Bien qu’ayant réalisé son meilleur exercice comptablement, UAE Team Emirates a manqué son objectif principal en cédant le Tour de France à une Jumbo-Visma plus solide. La formation émiratie a signé une excellente année, a réussi à densifier son effectif et à planter les graines qui peuvent lui assurer de prolifiques récoltes pour les quelques saisons à venir. Malgré ces raisons d’être optimiste, pourtant, l’excellence lui résiste encore et la frustration prédomine à l’heure de dresser le bilan de 2022.
La note d’ensemble
15,5/20
48 victoires – 2e au classement UCI
UAE restait sur deux victoires consécutives au Tour de France et s’est tellement renforcée l’hiver dernier qu’elle était vue comme la grande favorite de la Grande Boucle cette année. Pourtant, et si Tadej Pogacar n’a montré que très peu de limites, le Slovène et son équipe ont buté sur meilleurs qu’eux. L’échec, c’est aussi ce qu’a connu Joao Almeida au Tour d’Italie, alors qu’il était attendu comme le possible leader bis du collectif émirati. Contaminé par la Covid-19, il a dû quitter le Giro à quelques jours d’un éventuel premier podium en Grand Tour.
Dans les courses d’un jour, UAE disposait de nombreuses cartes qui n’ont pas toutes remporté le pli. Les sprinteurs de l’effectif ont été muets toute la saison ou presque, tandis que Marc Hirschi n’a pas tout-à-fait retrouvé son niveau de 2020. Là encore, c’est donc Tadej Pogacar qui a assuré l’essentiel avec une victoire au Lombardie, aux Strade Bianche et à Montréal, ainsi que deux Tops 5 à San Remo et à Oudenaarde.
La performance d’ensemble reste pourtant excellente avec pas moins de 48 victoires, ce qui fait d’UAE la meilleure scoreuse du peloton à égalité avec Jumbo-Visma. L’équipe néerlandaise a certes davantage gagné au plus haut niveau et ce malgré une quarantaine de jours de course en moins, mais ce total suffit à exploser le record précédent de la formation des Émirats Arabes Unis. Cette dernière a d’ailleurs aussi réalisé sa meilleure performance en termes de points et de classement UCI avec une 2e place qui parait être ce qu’elle pouvait obtenir de mieux.
Ces motifs de satisfaction rejoignent l’objectif d’UAE de densifier son effectif, grâce notamment à l’arrivée lors des deux derniers recrutements de coureurs capables de briller par eux-mêmes. Malgré tout, cela reste un peu léger pour servir d’amortisseur en cas de blessure de son ultra-dominateur Pogacar. Le Slovène a collecté à lui seul près de 40% des points de son équipe pris en compte par l’UCI (soit le total des points des dix meilleurs scoreurs de l’effectif), un cas presque unique dans le peloton World Tour puisque seule la Quick-Step dispose d’un homme plus hégémonique en interne avec Remco Evenepoel. On a d’ailleurs vu lors du Tour de France que la force de frappe d’UAE paraissait moins menaçante que celle de sa rivale néerlandaise.
Pourtant, ce ne sont pas les talents qui manquent avec des coureurs comme Almeida, Ayuso ou Hirschi, qui plus est, tous âgés de moins de 25 ans. Mais maintenant qu’elle compte dans ses rangs bien assez de leaders pour exister tout au long de l’année, UAE serait peut-être bien inspirée de se mettre en quête de coéquipiers dévoués, comme l’a fait par exemple Ineos ces dernières années.
La surprise
Juan Ayuso
On le savait pétri de talent, mais de là à performer à ce point dès cette année, il y avait un gouffre que Juan Ayuso a comblé sans complexe. À moins de 20 ans, le grimpeur espagnol s’est offert une place sur le podium de son Tour national dès sa première expérience sur trois semaines, le tout sans jamais flancher. Auparavant, le natif de Barcelone avait fait ses preuves dès sa première course World Tour par étapes en terminant 5e du Tour de Catalogne, un mois avant de prendre la 4e place du Tour de Romandie. Plus symbolique que véritablement révélatrice de son talent, sa première victoire chez les pros, au Circuit de Getxo, aura tout de même eu le mérite de le mettre en confiance pour la suite. Attention à ce que Juan Ayuso nous réserve dans les prochaines années.
La confirmation
Brandon McNulty
Il n’est pas le plus bankable des stars d’UAE en dépit de la forte impression qu’il a renvoyée cette saison. Se sachant barré par la concurrence interne, Brandon McNulty semble avoir pris à cœur son rôle d’équipier, en témoigne son énorme travail dans l’étape de Peyragudes, lors de laquelle il a permis à Tadej Pogacar de remporter sa troisième victoire sur le Tour bien que n’ayant pas réussi à distancer le maillot jaune. Mais, non satisfait de n’être dédié qu’au sale boulot dans les grandes épreuves, l’Américain a su saisir sa chance lorsqu’on lui a donnée en début d’année. Vainqueur au Trofeo Calvia, 2e au Tour de l’Algarve, vainqueur de l’Ardèche Classic et lauréat avec deux minutes d’avance d’une étape de Paris-Nice, l’homme de Phoenix a construit en à peine trois mois sa meilleure saison jusqu’ici. Le rôle dans lequel UAE souhaite l’utiliser à l’avenir reste un mystère. Brandon McNulty semble en tout cas savoir s’adapter à toutes les situations.
La déception
Les sprinteurs
On ne peut pas briller partout, mais UAE a quand même accordé sa confiance à des sprinteurs avertis censés être des valeurs sûres, afin d’être armée pour tous les terrains. Cependant, Pascal Ackermann et Fernando Gaviria sont tombés aux oubliettes en 2022. Le premier, bien que vainqueur à deux reprises cette année, a connu sa pire saison depuis qu’il a débloqué son compteur chez les pros en 2018. Le second, en forme au Tour d’Oman, s’est loupé de peu lors du Giro puis a disparu de la circulation, abandonnant plus de la moitié des épreuves auxquelles il a pris part entre juin et octobre. Alvaro Hodeg, enfin, n’a tout simplement pas pu courir de l’année après avoir été victime d’un accident à l’entraînement fin 2021. Il n’y a finalement que Sebastian Molano qui semble avoir donné une relative satisfaction à UAE avec ses deux victoires, aux Boucles de la Mayenne et à la Vuelta. Très léger.
2022 en 5 dates
5 mars 2022, Sienne. Depuis deux mois, UAE marche sur l’eau. Alors que la Jumbo préserve ses leaders, l’autre grande équipe du peloton a démarré la saison au quart de tour avec pas moins de douze victoires acquises avant les Strade Bianche. Trois jours plus tôt, l’écurie a même fait peur à tout le monde avec son triplé Polanc-Ayuso-Covi au Trophée Laigueglia, certes pas très relevé, mais dominé sans contestation par une UAE que certains voyaient déjà comme imbattable pour toute la saison. Cette fois, c’est le vainqueur du Tour des Emirats qui fait parler la poudre : dans les chemins blancs du Monte Sante Marie, le Slovène attaque sans que personne ne parvienne à prendre sa roue. Il reste alors 50 kilomètres mais pas de quoi effrayer Tadej Pogacar, qui signe une prestation effrayante.
25 mai 2022, Lavarone. Arrivé chez UAE pour seconder le double-vainqueur du Tour, Joao Almeida se voit confier le leadership de l’effectif pour le Giro. Lui qui a terminé 4e et 6e des deux précédentes éditions a un objectif clair de podium et tout semble bien parti puisqu’il est troisième à quarante-quatre secondes du maillot rose. Mais ce jour-là, Joao Almeida est mis en difficulté par la Bahrain de Mikel Landa. Le Portugais concède plus d’une minute aux favoris et coupe la ligne sans savoir qu’il ne repartira pas le lendemain à la suite d’un test positif à la Covid-19. Malchanceux, il se consolera partiellement avec son titre national, sa victoire d’étape à Burgos et sa 5e place à la Vuelta, loin de ses rêves de succès italiens.
13 juillet 2022, Col du Granon. Il a gagné à Longwy, il a gagné à la Planche des Belles Filles et il arbore fièrement le maillot jaune qui lui colle à la peau depuis 2020. Le constat de la domination de Tadej Pogacar est acté par tout le monde et déjà, le suspense commence à se tarir. C’est pourtant un retournement de situation des plus spectaculaires auquel le monde du vélo assiste sur les pentes du Col du Granon : à cinq kilomètres du sommet et après avoir été harcelé toute la journée par les hommes de main de Jonas Vingegaard, le Slovène ne peut plus suivre le rythme infernal de son rival. Pour la première fois de sa carrière, Tadej Pogacar expose ses failles au grand jour.
7 septembre 2022, Monastère de Tentudia. Alors qu’il était en embuscade depuis plus de deux semaines, sans jamais parvenir à être l’égal de Remco Evenepoel ou Enric Mas, voilà que Juan Ayuso parvient à suivre les deux premiers du général de la Vuelta. Vraisemblablement en bonne forme, le jeune Espagnol monte à la 3e place du classement et commence à se rendre crédible dans son entreprise. Quelques jours plus tard, infaillible, il montera bel et bien sur le podium de son premier Grand Tour, avant même de souffler sa 20e bougie. Lui qui dispose d’un contrat avec UAE jusqu’en 2028, s’affirme dès lors comme la future star de l’équipe.
8 octobre 2022, Côme. Depuis sa déconvenue du Tour de France, Tadej Pogacar a rassuré tout le monde avec une victoire au GP de Montréal puis une autre aux Trois Vallées Varésines. Grand favori du dernier Monument de l’année et désireux de rendre la course difficile, le Slovène fait rouler ses hommes dès la Madonna del Ghisalo, à 60 kilomètres de l’arrivée. Après Joao Almeida, c’est Davide Formolo qui se met à la planche dans le Civiglio et c’est l’Italien qui fait exploser le groupe de tête. Tadej Pogacar n’a plus qu’à finir le travail, bien qu’inquiété par un Enric Mas tenace. Mais pas de quoi l’empêcher de conserver son titre. À tout juste 24 ans, il remporte sa 46e victoire et son 3e Monument.
Par Cyprien Bricout