Prophète en son pays, quintuple vainqueur du Tour de Colombie dans les années 50, la renommée de Ramon Hoyos n'a pourtant guère franchi les frontières sud-américaines. La faute à une carrière un peu trop locale. Pourtant, le grimpeur colombien est l'un des plus grands cyclistes qu'ait connu la Colombie, et son parcours mérite qu'on s'y attarde...
Ramon Hoyos Vallejo nait le 26 mai 1932 à Marinilla, province d'Antioquia, Colombie. Sa famille est pauvre, mais pas plus que la majorité de la population colombienne de l'époque. Les treize enfants vivent grâce à la petite exploitation agricole familiale. Lorsque Ramon débute sa scolarité, il doit marcher quotidiennement 6 km pour se rendre à l'école. Alors qu’il a neuf ans, ses parents quittent la vie rurale et s’installent à Marinilla. Le chemin de l'école s’écourte alors considérablement : seule une longue descente sépare désormais la maison de l'école. L'idée vient alors au garçon de faire le trajet sur une de ces petites carrioles de bois utilisées habituellement par les livreurs. Pour s'en procurer une, il rognera plusieurs mois sur la petite somme qui lui est allouée pour s'acheter son déjeuner.
Ramon découvre le vélo en 1942, lorsqu’un dénommé Juan de la Cruz ouvre près de chez lui un commerce de location de bicyclettes. La surprise de l’enfant est grande devant ces mystérieuses machines. Les premiers jours, il passe et repasse devant le local pour les admirer, persuadé qu'il s'agit de pièces d'autres véhicules. L'idée qu'il est possible de se déplacer à deux roues ne lui effleure pas l'esprit, et sa timidité lui interdit d'interroger le commerçant pour en savoir plus. On imagine sa perplexité lorsqu'un jour, tractant sa voiturette au retour de l'école, il croise un jeune homme confortablement installé sur l'un de ces engins, avançant sans produire le moindre effort. Interloqué, Ramon l’apostrophe : "Comment fais-tu pour ne pas tomber ?". La réponse, "c'est un secret", ne diminue en rien sa curiosité. C'est à son retour chez lui qu'il entendra pour la première fois, de la bouche de son père, le mot "bicicleta". Quelques mois plus tard, après avoir vu se multiplier les vélos dans les rues de Marinilla, et alors que tous ses copains sont devenus d’habiles cyclistes, il décide de tenter l'expérience à son tour. Son intérêt limité pour ce mode de transport ne favorisera pas le premier contact qu'il en aura, et ses premiers coups de pédales seront laborieux.
A 11 ans, Ramon rejoint ses frères ainés à Medellin et commence à travailler comme magasinier. Bientôt, il apprend que le livreur à vélo de la boutique d'en face gagne deux fois plus que lui. Il décide alors de consacrer son temps libre à s’exercer afin de maîtriser ce moyen de locomotion pour briguer le poste convoité. Quelques mois d'apprentissage lui suffiront pour être opérationnel et se faire embaucher. Son premier jour de travail aurait aussi pu être le dernier : à la première intersection, snobant le feu rouge, le néo-livreur se fait renverser par un camion. Après qu'il eût recouvré ses sens, son patron lui lance d'un ton railleur : "Mon enfant, si tu veux être un bon livreur, apprends d'abord à faire du vélo !" Beau joueur, il lui laissera toutefois une seconde chance. C'est ainsi que la carrière cycliste de Ramon Hoyos a commencé, motivée avant tout par l'envie de gagner plus d'argent.
Il faudra attendre encore trois ans avant que le Colombien apprenne l'existence du cyclisme de compétition. Victor Betancourt, propriétaire d’un atelier de réparation de deux-roues fréquenté par Ramon, se trouve aussi être le directeur du club cycliste Saeta, et un passionné de cyclisme. La rencontre avec Betancourt opère comme une révélation pour l’adolescent. Galérien de la pédale depuis quatre ans, il est conscient de ses qualités sur un vélo. Compétiteur né, il n’a alors plus qu’une obsession : participer à une course. Et comme toujours quand il a une idée en tête, Ramon Hoyos la met en pratique. Pour s'entraîner, il démissionne de son poste de livreur et obtient un poste d’ouvrier qui lui laisse ses matinées libres. Parallèlement, il se procure un équipement et s’achète son premier vélo, en avril 1951.
Le 24 mai 1951, Ramon dispute sa première compétition, une course reliant Medellin et Laureles. Sur la ligne de départ, son physique ne passe pas inaperçu : traits anguleux, joues creusées et menton volontaire composent un visage atypique, que vient renforcer un sourire aussi rare que malicieux. Et puis, âgé de 19 ans, le novice pèse alors moins de 55 kg. Lâché dès les premiers hectomètres, il va parcourir les 110 km de course seul, et ne trouvera personne pour l'accueillir à Laureles. La banderole d'arrivée a même été enlevée ! Malgré ces débuts difficiles, la première victoire survient dès le mois suivant, sur la "Double San Cristobal" (montée puis descente de 10 km). Disposant d’une avance d’une minute au sommet, le jeune coureur parvient à conserver partie de cet avantage dans la descente. Un exploit pour ce coureur notoirement maladroit quand la route s’abaisse. Exploit d'autant plus notable que Hoyos courre avec des chaussures de foot et un vélo sans dérailleur. De cette victoire, le coureur retiendra surtout les circonstances de son retour à l’usine le lendemain. Rendu furieux par son absence injustifiée, le supérieur hiérarchique du jeune coureur l’attend de pied ferme. Et la raison qu'invoque ce dernier ne calme pas ses ardeurs. Ramon exhibe alors timidement le journal du jour dans lequel un petit encart signale sa victoire. "Idiot, pourquoi tu ne m'as pas dit plus tôt que tu avais gagné !" s'exclame son supérieur, soudain plus heureux qu'en colère. Il deviendra son plus fervent supporter, n'hésitant pas à se muer en agent du jeune champion au sein de l'entreprise pour que celle-ci le subventionne.
Après une nouvelle victoire, la deuxième en cinq courses, Ramon Hoyos finit 2e du Trophée des Grimpeurs, compétition nationale où s’affrontent les meilleurs coureurs du pays. Ces excellents résultats ne lui permettent cependant pas d'être sélectionné pour le Tour de Colombie. Mais, neuf jours avant le départ, épaté par les performances de ce jeune coureur sorti de nulle part, le mécène sportif Ramiro Mejia décide de le financer. Malgré les protestations d'une partie de la presse (le coureur était encore classé en 3e catégorie), Ramon Hoyos s'aligne bel et bien sur la grande épreuve nationale.
La première étape de ce Tour de Colombie 1952, Bogota-Honda, commence mal. Malade, rapidement décramponné, le coureur navigue seul et assez loin du peloton. Seule la volonté de ne pas décevoir Mejia lui donne la force de poursuivre. Dans une descente, une lourde chute le laisse presque inconscient. Sonné, acculé à l’abandon par la voiture balai, Ramon tient bon et rallie finalement Honda avec plusieurs heures de retard sur le vainqueur, en 48e et dernière position. Le visage ensanglanté, l'œil gauche tuméfié, le malheureux est conduit de force aux urgences par des passants. C'est dans sa chambre d'hôpital qu'il se voit notifier sa mise hors course par les commissaires. Inconsolable, le coureur fugue de l'hôpital le lendemain aux aurores pour rejoindre la ligne de départ de la seconde étape, avec le secret espoir d'être réintégré à la course. En vain, les commissaires lui confirment sa disqualification, ajoutant que les huit coureurs l'ayant précédé ont également été mis hors-course pour être arrivés hors-délais… Assis sur le trottoir, désespéré de son infortune, Hoyos voit son attention attirée par un groupe de militaires qui échange vertement avec des membres de l'organisation. Motif : un sergent fait partie des recalés de la veille. L’armée est puissante en Colombie, et après une demie heure de palabres, l'invraisemblable se produit : tous les disqualifiés de la veille sont admis à prendre le départ. Requinqué, le natif de Marinilla roule bien et termine l’étape devant ses coéquipiers. Le lendemain, il confirme son potentiel et se classe second de l'étape derrière le Français José Beyaert.
La première de ses trente-huit victoires d’étapes dans l'épreuve interviendra au terme de la neuvième levée cette édition, au cours de laquelle s’exerce une impitoyable sélection par l'arrière. A quelques encablures de la ligne d'arrivée, le grimpeur de poche fausse compagnie au dernier de ses compagnons de route et s’impose en solitaire. Solide lors des dernières étapes, c’est en septième du général qu’il rejoint Bogota, unanimement salué comme la révélation du Tour de Colombie. Il force l'admiration des suiveurs, notamment de ceux qui avaient pu constater l'état dans lequel il était au soir de la première étape... C'est de l'arrivée de ce Tour de Colombie 1952 que celui qui va bientôt devenir «Don Ramon de Marinilla » date ses vrais débuts comme coureur cycliste. Suite et fin ICI...
Par David Guénel ( davidguenel)
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