Comme souvent, la rédaction de Velo-Club laisse la parole aux membres de sa communauté, lorsqu'un sujet les passionne. Et en ce jeudi 22 décembre, c'est Fabien Lull, qui a pris le temps d'évoquer la formation B&B Hôtels, une équipe qu'il suit depuis ses débuts, et dont la brutale disparition l'a profondément marqué.
Tout commença à la fin du Giro 2017 : après avoir suivi avec plaisir les belles performances de Thibaut Pinot et le panache de Pierre Rolland, Jérôme Pineau qui couvrait l’évènement à l’époque avec la chaine l’Equipe annonce monter une nouvelle équipe dans le paysage cycliste pour 2018. Supportant jusque-là les équipes françaises et quelques champions tels que Vincenzo Nibali, Joaquim Rodriguez ou encore Philippe Gilbert, cette annonce attisa fortement ma curiosité, comme si je m’apprêtais à lancer une nouvelle partie de Pro Cycling Manager en montant l’équipe de A à Z. L’effectif annoncé ne fit que renforcer mon intérêt : des coureurs français que j’appréciais à l’époque (Coquard, Le Bon, Manzin, Pacher ou Reza), quelques coureurs belges tournés vers les Flandriennes (mes courses favorites) et surtout de jeunes espoirs prometteurs comme Turgis, Muller ou Ermenault. Alors oui, l’effectif sur le papier ne faisait pas rêver, mais il correspondait sans doute à ce que je recherchais à l’époque c’est-à-dire une équipe qui part de zéro avec pour ambition de progresser régulièrement et surtout de faire évoluer de jeunes coureurs prometteurs. Enfin, mon adhésion au projet fut scellée définitivement grâce à cette identité affirmée (Glazic forever) et surtout cette belle couleur Glaz, qui tranchait à l’époque dans le peloton professionnel.
La première saison fût assez contrastée. Je me souviens tout d’abord des premiers sprints de Bryan Coquard face à des plateaux modestes : sprints qui étaient scrutés par la plupart des suiveurs, ces derniers n’étaient vraiment pas tendre avec le Coq à l’époque (sans doute vis-à-vis de son choix de carrière, ne saisissant pas l’opportunité de rejoindre la Quick-Step). Malgré tout, le début de saison n’était pas inintéressant en particulier grâce à Quentin Pacher, Johan Le Bon et le prometteur Paris-Roubaix de Tanguy Turgis. Mais s’en suivi une longue période de grisaille sans résultats et un Bryan Coquard peu en verve, avec néanmoins quelques éclaircies en fin de saison par l’intermédiaire de Van Genechten, Manzin et toujours Papach’. Ce dernier prenant une très belle 2ème place sur la Famenne Classic mais cette course fût aussi entachée d’un souvenir moins joyeux pour les supporters avec le malaise de Tanguy Turgis, qui entraîna l’arrêt de sa carrière pour une maladie cardiaque : ce fût là mon premier coup de massue en supportant l’équipe, qu’un garçon avec des lendemains si prometteurs soit stoppé aussi précocement dans sa carrière…
La saison 2019 était elle pleine de promesses avec l’arrivée d’un nouveau sponsor-titre « BB Hotels », d’un budget augmenté et un recrutement fort avec les arrivés notamment d’Arthur Vichot (qui sortait encore des top 10 World Tour au Tour de Suisse et au Québec), de Cyril Gautier et surtout de l’un de mes coureurs préférés, Pierre Rolland. Et le début de saison nous a rapidement mis dans le bain avec les succès rapides de Manzin sur la Tropicale et du Coq à Bessèges, le premier top 10 sur une classique World Tour (Van Genechten 7ème sur Brugge-De Panne), cette mémorable victoire de Patrick Muller qui sauta Justin Jules sur la ligne lors de la Volta Limburg et une victoire revancharde de Manzin sur le Tour de Bretagne après un exercice 2018 où l’équipe était complètement passée au travers de ce Tour à domicile. Tout n’était néanmoins pas tout à fait rose car les nouvelles recrues peinaient à apporter un réel plus sur cette première partie de saison, les périodes de disettes sans résultat étaient toujours là et puis il y eu cette annonce de non-sélection sur le Tour de France : annonce que j’avais à l’époque étonnement bien prise (au contraire des coureurs, du staff et de la plupart des supporters), me disant que cela était peut-être encore un poil trop tôt et que cela permettrait peut-être à l’équipe de s’affirmer sur le circuit Europe Tour. Et en effet, les leaders ont répondu présent pour la deuxième partie de saison : on a vu un Bryan Coquard dans sa période la plus prolifique sous le maillot Glaz (2 victoires sur des classes 1 au GP Marcel Kint et Cerami, une étape sur l’Artic Race devant Laporte et Van der Poel) et un Pierre Rolland enchaînant les bons classements généraux (4 Top 10). C’était une période, même sans Tour de France, agréable à suivre en tant que supporter. Mais au milieu de cette douce euphorie, une nouvelle fois le destin décida de stopper précocement l’ascension du meilleur espoir de l’équipe avec l’arrêt pour raisons de santé de Patrick Muller, comme si une malédiction pesait au-dessus de l’équipe…
2020 fût une année particulière pour les raisons sanitaires que l’on sait. Et pour l’équipe, ce fut aussi une grande première puisqu’elle décrocha enfin le précieux sésame la conviant à la plus grande course du monde alors qu’elle réalisait paradoxalement (avant la coupure sanitaire), son début de saison le moins convaincant. Malgré les grandes déclarations plutôt décalées et surprenantes de Jérôme Pineau, c’est avec une certaine incertitude que nous plongeons dans cette fin de saison dense en termes de courses et l’équipe nous surprendra agréablement sur l’enchaînement Dauphiné-Championnat de France-Tour de France grâce à un duo Bryan Coquard-Pierre Rolland en grande forme, ressentant par la même occasion un sentiment de fierté de supporter l’équipe vu son comportement sur les routes du Tour. Néanmoins, à tête reposée en fin de saison, un sentiment contrasté surgissait : d’abord la malédiction semblait frapper de nouveau avec cette fois-ci l’arrêt de la carrière d’Arthur Vichot qui n’a finalement jamais pu vraiment s’exprimer sous le maillot Glaz. Et puis le sentiment d’une saison pas si réussie qu’on aurait pu le croire, avec peu de résultats hormis les grosses épreuves françaises que j’ai évoqué. Ah si, il y avait tout de même un nom qui commençait à retenir notre attention : celui d’un jeune sprinteur italien issu de l’équipe de développement de Dimension Data, Luca Mozzato, et qui s’avérera (à la grande surprise des bookmakers) être la meilleure recrue de cette saison…
L’année 2021 fut sans doute la plus agréable à suivre : malgré un recrutement modeste, l’équipe va chercher régulièrement des résultats notamment sur les classiques et non pas grâce à ses leaders mais grâce à des garçons qui semblent franchir un palier comme Bonnamour, Lecroq, Mozzato, Barthe ou encore Schonberger. Certes le bilan final des victoires fût bien maigre (et sauvé par le festival d’Alan Boileau au Rwanda) mais il y avait ce sentiment récurrent dans la saison de passer pas loin d’une grande performance : les quelques mètres manquants à Jérémy Lecroq dans le Kemmelberg pour basculer avec le groupe qui se joue la gagne à Wevelgem, Franck Bonnamour qui est départagé avec Warren Barguil seulement aux places sur le Tour du Limousin, ces maudits petits cailloux dans les yeux qui obligèrent un Jérémy Lecroq à abandonner sur un Paris-Roubaix où il voltigeait à chaque secteurs pavés, Arne Marit qui trouva un trou de souris pour sauter le Coq sur la ligne pour la course à la maison au GP du Morbihan ou enfin ce dernier kilomètre de Paris-Tours où Bonnamour ne put résister au retour et à la vitesse d’Arnaud Démare. Sans oublier le podium sur les Champs de la révélation Bonnamour et la régularité de Luca Mozzato, cette saison nous avait offert son lot d’émotions, je m’y replonge d’ailleurs avec une certaine mélancolie en écrivant ces quelques lignes…
Il est difficile d’enchaîner sur 2022 quand on connaît la fin de l’histoire, mais courage, le vélodrome de Roubaix est en vue. Cette année commença d’ailleurs dans une ambiance particulière suite aux départs de deux leaders historiques du club (Bryan Coquard et Quentin Pacher) et des mots pas toujours bienveillant du manager de l’équipe : c’était une situation assez malaisante pour les supporters, qui souvent continuent à suivre la route des coureurs passés par leur équipe favorite et surtout en leur souhaitant le meilleur avenir possible, ce qui apparemment n’était pas le cas de tous…côté sportif, l’équipe eu une liste de chutes et blessures longue comme le bras jusqu’à fin juillet, les résultats décevant s’enchaînaient heureusement les sprinteurs Mozzato et Barbier arrivaient à tirer leurs cartes du jeu pour nous sortir du marasme de cette première partie de saison. Mais ces mois à suivre l’équipe courses après courses, kilomètre après kilomètre, n’ont pas été de tout repos pour les supporters, qui s’accrochaient tout de même et continuer à encourager les coureurs en attendant des lendemains plus festifs. Puis après le Tour de France, cette pugnacité fut récompensée et l’équipe montra un autre visage aussi bien individuellement que collectivement le tout, accompagné d’un plaisir simple : pouvoir vivre en direct et en image une victoire, sensation que l’on avait plus connu depuis presque 2 ans… Et avec une première victoire en Coupe de France grâce à Franck Bonnamour, un premier podium sur une classique World Tour avec la nouvelle pépite Axel Laurance et le meilleur classement UCI obtenu par l’équipe en fin de saison (23ème) : la progression de l’équipe marche après marche était bien là et nous nous projetons vers 2023 avec impatience en se disant que l’on pourra encore profiter des progrès du duo Mozzato-Laurance pendant au moins une année. Mais entre-temps, il y eu cet article dans l’équipe fin juillet. On nous parlait d’une bombe, ce fut le cas, mais néanmoins pas dans le sens recherché…
L’identité bretonne, qui fut la force de la structure depuis ses débuts et qui a permis de fédérer la plus grosse base des supporters, était amenée à disparaître au profit de la ville de Paris (pour qui historiquement la Bretagne n’a que peu d’atomes crochus). Changement de nom, changement de couleurs, plus de Glazic (snif) et le tout pour zéro euro apporté par la ville de Paris et un fameux gros co-sponsor toujours mystérieux. Rajoutons un nom, celui de Didier Quillot, qui n’inspire pas à la réussite d’un projet quand on est aussi supporter de football (et encore plus des Girondins de Bordeaux…). Seulement voilà, il y avait ce projet d’équipe féminine qui ravivait notre intérêt et puis les coureurs de 2022 seraient toujours là, et c’est surtout pour eux qu’on supporte l’équipe à chaque course donc ok, on va attendre de voir. Et puis avec les bons résultats de fin de saison, l’optimisme des coureurs sur ce nouveau projet et en apprenant à 90% l’identité des futur(e)s recrues, la méfiance s’est transformée progressivement en prudence, on commençait à se faire petit à petit à ce changement d’identité et on attendait juste l’annonce de ce nouveau sponsor. Mais la fameuse annonce était sans cesse repoussée, le club nous (et apparemment aussi les coureurs et les salariés) rassurait régulièrement que ce n’était qu’une histoire de détails administratifs ou d’agenda. Petite parenthèse d’ailleurs mais à cette période, il y eu personnellement une autre chose qui se cassa dans mon expérience de supporter lorsque je me suis rendu compte qu’il était fort probable qu’aucun coureur issu du VCP Loudéac (qui avait sans doute sa plus belle promotion depuis 5 ans) n’intégrerai : voir des coureurs (jeunes) progresser dans l’équipe était sans nul doute ce qui me plaisait le plus dans mon expérience de supporter, ce qui fait que la seule recrue que je souhaitais vraiment pour 2023, c’était Florian Dauphin et non un Mark Cavendish par exemple (ce qui peut fortement surprendre d’un point de vue extérieur mais je me suis rendu compte que je n’étais pas le seul « fou » dans ce cas). Et puis les reports ont continué à s’enchaîner, les périodes de silence à s’allonger. C’est à partir du report d’annonce lors de la présentation du Tour de France que je me prépare au pire, en me disant que seul un miracle pourra sauver l’équipe et en espérant simplement ce miracle non pas pour la structure et ce qu’elle représente mais pour ces sportifs, sportives et salariés qui jouent beaucoup dans cette histoire. Mais le miracle n’arrivera jamais et même quand on s’y prépare la nouvelle est dure à encaisser en pensant aux cyclistes, staff et salariés qui se retrouvent sans rien. Nous en sommes réduits, supporters mais aussi suiveurs, à attendre une bonne nouvelle dans la presse ou sur les réseaux sociaux et quand je parle de bonne nouvelle, je parle d’un ou une cycliste qui retrouverait une équipe pour l’an prochain pour continuer à exercer leur métier. Sans compter les salariés, staff ou administratif, qui n’ont pas l’honneur d’une couverture médiatique, mais à qui on pense, dans l’inconnu…
Il y a un profond sentiment de gâchis alors que le projet commençait à prendre forme aussi bien sportivement qu’autour de l’identité bretonne : l’équipe disposait enfin de deux belles têtes d’affiches bretonnes avec Laurance et Bonnamour, elle était bien installé dans la hiérarchie UCI en prenant la 5ème place des Pro Teams 2 ans d’affilée, avec la montée d’Arkéa en World Tour les invitations pour le Tour de France se trouvaient non pas automatiquement acquises mais au moins faciliter et le VCP Loudéac formait des jeunes de plus en plus prometteurs en vue de renforcer l’équipe pro et prendre leurs envols. Pas mal de gens d’ailleurs me demandaient pourquoi je supportais l’équipe et si ce n’était pas trop dur à la longue mais en fait, cela dépendait où l’on plaçait le curseur de nos attentes et de ce point de vue-là, l’équipe répondait aux miennes en progressant régulièrement et en permettant à certains coureurs de progresser et s’épanouir, ce qui était d’ailleurs la base du projet qui est né en 2018. Et c’est peut-être en ne fortifiant pas suffisamment ses fondamentaux que l’édifice s’est écroulé quand il a fallu construire un étage supplémentaire, les 15 ans de travail et patience d’Emmanuel Hubert pour accéder au WT en sont un très bon contre-exemple. Cela fait d’ailleurs écho à une sortie récente de Marc Madiot sur le sponsoring dans le cyclisme et je trouve que le mot qui qualifiait le mieux ses propos était « humilité », ce qu’il a peut-être manqué récemment dans le projet ...
J’ai tout de même vécu 5 années formidables, 5 années à tout faire pour ne rater aucune course et à traquer la moindre de possibilité de diffusion quel que soit le canal, à revoir même certaines courses pour mieux apprécier le travail équipier d’un Jauregui/Morice/Lemoine ou le placement d’un Lecroq/Mozzato lors de moments-clé, à tenir à jour plusieurs fichiers Excel pour constater les progrès constants de l’équipe ou bien à distribuer dans mon sud-ouest des drapeaux Glaz Ha Du sur les routes du Tour de France avec ma fille . 5 années faites de passion mais surtout d’échanges que ce soit avec les coureurs et staff de l’équipe toujours disponibles et bienveillants, avec les copains « très bretons mais pas que » du KopGlaz (avec qui on a essayé de faire tourner l’asso avec 3 bouts ficelles mais l’ambiance était chouette), les supporters du club avec qui j’ai partagé mes joies et mes peines, les membres de Vélo Club Net pour les échanges toujours très respectueux et constructifs sur le forum et plus généralement la communauté vélo sur les réseaux sociaux. Nous avons la chance d’ailleurs d’avoir une belle communauté, et cela quel que soit l’équipe supportée : les messages de soutien reçus par les collègues de VCN ou du Gruppetto (qui se reconnaîtront) en sont la preuve. Maintenant, on va continuer bien sûr à suivre toutes les courses mais seulement d’un autre œil… Même si ce dernier sera bien sûr toujours plus attentif aux performances d’un Mozzato, Laurance, Barthe ou tout autre coureur qui sont passés par la structure sur ces 5 ans, il suivra aussi aussi les progrès de jeunes prometteurs comme Louvel, Vauquelin, Zingle, Dujardin, Jeannière, Martinez ou Grégoire ; le chemin effectué par la Conti de Nantes (et ses jeunes loups) et enfin les coureuses qui devaient constituer la nouvelle équipe féminine... En espérant d’ailleurs pouvoir croiser ces championnes avec ma fille le 30 juillet prochain pour vivre de nouvelles mais belles émotions. Et cela, toujours grâce au cyclisme.
Par Fabien Lull