C’était il y a 30 ans, le 25 juin 1991 exactement. Primoz Roglic allait sur ses deux ans et Tadej Pogacar n’était pas vraiment encore de ce monde. La Slovénie quittait le giron yougoslave et proclamait son indépendance. Le début de la fin pour le pays de Tito. La petite république naissante ignorait alors qu’elle serait un jour sur le toit du monde en matière de cyclisme (la Slovénie combien de divisions ? aurait peut-être rigolé Staline s’il s’était penché sur la question) et ses enfants rêvaient certainement plus de devenir Jurij Zdovc que Miguel Indurain.
Aujourd’hui les arrières petits-enfants de Tito s’apprêtent à nouveau à dicter leur loi sur le Tour de France. Pogacar-Roglic, Roglic-Pogacar, on a beau retourner cela dans tous les sens, on se demande bien si quelqu’un pourra venir réellement perturber cette revanche annoncée. En jouant les ermites depuis Liège-Bastogne-Liège, le cocu magnifique du Tour 2020 a voulu mettre toutes les chances de son côté. Un pari risqué peut-être, mais une préparation au millimètre sans aucun doute. Son cadet et bourreau de la Planche des Belles Filles n’a guère montré de signe de lassitude depuis l’an dernier. Visage d’adolescent mais mental d’acier.
En face, eux imposaient la peur il n’y a pas si longtemps. A partir de 2012, le Tour était devenu une sorte de dominium britannique, une annexe de la couronne de sa majesté. Bradley Wiggins inaugura le règne froid et clinique de la SKY, poursuivi par Christopher Froome. On se demande d’ailleurs au passage jusqu’à quand va durer la séance de masochisme que s’impose ce dernier depuis des mois (largement tempérée, il est vrai, par les millions d’euros de son nouvel employeur).
L’an dernier le grand méchant loup était apparu bien moins effrayant face à l’armada jaune et noire et surtout au regard de son propre passé. Il avait même semblé tout à coup prendre forme humaine. Le capital sympathie apporté par Richard Carapaz n’y était sans doute pas pour rien. Un podium cette année serait d’ailleurs déjà une belle récompense pour l’équatorien. Entre temps, l’Empire Britannique vient d’enchaîner les victoires sur divers champs de bataille (Romandie, Giro, Dauphiné et Tour de Suisse !), mais de là à faire chuter les Slovènes. Après tout, Nelson ne partait pas forcément gagnant au matin de Trafalgar.
Le public de juillet, celui pour qui la saison cycliste ne dépasse guère un mois, s’emballera de son côté pour la première semaine de Julian Alaphilippe, sa lutte avec Mathieu Van der Poel et Wout Van Aert et échafaudera encore des plans en jaune jusqu’à Paris. On ne lui en voudra pas. Et on aura évidement une pensée pour Raymond Poulidor, qui scrutera de là-haut les débuts de son protégé, au même âge que lui. Il aurait de la gueule le petit en jaune, n’est-ce pas Raymond ?
On en oublierait presque ce foutu virus, car ce Tour est quand même celui de l’an II du Covid. Il faudra encore faire avec cette bulle, mais le public devrait d’avantage avoir sa part du gâteau au bord de la route. On est pas sur Zwift quand même !
De là où il est, Tito regardera aussi peut-être. Pas sûr que le cyclisme ne l’emballe. Sans doute aurait-il préféré voir son pays survivre que d’observer ses descendants régner sur le Tour.
Ximun Larre