet du col, avec des vêtements chauds, et nous propose de les accompagner en disant qu'il leur reste une place dans une de leur voitures. Je suis donc monté avec eux le lendemain", explique Francis Lafargue, homme de confiance de Jose Miguel Echavarri et un des tauliers de l'équipe Reynolds.

Sur le papier cette 14e étape est loin d'une "tappone", dont l'histoire du Giro aime à se nourrir. Le Gavia certes, mais 120 kilomètres au compteur seulement pour rallier Bormio. Le matin même rien ne laisse encore présager de la suite, comme le rappelle Marc Madiot. "On savait qu'il faisait mauvais c'est tout, mais personne n'avait vraiment idée de la journée qu'on allait passer". Le futur vainqueur du Tour de France cette année là, lui non plus, n'a pas oublié les moments qui ont précédé l'abîme. "Au début de l'étape il fait froid, la pluie tombe et les rumeurs commencent, on entend qu'il neige sur le Gavia, qu'il faut arrêter etc...mais l'étape se poursuit. Quand le Gavia arrive, la pluie continue. Après quelques kilomètres viennent les portions de route en terre, transformées alors en bourbier, puis nous retrouvons de l'asphalte et à ce moment commence la neige" se souvient Pedro Delgado. Cette année-là le coureur espagnol a voulu mettre toutes les chances de son côté, en délaissant pour une fois sa Vuelta nationale, afin de préparer le Tour sur les routes italiennes. "J'avais compris que 1988 devait être mon année pour gagner le Tour de France".

Parti en éclaireur en début d'étape avec Roberto Pagnin et Stephen Joho, Johan Van der Velde ouvre en solitaire la voie dans l'ascension du Gavia et ne sait pas encore qu'il va entrer malgré lui dans l'histoire. Le calvaire du 3e du Tour de France 1982 est resté gravé dans les mémoires. "La première image qui me revient c'est lui, magnifique dans son maillot cyclamen, bras nus sous la neige", n'hésite d'ailleurs pas un instant Philippe Bouvet. Au fur et à mesure que les coureurs gravissent le Gavia, la tempête de neige et un vent glacial s'abattent sur eux. Les voitures commencent à s'embourber, seules les premières parviennent à suivre la course, si tant est qu'on puisse alors encore parler de course.

Johan Van der Velde dans la tourmente du Gavia.

"On se demande vraiment où va"

"Dans les derniers kilomètres tout devient blanc. Plus on monte, plus il y a du vent, des congères se forment vers le sommet et on se demande vraiment où va, sinon vers une sorte d'enfer", poursuit le journaliste. Derrière Van der Velde, Andy Hampsten a secoué la course et mis à mal le maillot rose de Franco Chioccioli. L'histoire est connue. Les américains ont eu du flair. Dans ce cyclisme encore peu mondialisé, ils ne passent d'ailleurs pas inaperçus. "L'équipe 7-Eleven incarnait un peu une attraction à l'époque. On a su après qu'ils s'étaient enduits le corps avec de la pommade pour lutter contre le froid et avaient prévus le coup avec des vêtements d'hiver", explique Philippe Bouvet.

Au sommet du col, les témoins vont assister à des scènes déroutantes. Francis Lafargue se tient prêt. "Je vois arriver Van der Velde, en tête, grelottant dans son maillot à manches courtes, puis Hampsten et Breukink. Delgado n'est pas loin, mais je suis obligé de l'appeler, on ne voit presque plus rien avec la tempête. C'est la débandade, les coureurs arrivent un par un, méconnaissables et frigorifiés, ils ne peuvent plus parler". Comme les autres, le champion espagnol n'en mène pas large. "Il y avait Francis et d'autres, pour nous donner du thé chaud et des vêtements pour la descente. Je commence à mettre des gants mais je n'y arrive pas, mes doigts sont complètement engourdis et je dois finalement renoncer". Il fera la descente sans gants et mettra plusieurs jours à récupérer la sensibilité d'une partie de ses doigts.

Tous n'auront pas la chance de pouvoir enfiler quelque chose en haut du Gavia. Beaucoup sont plus ou moins livrés à eux-même. "On avait pas grand chose avec nous, on anticipait pas comme aujourd'hui où les équipes sont à la pointe, jusque dans les vêtements. Là on partait à la guerre jusqu'à l'arrivée", rigole encore Jean-François Bernard. Ce n'est pas Marc Madiot qui dira le contraire. "J'avais un maillot manche courte et un autre manches longues par dessus, c'est tout. J'ai attaqué la descente comme ça, pas même un k-way". Son corps s'en souviendra.

La détresse de Dominique Gaigne

Au sommet du Gavia, le Giro prend les allures d'un véritable Capharnaüm. Certains coureurs sont à bout, fondent en larmes, devant quelques spectateurs médusés mais pleins d'empathie. Francis Lafargue va être l'acteur d'une scène poignante, à jamais gravée par les caméras de la RAI. L'autre protagoniste s'appelle Dominique Gaigne. L'ancien co-équipier de Bernard Hinault et Laurent Fignon, vainqueur d'étape sur le Tour 1983 et maillot jaune en 1986, court désormais chez Toschiba. Lorsqu'il parvient en haut du col, les tifosi l'entourent et pensant bien faire, lui tapotent sur le dos pour le réchauffer (voir à 6'40'' dans la vidéo). "Ah ça va non...merde !", s'emporte le coureur exaspéré et à bout. "Je suis à combien de minutes ?". Au milieu de ce brouhaha, c'est la voix douce et rassurante de Francis Lafargue qui tente de le réconforter. "C'est bon t'es à 25 minutes, t'as que de la descente, prends un thé chaud". "Je peux pas descendre...Torriani de merde...connard !", rétorque un Dominique en détresse physique et morale. Les noms d'oiseaux fusent dans tous les sens ce jour-là, à l'encontre du vieux mentor du Giro, que certains accusent d'être un "assassin".

 

Dominique Gaigne n'ira pas plus loin. "Je l'ai accompagné jusqu'au refuge car il était seul. On lui a donné des couvertures et des boissons chaude, puis je suis parti en quête d'une voiture pour redescendre. Je ne savais même plus où était les véhicules de mon équipe et dès que j'ai vu arriver une voiture Toshiba je l'ai arrêté pour les prévenir que Gaigne était-là, à l'abri, et je suis descendu avec eux".

L'ancien coureur n'avait jamais revu ces images de la RAI jusqu'à aujourd'hui, qu'il a découvert non sans une certaine émotion. Il avait oublié les mots lâchés ce jour-là en plein désarroi. Maçon au seuil de la retraite, il vit maintenant dans les Côtes-d'Armor et s'intéresse un peu à nouveau au vélo, après avoir complètement tourné la page durant de nombreuses années. "Les souvenirs remontent forcément, même si je ne me rappelle pas de tout, ça date un peu quand même ! Je sais que je ne supportais pas le froid et l'humidité pendant les courses, alors là ! Déjà avant le départ réel, j'étais dans les voitures, transi de froid, pas bien. Bref ça s'annonçait mal. Après dans la montée c'est devenu intenable et au sommet je me souviens bien de Francis qui m'a soutenu, je n'en pouvais plus. Heureusement qu'il était là, ne serait-ce que pour me tenir, sinon je crois que j'allais tomber". A la souffrance physique s'ajoute la déception de l'abandon. "Sur un grand tour ça fait toujours mal, j'étais là pour aider mon leader, Jean-François Bernard, qui était bien jusque là. Faire partie d'une équipe avec quelqu'un capable de gagner un grand tour ça motive, j'avais connu ça avec Fignon en 83 et 84".

C'est vrai que "Jeff" était arrivé sur ce Giro avec de l'ambition. "Le parcours avec ses chronos me convenait tout à fait et on était parti pour faire un podium, tout se passait bien". Avec une victoire sur le prologue à Urbino et un succès lors de la 8e étape à Chianciamo Terme, tout semblait alors aller pour le mieux.

"Tout le monde sentait qu'il fallait se tirer de là"

Si beaucoup de coureurs sont dans un état second au moment d'aborder la descente, Philippe Bouvet se souvient parfaitement du sentiment qui l'étreint au sommet. "C'était la Bérézina. Nous étions pris par une forme d'angoisse, en se demandant si nous allions descendre, et surtout comment. Tout le monde sentait qu'il fallait se tirer de là. La course en elle même était devenu totalement secondaire, on ne savait plus ce qui se passait. De notre voiture on ne pouvait pas tout voir, mais on avait l'impression que les coureurs avaient disparu de la circulation à un moment donné. On a su après que beaucoup s'étaient mis un peu à l'abri dans les voitures ou dans le refuge". Flanqué du fidèle Jean Farges au volant, la voiture de l’Équipe entame la descente. Dans le silence. "On ne disait plus un mot, Jean était concentré sur la route, ou ce qu'il en restait et je me rappelle que je voyais les poteaux indiquant le bord de la route et qu'on voyait le vide en contre-bas".

Si le froid glacial et la neige ont martyrisé les corps dans la montée, que dire alors de la descente ? Marc Madiot y a souffert comme jamais. "On a commencé à descendre dans le brouillard. Avec Jean-François Bernard on s'est perdu à un moment donné, je ne savais plus s'il était devant ou derrière moi. Au bout de quelques kilomètres je me suis mis à trembler sur le vélo puis je me suis arrêté, pensant que j'avais cassé mon vélo, mais c'était simplement moi qui tremblait. Ce n'était pas le vélo qui était cassé mais le bonhomme. Je me souviens qu'à un moment, Jose Miguel Echavarri m'a doublé et tendu un bidon, mais j'étais incapable de le prendre. Impossible de lâcher le guidon tellement je tremblais". "C'était l'enfer. Je me suis arrêté pour me pisser sur les doigts tellement j'avais froid", ajoute Jean-François Bernard. Beaucoup auront le même réflexe ce jour là.

La descente vers Bormio donne lieu à des scènes surréalistes. Pedro Delgado qui ne lâche pas ses freins, "si je prends un peu de vitesse, je sens que je ne pourrais plus avoir la force de réagir à temps et freiner", croise d'étrange silhouettes empruntant la route en sens inverse et s'interroge. "Je vois d'abord un coureur arrêté à gauche de la route, je me dis qu'il est peut-être tombé, mais un peu plus loin j'en croise un autre qui monte en trottinant. Je vois son vélo un peu plus bas, au bord de la route et je comprends alors qu'il est en train de courir pour essayer de se réchauffer".

Aujourd'hui encore, ces 22 kilomètres qui séparent le sommet du Gavia de l'arrivée restent un peu l'objet de tous les fantasmes. Le jour même les rumeurs vont bon train. "Sur le moment on ne savait plus rien, mais c'est vrai qu'on a dit après que des coureurs étaient descendu en voiture. J'en avais parlé Pier Angelo Bincolletto, qui m'avait assuré que des coureurs l'avait fait, mais je pense en tout cas sincèrement que les premiers sont vraiment descendus par leurs propre moyens", assure Philippe Bouvet.

Madiot atteint

Voir Bormio est une délivrance pour les coureurs, mais la plupart d'entre eux sont encore abasourdis, dans un état lamentable, parfois au bord de l'hypothermie. Philippe Bouvet a été frappé par l'arrivée de Marc Madiot. "Je n'ai jamais vu quelqu'un trembler comme lui ce jour là. Il était pris de convulsion atroces avec le froid. Franchement, j'ai eu peur qu'il meurt à ce moment là. J'avais un gros anorak qu'on avait à l'Equipe et je me souviens lui avoir donné, après l'avoir aidé avec d'autres à enlever son maillot. J'ai pris un grand gobelet avec une paille et on lui a mis quelque chose de chaud à boire. Il était incapable de tenir ce gobelet tout seul".

Le double vainqueur de Paris-Roubaix assure avoir été au bout de lui-même. "A l'arrivée des espaces invités avaient été réquisitionnés et on nous y mettait au fur et à mesure, en nous donnant des couvertures, en nous changeant. A l'hôtel j'ai mis deux heures à rentrer dans la baignoire. A partir de ce jour là, je n'ai plus jamais supporté les mauvaises conditions météo, mon corps ne s'en est jamais vraiment remis. Je pense que j'ai été trop loin ce jour là. C'est d'ailleurs une des rares fois dans ma carrière où je me suis dis que j'avais été trop loin, après coup bien sûr, car sur le moment je ne savais plus où j'en étais. Ce qui nous a foutu dedans, c'est de ne pas avoir pris de vêtements chauds et de ne pas s'être changé au sommet, alors qu'on était trempé au milieu de la glace et la neige, à 2600m d'altitude".

L'arrivée à l'hôtel, Pedro Delgado s'en rappelle aussi. "J'étais encore complètement frigorifié. J'ai commencé à prendre la douche, j'y suis resté peut-être une demi-heure ou même plus et je n'arrivais pas à en sortir, mais il fallait bien que je laisse la place à mon camarade de chambre, le colombien Omar Hernandez". Le soir à table, l'impression d'avoir vécu quelque chose à part domine déjà. "Les sentiments étaient un peu mêlés, mais il y avait ce parfum d'épopée dont tout le monde avait conscience, coureurs ou suiveurs. Je me rappelle avoir croisé Philippe Bouvet après l'arrivée et s'être dit ensemble que nous avions vécu une étape de légende", ajoute Francis Lafargue.

En déboursant neuf minutes, Jean-François Bernard a vu ses rêves de victoire finale s'envoler ce jour-là, même s'il s'imposera une nouvelle fois le lendemain à Merano. "C'était sauve qui peut. Jamais tu n'imagines que tu puisses faire du vélo dans ces conditions. Le seul souvenir du genre que j'avais en tête c'était le Liège-Bastogne-Liège gagné par Hinault. De toute façon au Gavia, si c'est une course d'un jour, t'as que 10 mecs à l'arrivée". Ils étaient 21 à Liège en 1980. Pour Jeff, deux jours plus tard, ce sera la chute dans un tunnel mal éclairé et l'abandon.

Cette étape va marquer un tournant. Le Gavia 1988 reste le dernier cru d'un cyclisme aujourd'hui disparu, qui puise ses racines aux temps des pionniers. "Aujourd'hui ce genre de course serait arrêté, c'est évident, mais c'était une autre époque, comme le Liège-Bastogne-Liège de 1980. Le cyclisme évolue avec la société. L'opinion serait peut-être satisfaite devant ce genre de spectacle, mais en même temps, elle n'est plus en mesure de l'accepter et un organisateur ne peut plus prendre une responsabilité pareille", constate Philippe Bouvet.

Et Torriani dans tout cela ?

L'organisateur justement. Quatre ans plus tôt, Vincenzo Torriani n'avait pas hésité à raboter le Giro et à imaginer un Stelvio enneigé, pour favoriser les desseins de Francesco Moser, au détriment de Laurent Fignon. Cette fois Checco n'est plus là, Giuseppe Saronni n'est déjà plus que l'ombre de lui-même et au moment d'aborder le Gavia, l'Italie doit se contenter d'un fFanco Chioccioli, certes en rose, mais qui à part une vague ressemblance avec Coppi n'a pas de quoi enthousiasmer les foules.

Alors coupable Vincenzo Torriani ? Philippe Bouvet tempère. "La course s'est retrouvée de toute façon un peu pris au piège. Ce qui a peut-être changé la face de cette étape, c'est qu'il y a eu une éclaircie à un moment, je ne me souviens plus exactement quand, mais le soleil est revenu, les coureurs ont commencé à enlever les imperméables avant de partir à l'assaut du Gavia. Ensuite la tempête de neige est arrivée au plus mauvais moment, nous étions déjà monté trop haut. C'était aussi très différent de la fameuse étape du Dauphiné Libéré au col du Rousset, où là il s'agissait d'une arrivée, avec une infrastructure et des assistants au sommet qui étaient prêts. Au Gavia, le Giro s'est retrouvé comme un bateau pris au milieu d'une tempête". Marc Madiot non plus n'accable pas Torriani. "Je ne saurais dire, je ne suis pas assez au fait. C'est difficile de toute façon, on ne maîtrisait pas non plus la météo aussi bien qu'aujourd'hui".

L'arrivée d'internet et la connaissance en temps réel des données météorologiques excluent désormais ce genre de scénario. Place au protocole météo. Le cyclisme risque-t-il aujourd'hui de tomber dans l'excès inverse ? "C'est le danger. Cela dit qu'on soit vigilant par rapport à cela sur une course par étape me parait normal, mais sur une course d'une journée c'est différent et il y a la liberté de pouvoir abandonner la course, c'est ce que je dis toujours aux coureurs. Malgré tout, il faut faire attention à ne pas détruire tout ce qui a été construit pendant des dizaines d'années. Les forçats de la route, c'est les forçats de la route. Je dis toujours aux gars qu'on n'est pas obligé d'être coureur cycliste, mais quand on l'est, il faut accepter aussi toutes les difficultés" ajoute le manager de la Groupama FDJ.

Aujourd'hui ce dernier ne pense pas plus que cela au Gavia. "J'y ai pensé surtout tant que je faisais du vélo et que je voyais du mauvais temps arriver. C'est sûr que ce jour là j'ai du maudire Torriani et le Giro, mais après coup je suis fier d'avoir fait cette étape, même si j'ai alors touché des limites".

Une étape finalement remportée, on l'oublie souvent, par Erik Breukink. Pétri de classe et malgré des podiums sur le Giro et le Tour, il manque probablement un grand tour à son palmarès pour figurer au mieux dans les annales. Deuxième à Bormio, à un poignée de secondes derrière Breukink, c'est bel et bien Andy Hampsten qui est alors entré dans l'histoire, en endossant le maillot rose et en posant les fondations de sa victoire finale quelques jours plus tard.

Johan Van der Velde pour l'éternité

L'autre nom associé à jamais à cette étape reste évidement celui de Johan Van der Velde, héroïque dans sa tenue d'été, franchissant le sommet en tête, avant d'arriver à Bormio avec trois quart d'heure de retard sur Breukink. Pedro Delgado qui lâcha sept minutes dans l'affaire, avant de terminer 7e de ce Giro, en sourit encore. "Pour moi c'est un mystère, je ne me rappelle pas l'avoir dépassé dans la descente". Jean-François Bernard assure lui avoir vu son vélo en haut du Gavia. "Mais pas de Van der Velde". Comme pour tant d'autres ce jour là, la course n'avait alors plus de sens pour le néerlandais, qui dû se résoudre à chercher momentanément un abri. Deux ans plus tard, Johan Van der Velde achevait sa carrière professionnelle. Sans cette mésaventure du Gavia, et malgré une 3e place sur le Tour de France 1982, qui sait si son nom ne serait pas tombé dans les oubliettes de l'Histoire ?

Le Gavia, lui, est alors définitivement entré dans le panthéon cycliste. Après-guerre, avec le Monte Bondone en 1956 et la Doyenne de 1980, il incarne même une trinité de l'extrême difficilement envisageable pour les coureurs d'aujourd'hui.

Ximun Larre

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