Investir dans la jeunesse
Comme pour le Team Best PC, c’est à la base et par la formation que Carapaz et Caicedo veulent développer le cyclisme équatorien. Simplement résumer les structures formatrices par celles de Carapaz et Caicedo serait faux. Néanmoins, leur aura fait que leurs clubs sont maintenant les plus importants. Le Tour de la Juventud Tierra de Campeones, course réservée aux juniors masculins et féminins et cadets masculins, a vu la domination du Club Ciclista Richard Carapaz- Fédéracion Deportiva del Carchi. Apparue en février 2017, l’école de cyclisme de Richard Carapaz a passé un accord avec la Fédération sportive de Carchi après que Carapaz ait remporté le Tour d’Italie. L’objectif de l’école de Carapaz est bien évidemment de former les talents équatoriens de demain. Celui de la Fédération sportive de Carchi, de payer les différents frais, que ce soit pour les déplacements, le matériel ou les entraînements.
Quant à Jonathan Caicedo, celui-ci a créé le Club de Alto Rendimiento Jonathan Caicedo ou plus simplement le Team JC. Tout comme Carapaz, il tente de construire un plus vaste projet. Après sa victoire d’étape lors du Giro, Caicedo a passé un accord avec la Préfecture de Carchi et la Liga Deportiva Universitaria de Quito, connu en Amérique du Sud pour son équipe de football, pour créer une équipe portant le nom de Team LDU. En septembre dernier, Carlos Narváez Gordón, manager du Club Jonathan Caicedo, expliquait au journal El Universo que l’objectif était la formation de coureurs dans toutes les catégories, de développer un programme pour partir en quête des talents dans tout le pays et, enfin, de courir en Europe à long terme. Finalement, un petit mois plus tard, l’accord se rompt. La Ligue Universitaire de Quito n’aurait pas respecté ses engagements dans le contrat signé.
Ce dernier revers montre qu’il est encore difficile d’avancer en Équateur mais ce que nous propose des acteurs comme Carapaz, Caicedo ou Rosero n’est rien d’autre que la constitution d’un cyclisme local encore à découvrir.
Un cyclisme équatorien dépourvu de toute aide
En effet, les différentes ‘’institutions’’ équatoriennes prennent très rarement, pour ne pas dire jamais, des initiatives pour permettre au cyclisme de grandir. En dehors du football, cette situation se retrouve aussi dans les différents sports, avec des fédérations ou ligues sportives parfois fantoches. Les résultats des coureurs professionnels équatoriens ne suffisent-ils pas à investir bien plus dans le cyclisme ? Les différents messages du président Lenín Moreno après les exploits équatoriens n’ont rien changé ? Surprenant. La suppression des taxes sur l’importation des vélos de compétition est une des rares démarches qui a été réalisée. Que ce soit Carapaz, Caicedo ou Narváez tous trois ont déploré, dans les différents médias nationaux, qu’il n’y avait aucune aide pour le cyclisme local. La fédération équatorienne de cyclisme, bien qu’organisatrice du Tour de l’Équateur, semble finalement peu présente.
Un calendrier bien terne
À contrario d’un circuit colombien, certes sensible face aux différentes crises, ce qui est le lot des différents circuits, mais proposant un calendrier s’étalant sur l’ensemble de l’année, celui équatorien est quasiment inexistant.
Quelques points positifs sont à retenir. De nouveau organisé en 2018, grâce à Pedro Rodríguez, et revenu dans le giron UCI pour 2019, les organisateurs, la Concentración Deportiva de Pichincha (CDP) et la Fédéracion équatorienne de cyclisme (FEC), du Tour de l’Équateur ont réussi à organiser l’édition 2020. La course s’est déroulée avec la présence des meilleurs coureurs équatoriens, sauf les coureurs professionnels malgré la volonté de Richard Carapaz d’y participer, plusieurs équipes étrangères et avec un public, certes modeste mais présent, sur le bord des routes. En pleine pandémie du Covid, organiser des courses sur le continent sudaméricain relève de l’exploit. Avoir eu une bien meilleure couverture médiatique que les années précédentes, aussi. Même si de nombreux efforts sont encore à faire, cette dernière édition confirme les progrès qui sont effectués depuis quelques saisons. De plus, l’édition 2021 pourrait se dérouler sur dix étapes avec pour ambition de devenir la course sudaméricaine la plus importante. Enfin, la CDP et la FEC assurent l’organisation jusqu’en 2023. Une stabilité dans un cyclisme encore instable.
De plus, à l’ouest, sur l’archipel des îles Galápagos, Jaime Calderón, a pour ambition que sa course, le Tour de Galápagos, soit classée 2.1 les prochaines années. Cette année, Jhonatan Narváez, Jefferson Cepeda et des personnalités comme Giovanni Lombardi, champion olympique en 1992, et l’ex-cycliste colombien Víctor Hugo Peña ont pris part à l’épreuve.
Il serait inutile de lister les différentes courses équatoriennes, même si la Clásica Richard Carapaz, course de plusieurs étapes malgré son nom, et le Tour de la Juventud mériteraient de l’être, tant le calendrier de courses pouvant, malheureusement, fluctuer d’une année sur l’autre.
Carchi, l’âme de l’Équateur
Carchi revient fréquemment dans cet article. C’est simple. Carchi, ainsi que Sucumbios, est le cœur du cyclisme équatorien. La très grande majorité des coureurs équatoriens, actuels et anciens, sont originaires de ces deux provinces. Au cours de l’année 2018, Carchi est même déclaré capitale du cyclisme équatorien. La raison n’a rien de surnaturelle. Situées tout au nord du pays, ces deux provinces ; cumulant 416 000 habitants sur les 17 000 000, sont frontalières avec la Colombie. Une diffusion géographique s’est faite peu à peu avec le cyclisme colombien. Par ailleurs, les coureurs du département de Nariño, situé à la frontière avec l’Équateur, au sud de la Colombie, ont souvent été invités à courir sur les courses équatoriennes.
L’importance de la province de Carchi a grandi à la suite des exploits de Carapaz. Aujourd’hui, le cyclisme équatorien pourrait presque se résumer à cette province et sa capitale Tulcán. Entre coureurs, structures et fédérations, comme la Fédération sportive de Carchi, la province est celle qui est le moteur de ce cyclisme. Les derniers Tour de l’Équateur ont montré l’importance de Carchi. Les différents parcours pouvaient se résumer à un Tour de Carchi, Sucumbios et Imbabura, province au sud de Carchi et troisième approvisionneuse de cyclistes équatoriens. Elles représentent tout le cyclisme équatorien.
Colombie et Espagne, des passerelles pour les cyclistes
De Carapaz, chez Canapro et vainqueur de la Vuelta de la Juventud avec Strongman, à Narváez et Brayan Obando dans la Fundación Everet, et Caicedo, lui aussi chez Strongman puis vainqueur du Tour de Colombie 2018 avec Medellín, en passant par Alexander Cepeda, chez Avinal GW, un des seuls moyens pour les jeunes équatoriens de se faire remarquer par les recruteurs internationaux était d’aller courir en Colombie, physiquement proche du cyclisme équatorien. Mais depuis quelques saisons et le passage de Carapaz chez Lizarte, l’Espagne semble être un nouveau terrain de jeu.
Un lien avec la « mère-patrie » pas si surprenant que ça. Plus de 255 000 Équatoriens ont été naturalisés Espagnols entre 2004 et 2014. Ici, il n’est pas question de naturalisation. Mais, dans un contexte plus global, il n’est pas étonnant de voir la présence d’Équatoriens, et de ce fait de sportifs, en Espagne. À la suite de la saison 2016 de Carapaz chez Lizarte, plusieurs coureurs ont porté et porteront les couleurs des équipes espagnoles : Jefferson Cepeda (depuis 2019), Steven Haro (2020) et Richard Huera (2021) avec la Caja Rural, Santiago Montenegro (depuis 2020) chez Escribano, Benjamín Quinteros (depuis 2020) chez Valverde Team-Terra Fecundis, équipe soutenue par Alejandro Valverde, Steven Haro (2021) chez ESSAX et chez les juniors avec Richard Huera (2017) avec Arte en Transfer – Léon et enfin Martín López (2018) pour l’équipe OID Ciudad de Talavera. Sans avoir couru pour des équipes espagnoles, Jhonathan Narváez, vainqueur de la Vuelta al Besaya en 2015 et Joel Fuertes, ancien coureur de l’U.C Monaco, ont posé leurs roues sur les terres ibériques. Désormais, les différents cyclistes équatoriens vivant en Espagne peuvent conseiller des équipes amateurs sur les coureurs à recruter.
Toutefois, l’Italie aussi aurait pu accueillir les Équatoriens. Juan Carlos Rosero n’est-il pas le premier à avoir couru dans une équipe européenne, en Italie ? Alexander Cepeda, dernier arrivé en date dans une équipe professionnelle européenne, court chez Androni, équipe italienne. Peu avant sa disparition, l’équipe Nippo Vini Fantini, par l’intermédiaire d’un de ses directeurs sportifs Valerio Tebaldi, passé aussi par l’équipe Colombia, avait l’ambition d’aller faire son mercato en Équateur.
Peu à peu, les liens entre l’Équateur et quelques pays étrangers se tissent. D’ici quelques années, voir un afflux de coureurs équatoriens dans ces pays-là ne serait que la suite logique des choses. Mais, comme pour la Colombie, on peut surtout espérer voir des équipes World Tour jeter leur dévolu sur des coureurs venant d’équipes équatoriennes. L’Équateur franchirait alors une nouvelle étape.
Le cyclisme équatorien peut-il devancer son voisin colombien les prochaines années ? Peu probable. Mais la domination des espoirs équatoriens lors des derniers championnats panaméricains et leur présence, peu à peu, sur les grandes courses espoirs montrent que ce pays possède des talents. La dynamique existante avec les coureurs professionnels est pour l’instant suffisante pour voir des équipes colombiennes et européennes s’intéresser au cyclisme local. Avec un cyclisme qui se rapprocherait, au niveau du calendrier et des structures, de celui colombien, suffirait pour que le cyclisme équatorien devienne la nouvelle place forte du vélo en Amérique du Sud. Finalement, on peut se demander si Carapaz, Caicedo, Narváez et les cousins Cepeda ne sont pas ceux qui vont lancer une armada équatorienne en Europe comme l’a fait Nairo Quintana pour la Colombie au début de la dernière décennie.
En attendant, tous les acteurs du cyclisme, qu’ils soient coureurs, entraîneurs, managers, organisateurs, journalistes et même suiveurs ont le devoir de mettre en lumière ce cyclisme équatorien qui n’attend que de franchir le dernier cap.
Par Thomas Fiolet, 1ère parte à retrouver ici