"Apothéose émotionnelle", "journée de zinzin", les fans de Thibaut Pinot reviennent sur la "Curva Pinot"

"Apothéose émotionnelle", "journée de zinzin", les fans de Thibaut Pinot reviennent sur la "Curva Pinot"

"Apothéose émotionnelle", "journée de zinzin", "émotions folles"... Leurs mots ne sont pas assez forts pour raconter ce qu'ils ont vécu. Ils sont heureux, tout simplement. Cet article leur semblera certainement ridiculement tempéré, mais c'est parce que des phrases ne peuvent retranscrire le ton de leurs voix, émues et éreintées d'avoir tant crié.

Tous, ils ont le sentiment d'avoir assisté à une journée historique. "Je sais qu'il fallait que je le fasse ou j'aurais regretté toute ma vie" lâche Alain L'Vernon ("Manu" dans la vie, connu sur Twitter comme membre d'Antenne Vieux, un groupe de commentateurs parodiques du cyclisme amateurs de boissons enivrantes). A 47 ans, il avoue ne jamais s'être autant attaché à un coureur qu'à Thibaut Pinot. Il a aimé Bernard Hinault et Laurent Fignon, mais le franc-comtois "est différent, en tant que coureur et en tant qu'homme. Il transmet, dans les victoires et les défaites".

Julien (alias "Le Neum's" sur les réseaux sociaux) le rejoint : "il avait un truc un peu différent, c'était un coureur à émotions dans un vélo aseptisé". Lui a parcouru, depuis la Bretagne et avec deux autres supporters, près de 1200 kilomètres pour aller encourager son idole, en alternant la voiture, l'avion et une voiture de location. Ils n'ont dormi que quelques heures le samedi matin avant d'embarquer, direction Milan, pour une journée de folie à Bergame, mais ils ne sembleraient regretter ce périple pour rien au monde.

Il faut dire que tout avait été mis en œuvre pour que l'au-revoir des ultras à leur idole soit un moment d'anthologie. Près de 500 fans ont fait le déplacement depuis les six coins de l'Hexagone, après s'être organisés sur un groupe Discord (un réseau social). Ils avaient préparé des chants, des drapeaux, apporté des fumigènes et de la fondue savoyarde, et prévu de la bière sans modération ("Ils ont ainsi bien fait honneur à l'amour que porte "Antenne Vieux" pour Thibaut Pinot", s'amuse Alain L'Vernon).

Mais, comme lors de la victoire de Thibaut Pinot sur l'Alpe d'Huez en 2015, c'est l'inattendu qui a créé une alchimie particulière et qui aura le plus marqué les suiveurs : Alain L'Vernon se souviendra longtemps de la venue de Marc Madiot dans la Curva. "Quand il est arrivé, on l'a porté en triomphe et pris des bières ensemble. Il est resté très longtemps, plus d'une heure et demi, il se moquait de la course, il semblait heureux". "C'était incroyable : il ne pouvait sortir de sa voiture parce qu'il y avait trop de fans autour", rapporte Hugo (alias "Cactus sur un vélo" sur Twitter), 21 ans, venu de Chambéry avec Arnaud (surnommé 53x12 sur ce même réseau social), 48 ans, originaire de la Drôme. Ce dernier rejoint ses propos, lui qui a apprécié un "esprit foot" dépouillé de tout ce qui peut le rendre détestable. C'est cette ambiance bon enfant qui lui a permis de faire de nombreuses rencontres et d'approcher des gens qu'il n'aurait jamais croisés dans d'autres contextes, comme par exemple le journaliste Pierre Carrey.

La longue attente a été l'occasion également de moments d'amusement. Les supporters acclamant les amateurs qui faisaient une partie du parcours à vélo avant les coureurs, Julien a lui aussi emprunté un vélo pour fendre la foule: "je me croyais à l'Alpe d'Huez !".

Les membres ou proches de la Groupama-FDJ, présents en nombre durant la journée pour accompagner les ultras (on peut citer notamment Antoine Duchesne, Jérémy Roy ou les sœurs Madiot) ou pour entourer Pinot, ont également pu profiter du moment. Matthieu Ladagnous, coureur de l'équipe qui a pris sa retraite quelques jours plus tôt sur la Coppa Bernocchi, s'est rendu à plusieurs endroits du parcours pour aider au ravitaillement avant de rejoindre la Curva : "C'était un moment spécial, on m'a reconnu et remercié".

Et puis, il y a eu le moment que tous attendaient. Celui pour lequel ils étaient venus. Préparé par Warren Barguil et Valentin Madouas, qui se sont appliqués à chauffer la foule par de grands gestes pour prévenir de son arrivée.

Lorsque Thibaut Pinot a franchi la foule (l'expression "franchir une foule" a rarement été aussi appropriée), la Curva s'est enflammée. "C'était comme une équipe de foot qui marque à la 93e minute" raconte Julien, filant la métaphore footballistique chère au Collectif Ultras Pinot (les organisateurs de l'événement). "La foule était si dense qu'il était au ralenti dans le virage" s'amuse Hugo. Le champion affichait un sourire radieux, tapant dans les mains des ultras qui l'entouraient, faisant des clins d'œil à certains.

Même après la course, la fête était loin d'être terminée. Signe de cette ambiance joyeuse, Hugo a réussi à taper dans la main de Romain Bardet qui repartait. Les coureurs se montraient détendus.

Après la course, les fans ont rejoint leur idole près du bus de son équipe. Parce qu'il avait tant donné en émotions à son public, parce que son public lui avait tant procuré d'affection, les deux se sont longuement retrouvés. "Il est resté plus d'une heure, a chanté, fait des discours, signé des autographes, fait des photos avec tous… C'était plus que ce qu'on pouvait prévoir" explique Alain L'Vernon.

Matthieu Ladagnous confirme : "Thibaut n'est pas expansif, il est plus gêné qu'autre chose d'avoir tant de monde autour de lui mais il a bien savouré." Cycliste professionnel durant 18 ans, il a été impressionné par tant de monde et de ferveur autour de Thibaut Pinot : "Je n'ai jamais vu ça, sur aucune des autres retraites, et j'en ai vécues beaucoup".

Comment expliquer une telle popularité ? Du côté du coureur béarnais, la réponse est claire : "Avec ses résultats et ses défaillances, beaucoup peuvent s'identifier à lui. Ce n'est pas une machine à tout gagner. Il sort d'une famille de la terre, d'un petit patelin. Il est resté "nature", il a eu ses moments durs.". En effet, beaucoup peuvent s'identifier à lui. Si Arnaud s'est pris de passion pour ce coureur, c'est avant tout par l'intermédiaire de son fils qui, a 7 ans et devant la victoire de l'Alpe d'Huez, a eu un coup de cœur et a voulu faire des tours du jardin à vélo pour ressembler à son idole . Alain L'Vernon, de son côté, explique qu'il le voit comme "un mec normal, qui préfère aller s'occuper de ses chèvres et à la pêche que supporter la pression des courses, même si il ne fait pas semblant à l'entraînement.".

Et ce "mec normal" a su garder les pieds sur terre. Matthieu Ladagnous l'affirme, pour lui, ses coéquipiers n'étaient pas des "pions". "Il a apporté beaucoup à l'équipe. Il ne s'est jamais engueulé avec personne. Quand des trucs n'allaient pas, il le disait mais il n'y avait jamais d'arrière-pensée".  Cela l'a logiquement poussé à donner le meilleur de lui-même : "Je me suis transcendé pour Pinot. […] De bons résultats ont été faits. J'étais présent sur le Tour de Lombardie l'année de sa victoire et je m'en souviendrai longtemps".

A ces moments intenses ayant jalonné la carrière de Thibaut Pinot s'ajoute désormais la dernière course de sa vie en tant que coureur. En tant que coureur, car son histoire avec le cyclisme n'est pas terminée, comme le pointe Alain L'Vernon : "Aujourd'hui, Pinot n'est plus coureur mais éleveur de chèvres. Mais il a promis qu'il serait encore là, à suivre les courses de l'autre côté, avec le Collectif Ultras Pinot".

C'est également le souhait de Matthieu Ladagnous : "J'espère que le groupe des supporters va continuer à soutenir l'équipe sur les courses, et même avec Thibaut parmi eux. Il y avait beaucoup de jeunes donc c'est cool, ils ont appris à aimer le vélo grâce à lui."

La dolce vita des Ultras ne semble pas prête de s'arrêter, pour leur plus grand bonheur.

Par Cyclo Noé

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