Adolphe Hélière est passé à la postérité comme le premier coureur à avoir perdu la vie au cours d’un Tour de France. Mais c’était avant tout un gamin de 19 ans avec la tête pleine de rêves qui, grâce à une volonté peu commune, donna corps à celui de participer à la Grande Boucle. Cet isolé occupe une place à part dans l’histoire alors balbutiante de l’épreuve, même si le temps en a fortement estompé les souvenirs.
Voici l’histoire, aussi brève que touchante, d’un Breton né en Normandie par les hasards des pérégrinations paternelles, employé à la Compagnie des Chemins de Fer de l’Ouest. Adolphe Hélière naît ainsi à Fécamp le 10 mars 1891, et grandit à l’époque mythique du cyclisme, celle où ce sport se créé, se structure, et où il engendre ses premiers héros. Très tôt passionné par la bicyclette, le garçon prend part, dès l’âge de 14 ans, à des courses cantonales et régionales. Plus que la compétition, c’est l’univers de ce sport naissant qui fascine Adolphe. Le bruit des machines, la fraternité entre coureurs, ce côté épique qui fascinera des générations d'enfants.
Mécanicien auto à Rennes, Adolphe voit son métier avant tout comme un moyen de financer les droits d’inscription des courses dans lesquelles il s’engage. Coureur cycliste amateur au tournant du XXe siècle, sa carrière n’a duré que quelques mois, dont ne subsistent fatalement que peu de traces. Sa 13e place lors du Paris-Le Mans 1910 constitue son plus beau fait d’arme, avec évidemment sa participation au Tour de France la même année.
Heureux d’avoir pu réunir les quelques dizaines de francs nécessaires pour s'inscrire à la Grande Boucle, le garçon a pour objectif de s’y faire remarquer afin de rejoindre une écurie professionnelle et de quitter le statut d’isolé, synonyme de grande précarité. En 1910, un isolé doit en effet acheter son matériel, effectuer lui-même ses réservations d’hôtel et prévoir l’intégralité de son ravitaillement (ce qui consiste souvent à s'arrêter dans une quelconque gargote pour avaler ce qui se présente). L’isolé a également interdiction de descendre dans les hôtels des équipes utilisant la même marque de cycle que lui, et de recevoir une aide de quiconque. Henri Desgrange, qui ne cachait pas un certain mépris envers cette caste, veillait à ce que le règlement soit appliqué avec la plus grande fermeté à l’encontre de ses membres. C’est d’ailleurs pour les contrôler que fut créée, en cette année 1910, la voiture-balai. Son rôle initial était de suivre à la trace les derniers de la course afin de s’assurer qu’aucun d'entre eux ne resquillât, en prenant le train par exemple. Dernière injustice envers les isolés, le montant des primes, beaucoup plus faible pour eux que pour les autres coureurs à performance égale.
Adolphe Hélière a participé à six étapes lors de son Tour de France. La légende raconte que les lecteurs de L’Auto avaient parié 100 francs que le jeune mécano breton abandonnerait au bout de trois étapes. Pourtant, si Hélière n'a guère fait parler de lui par ses résultats – sa meilleure place fut 61e (sur 72) lors de la 5e étape - son altruisme et sa gentillesse l’avaient fait remarquer de ses confrères. Ainsi, après une chute de son illustre concurrent Emile Georget, Adolphe le jucha sur ses épaules pour le transporter à la maison la plus proche. Les deux coureurs furent d’abord reçus par le propriétaire à coups de bâton avant que le blessé puisse tout de même se faire soigner. Grimpeur émérite, Georget gagna même l’étape du lendemain.
Cet altruisme, ainsi que de nombreuses mésaventures, dont une violente collision avec un cheval, n’arrangent pas ses résultats. C’est classé dans les profondeurs du général que le dossard n°190 relie Nice au soir de la 6e étape. Arrivé dans la capitale azuréenne après minuit, soit plus de neuf heures après le vainqueur, il ne trouve personne pour l’accueillir. Pour les sans-grades, l’arrivée nocturne était fréquente, pour ne pas dire systématique. La scène était alors toujours la même : une signature sur le registre des commissaires de course, dernier point de contrôle de l’étape, puis un hôtel quelconque pour dormir quelques heures avant le prochain départ. En cette nuit du 13 au 14 juillet, compte tenu de l’heure tardive et de son budget restreint, le jeune coureur s’accommode sur la plage de Nice et s’endort jusqu’au petit matin. Le lendemain, journée de repos dont il compte bien profiter, il puise dans ses maigres économies pour s’offrir un bon repas au restaurant. Vers 16 heures, il se rend en compagnie de trois autres coureurs à une plage proche de l’établissement Les Bains de l’Opéra. Après avoir englouti une crème glacée, autre luxe pour ce coureur impécunieux, il se jette à l’eau. Las, il coule à pic quasi instantanément. Après trois ou quatre plongées, on finit enfin par ramener son corps sur la berge, où un médecin de passage ne peut que constater le décès. L’hydrocution ne fait guère de doute, ses camarades déclarent d'ailleurs l’avoir vu saigner du nez juste avant de se mettre à l’eau, sans que cela les eût particulièrement inquiétés.
Le père et le frère de l'importuné accourent à Nice dès la réception du télégramme annonçant la nouvelle tragique et arrivent juste à temps pour assister aux funérailles. Faute de moyens pour ramener le corps du jeune homme près des siens, celles-ci doivent en effet se dérouler à Nice. Le journal L’Auto, organisateur de la course, envoie un chèque de 100 francs au quotidien L’Eclaireur de Nice qui a lancé une souscription pour financer un rapatriement. Il faudra finalement dix mois de collecte pour obtenir les 1.000 francs nécessaires au retour de la dépouille en Bretagne. Plus que la modeste somme fournie par L’Auto, c’est la générosité de la population, touchée par le destin du malheureux, qui a permis de réunir les fonds.
Adolphe Hélière est mort en accomplissant son rêve de participer à la plus prestigieuse des courses cyclistes. Sur son acte de décès, à la mention profession, il est indiqué « coureur cycliste ». C'est donc post-mortem que le jeune homme verra exaucé son rêve de devenir professionnel...
Acte de décès d'Adolphe Hélière
Par David Guénel ( davidguenel)
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