François Faber, vainqueur du Tour de France 1909, a accepté de nous recevoir afin d’évoquer l’évolution du cyclisme au cours de ces cent dernières années. Si le Luxembourgeois reconnaît des changements positifs, il n’est pas tendre envers certains aspects du sport dont il fut l’une des premières vedettes..
Vélo Club : François, j’imagine que ça fait drôle de voir ce qu’est devenu le cyclisme aujourd’hui ?
François Faber : A qui le dites vous ! Tout a tellement changé que je me demande parfois si c’est le même sport… Déjà la médiatisation n’a rien à voir… Pouvoir suivre une étape depuis son canapé n’était même pas imaginable à mon époque. Ceux qui suivaient nos exploits, et ils étaient nombreux, devaient attendre le lendemain ou la fin de la semaine pour lire le résumé des courses dans les quotidiens ou les hebdomadaires.
Qu'est-ce qui vous surprend le plus ?
Difficile à dire, je pourrais répondre tellement de choses… Mais j’avoue que l’internationalisation du peloton est assez impressionnante. Quand je courais, nous étions entre Français, Belges, Luxembourgeois et Italiens. Il y avait également quelques Allemands, Suisses et Espagnols, mais c’était à peu près tout. Voir aujourd’hui des Africains, des Asiatiques et des Américains participer au Tour de France est une excellente chose. Surtout que beaucoup y font plus que de la figuration ! Pareil pour les courses, hormis certains courageux qui allaient courir les Six-Jours de New York ou de Chicago, on se cantonnait tous à l'Europe. Quand je vois qu'on a maintenant un Tour du Guangxi, je suis émerveillé...
Et quel est selon vous le changement majeur qui s’est produit en un siècle ?
Le matériel ! Avec nos vélos de 16 kilos sans dérailleur, sans frein, je trouve qu’on avait du mérite quand même ! Parfois nous roulions même de nuit, une lampe à acétylène accrochée au guidon ! Je ne parle même pas de nos maillots, en laine ou en soie, qui ne séchaient jamais après la pluie, et qui étaient insupportable par forte chaleur. J’aurais payé cher pour essayer le dernier engin de Chris Froome. Même si je ne suis pas sûr que j’aurais pu en faire sans tomber [rires].
Que regrettez-vous le plus dans le cyclisme moderne ?
J’ai parfois l’impression que je ne faisais pas le même métier que les gars d’aujourd’hui. Nous, sur les courses de 400 bornes, on prenait le vent dès le départ, et pas qu’un peu ! Il n’était pas rare que nous roulions 200 bornes en solitaire, que ce soit en tête de course ou à l'arrière. Je n’ai pas le souvenir d’une course qui se serait déroulée comme une étape de Grand Tour d’aujourd’hui par exemple. Les échappées publicitaires n’existaient pas, et pour cause ! Ce sont les "gros" eux-mêmes qui faisaient la course, et aucun n'aurait eu l'idée d'attendre la flamme rouge pour attaquer. Quand on ne se bagarrait pas comme des forcenés, le Père Desgrange nous passait un savon à l’arrivée en plus !
A quoi devons-nous un tel changement selon vous ?
C’est forcé que les choses évoluent en cent piges. Nous on n’avait pas de directeur sportif dans notre dos pour nous dire quoi faire déjà ! Et puis notre pain, on le gagnait surtout grâce aux primes, il fallait donc être à l’avant coûte que coûte si on voulait sa part du gâteau. Moi, quand je pouvais aider un isolé, je n'hésitais jamais, même si les gars de l'équipe me le reprochaient parfois. Je connaissais trop la précarité de leur situation pour jouer les mesquins.
Pourtant, on pourrait penser que l’amélioration du matériel et des routes, le raccourcissement des étapes ou le gain de confort permettraient de…
[Il coupe ] Au contraire ! Ce confort a fait énormément de tort au cyclisme. Plus quelqu’un se trouve dans une position confortable et plus il aura du mal à se faire violence en compétition. Ce n’est pas pour rien si la boxe ou le vélo, deux des sports les plus durs, étaient surtout le terrain de jeu des plus défavorisés… Mais que voulez-vous, l’être humain tend vers le confort, difficile d’en vouloir aux coureurs d’aujourd’hui de profiter de la technologie qui leur est offerte… L’évolution me semble en grande partie irréversible.
Justement ! Si vous deviez modifier certaines choses dans le cyclisme actuel, vous commenceriez par quoi ?
Je supprimerais tout ce qui pourrait l’être, à commencer par les oreillettes et les capteurs de puissance. Qu’on me supprime ces oreillettes qui tyrannisent les coureurs depuis vingt ans ! Que le matériel et les routes soient excellents, je m’en réjouis. Que les coureurs dorment dans de bons lits, qu’ils mangent à leur faim… Tant mieux ! Je ne vais pas leur souhaiter le même sort que les coursiers de mon époque ! Mais ils doivent aussi comprendre qu’ils gagnent leur vie uniquement grâce au public, et que c’est à lui qu’ils se doivent en priorité.
Difficile d’évoquer le vélo sans parler du dopage dorénavant, avez-vous un avis sur la question ?
J’ai suivi avec intérêt et tristesse ce qu’il s’est passé ces 20-25 dernières années, mais je me garderais bien de porter un jugement. Après tout, nous aussi on a connu ça. Ca n’avait pas grand-chose à voir, remarquez ! Nous, on carburait au pinard ou au sang de boeuf. Et croyez-moi, on en avait bien besoin pour supporter les souffrances des étapes de 15 heures…
Propos posthumes recueillis par David Guénel