En remportant enfin le Tour de France qu’elle avait dans le viseur depuis plusieurs années, Jumbo-Visma a réalisé en 2022 sa meilleure saison jusqu’à présent. Dominatrice sur tous les terrains, elle termine la saison à la première place du classement UCI et en frôlant son propre record de victoires. Le succès aurait pu être complet si elle avait remporté un Monument.
La note d’ensemble
17,5/20
48 victoires – 1ère au classement UCI
Steven Kruijswijk, Primoz Roglic et Jonas Vingegaard se sont tous cassé les dents sur plus forts qu’eux lors des dernières éditions du Tour. Logiquement, la Grande Boucle était donc l’objectif numéro 1 de la formation néerlandaise en 2022. Meilleure équipe sur le papier, elle a confirmé son statut en remportant le classement général, quatre étapes et deux maillots distinctifs, ne laissant que des miettes à la concurrence. Victorieuse pour la première fois de son histoire sur le Tour, Jumbo-Visma est devenue l’été dernier la meilleure équipe du monde, ce qu’elle a confirmé en s’adjugeant le classement UCI en fin d’année.
Elle n’était pourtant pas parvenue, au mois de mai sur le Giro, à intégrer le Top 10 qu’elle avait trusté lors des cinq Grands Tours précédents. Elle a néanmoins pu se consoler grâce aux deux victoires et au maillot de grimpeur du surprenant Koen Bouwman. Sur la Vuelta, elle a manqué de peu un podium qui lui tendait les bras à la suite d’une énième chute de Primoz Roglic, mais a terminé avec deux succès d’étapes. Le bilan des jaune-et-noir sur les Grands Tours est donc largement perfectible, mais les Néerlandais ont troqué bien volontiers leur régularité passée contre leur entrée dans le cercle des équipes vainqueurs du Tour.
Ambitieuse sur le plan des courses d’un jour, Jumbo-Visma devra patienter encore un peu pour aller chercher le Monument qui se refuse à Wout van Aert depuis sa victoire à San Remo en 2020. 2e à Roubaix et 3e à Liège, le Belge a du mal à finir le travail lorsqu’il a la pancarte lors d’un grand évènement. Il termine néanmoins la saison avec neuf nouveaux bouquets et un maillot vert au-dessus de la cheminée.
Avec des coureurs de talent dépêchés aux côtés de ses leaders et des calendriers relativement allégés pour ces derniers, Jumbo semble s’inspirer en partie de ce qui a fait le succès de la Sky pendant des années, la passivité en moins. Les Roglic, Vingegaard ou autres Van Aert sont en effet arrivés ultra-préparés sur les courses qu’ils avaient cochées, notamment grâce aux stages d’altitude. Cette tendance générale partagée par tout le peloton international semble particulièrement accentuée chez Jumbo-Visma dont les leaders sont parmi ceux qui ont repris leur saison le plus tardivement. Ces trois-là, dans l’optique du Tour, ont d’ailleurs tous eu un programme très semblable en deux parties avec Paris-Nice ou Tirreno, des classiques ou le Tour du Pays Basque, puis une coupure jusqu’au Dauphiné ; au contraire par exemple de Geraint Thomas, Aleksandr Vlasov ou Enric Mas qui ont pris le départ de Copenhague avec beaucoup plus de jours de course dans les pattes.
La surprise
Olav Kooij
Jumbo-Visma nous a offert son lot de surprises et de révélations ces derniers mois. Koen Bouwman et Gijs Leemreize irrésistibles sur le Giro dans leur rôle de trouble-fêtes, Thomas Gloag aux portes du Top 10 lors des classiques italiennes de fin d’année ou encore Archie Ryan, vainqueur chez les pros au Tour de Slovaquie alors qu’il fait toujours partie de l’équipe réserve, en sont autant d’exemples. Mais que dire d’Olav Kooij ? Pour sa première année dans la cour des grands, le sprinteur a décroché pas moins de 12 succès, ce qui fait de lui le meilleur scoreur de la formation. Le Néerlandais a failli s’imposer dès l’UAE Tour mais a dû attendre le Tour de la Sarthe, début avril, pour ouvrir son compteur. S’il est vrai qu’il a surtout gagné au niveau continental, il a fini par s’offrir une étape du Tour de Pologne autrement plus valorisante, ainsi que des succès au Tour du Danemark et au Tour du Munster où le plateau était relativement relevé. Carte maîtresse pour les arrivées groupées d’une équipe qui compte beaucoup de coureurs rapides, Olav Kooij a le luxe de ne subir aucune pression et de franchir les paliers un par un. Attention à lui dans les années à venir.
La confirmation
Jonas Vingegaard
Jamais vu à ce niveau avant 2021, Jonas Vingegaard avait la lourde tâche de confirmer son talent en 2022. Pour ne pas finir comme un éternel espoir incapable de se faire un palmarès, le Danois devait faire au moins aussi bien que l’année précédente, à savoir terminer sur le podium du Tour. 2e de Tirreno, 6e du Tour du Pays Basque puis 2e d’un Dauphiné ultra-dominé par le duo qu’il formait avec Primoz Roglic, le coureur de 25 ans a validé tous les points de passage jusqu’à détrôner un Tadej Pogacar qui semblait aux yeux de beaucoup intouchable. Malgré un passage à vide post-Tour de France, Jonas Vingegaard a su rebondir au Tour de Croatie et s’annonce donc comme l’un des principaux prétendants à sa propre succession.
La déception
Primoz Roglic
Toujours parmi les meilleurs, Primoz Roglic est une déception par sa malchance récurrente. Dominateur à Paris-Nice, dominateur au Dauphiné, le Slovène a connu deux nouveaux abandons sur le Tour et la Vuelta, après avoir déjà dû laisser filer ses chances lors du Dauphiné 2020, de Paris-Nice et du Tour 2021. Touché à l’épaule lors de l’étape des pavés, il a cette année tenu son rôle d’équipier malgré la désillusion, avant de renoncer au matin de la 15e étape. Lors de la Vuelta, il a subi une chute alors qu’il avait réussi à piéger Remco Evenepoel deux fois en deux jours, laissant présager une belle bataille en dernière semaine. Non-partant le lendemain, le triple tenant du titre aura réalisé une saison bien décevante en termes de résultats au regard de ce qu’il a montré à chacune de ses apparitions.
2022 en 5 dates
6 mars 2022, Mantes-la-Ville. Une locomotive jaune aborde la Côte de Breuil Bois-Robert en tête. Nathan van Hooydonck, homme de l’ombre, s’écarte et laisse place à Christophe Laporte qui, à la pédale, fait sauter tout le monde de la roue. Seuls ses leaders Wout van Aert et Primoz Roglic peuvent suivre, ainsi que Zdenek Stybar qui finit toutefois par renoncer, laissant filer les trois coureurs de la Jumbo-Visma vers la gagne. Six kilomètres plus loin, le tableau annonce une grosse saison de la formation néerlandaise : Christophe Laporte lève les bras pour son premier succès en World Tour, encadré par ses deux comparses. Quelques jours plus tard, ces derniers rééditeront un autre triplé avec Rohan Dennis lors du chrono de Montluçon, avant que le Slovène ne remporte le général de la Course au Soleil. Jumbo est l’équipe qui compte le plus de doublés et de triplés cette saison, un signe qui ne trompe pas.
13 mai 2022, Potenza. L’échappée de la 7e étape du Tour d’Italie a mis du temps à prendre le large, elle est composée de costauds. Dans la dernière des principales difficultés, Tom Dumoulin fait l’écrémage. Seuls Bauke Mollema et Davide Formolo peuvent le suivre, mais aussi un deuxième coureur de la Jumbo, un peu plus inattendu : Koen Bouwman. Les deux maillots jaunes connaissent tour à tour des moments de moins bien mais reviennent à chaque fois. Au sprint, c’est le plus jeune des deux qui fait parler sa fougue. En plus de la conquête du maillot bleu construite au fil de la journée, le Néerlandais s’offre sa première victoire sur un Grand Tour. Après de nombreuses tentatives, il parviendra même à doubler la mise au Sanctuaire de Castelmonte, et ramènera le maillot de meilleur grimpeur à Vérone. La fortune est toute autre pour Tom Dumoulin, qui avait pourtant bien démarré son Giro avec une 3e place à Budapest. Le Hollandais Volant abandonnera discrètement avant d’annoncer vouloir prendre sa retraite en fin d’année. Le 15 août, à bout mentalement, il anticipera même cet arrêt et raccrochera le vélo sans avoir pu offrir à ses fans un dernier succès à la hauteur de sa belle carrière.
5 juillet 2022, Calais. 2e à Copenhague, à Nyborg et à Sonderborg, Wout van Aert a quitté le Danemark avec le maillot jaune et la ferme intention de ne pas laisser cette série se poursuivre plus longtemps. Sur les routes du Pas-de-Calais, la Jumbo met en place la même stratégie que sur Paris-Nice : Nathan van Hooydonk fait le pied du Cap Blanc-Nez au sprint, relayé cette fois par Tiesj Benoot. Les concurrents explosent comme des pop-corns mais la démonstration collective ne s’arrête pas là. À trois-cents mètres du sommet, c’est le leader du général qui passe à l’action. Seuls Adam Yates et Jonas Vingegaard peuvent le suivre, mais cela ne dure qu’un temps. Le Belge part seul et ne sera plus revu. Une victoire d’étape et un maillot jaune conforté pour un Wout van Aert irrésistible, un leadership affirmé pour Vingegaard qui était l’un des derniers à pouvoir suivre alors que Primoz Roglic devait se résigner à perdre quelques longueurs, et un premier avertissement pour Tadej Pogacar. Avec le recul, cette étape raisonne comme la bande-annonce de ce Tour de France 2022.
13 juillet 2022, Albertville. Wout van Aert fait le kilomètre zéro au baissé de drapeau de Christian Prudhomme, bientôt rejoint par un groupe de contre où figure Christophe Laporte. Ce dernier se laissera reprendre dans le Télégraphe pour faire la descente vers Valloire à bloc avec un quatuor qui s’est extrait du peloton et dans lequel figurent Primoz Roglic et Jonas Vingegaard. Dès le début du Galibier, à près de 60 kilomètres de l’arrivée, le Slovène et le Danois harcèlent Tadej Pogacar. La montée est anthologique. Dans la descente, tout ou presque rentre dans l’ordre et c’est alors le premier attaquant de la journée qui est mis à la planche pour maintenir une certaine intensité. Dans le Col du Granon, évité par le Tour pendant près de 40 ans, Jonas Vingegaard passe à l’attaque. Et là, stupeur : l’indétrônable Tadej Pogacar cède. Le leader prend l’eau et l’addition sera lourde au sommet. Vingegaard nouveau maillot jaune, il ne sera plus déshabillé jusqu’à Paris. Cette étape restera dans l’Histoire de la Petite Reine.
6 septembre 2022, Tomares. Primoz Roglic pointe à environ une minute trente de Remco Evenepoel au général mais rien n’est fait et le Belge est sous pression. À l’approche de Tomares, le Slovène profite d’un repecho qui mène à l’arrivée pour tout faire péter. Il sort en compagnie de quatre coureurs tandis qu’à l’arrière, le maillot rouge est victime d’une crevaison qui le condamne : puisqu’il sera classé dans le groupe qui était le sien au moment de l’incident, il n’est plus maître de l’écart qui sera comblé par son dauphin dans les deux derniers kilomètres. Dans le sprint final, Primoz Roglic, à bloc, n’a pas la lucidité d’éviter la roue de Fred Wright et chute. Il termine l’étape tant bien que mal mais ne repartira pas le lendemain, touché au genou. Pas récompensé pour son panache, il termine sa saison avec deux abandons en autant de Grands Tours qu’il considérait comme des objectifs.
Par Cyprien Bricout